Travaux d'études et de prospective

Problèmes de sécurité posés par les grands porte-conteneurs modernes

L’Académie de marine s’est intéressée au phénomène du gigantisme qui, ces dernières décennies, a touché la construction navale et le transport maritime, non sans risques potentiels. Elle propose ici des mesures concrètes qui devraient s’adresser à la communauté maritime internationale et plus particulièrement à l’Organisation Maritime Internationale (OMI).

Juin 2009

PROBLÈMES DE SÉCURITÉ POSÉS
PAR LES GRANDS PORTE-CONTENEURS MODERNES


Exploitation et maintenance

L’Académie de marine s’est intéressée au phénomène du gigantisme qui, ces dernières décennies, a touché la construction navale et le transport maritime. Nous avons vu ce processus s’enclencher pour les pétroliers dans les années 60 et cette course au gigantisme s’est traduite par des accidents qui ont conduit à revoir la conception d’éléments importants de la structure. Pour les vraquiers, sans qu’il s’agisse à proprement parler de problèmes liés au gigantisme, il faut rappeler la lenteur avec laquelle la communauté maritime internationale a pris conscience des faiblesses de structure et du manque d’entretien de certains types de navires qui ont été à l’origine de nombreux accidents et de la perte de plus de deux cents vies humaines. De nouveaux règlements de sécurité ont heureusement mis fin à cette situation, mais cela a pris du temps.
Au cours des vingt dernières années, ce sont les navires porte-conteneurs qui ont subi la plus forte augmentation de capacité unitaire de la flotte marchande, passant d’un maximum de 2 000 EVP en 1980 à 13 500 EVP en 2008. Sur des projets concernant des unités de18 000 EVP, sans doute mis en veilleuse du fait de la crise économique actuelle, les dimensions sont proches de celles des pétroliers de 550 000 tdw, plus grands navires marchands jamais construits (L 414 m, B 63 m, C 36 m).

La conception des grands porte-conteneurs

Il est important de noter que cette gamme de navires s’inspire d’un concept unique, tant sur le plan de la coque que sur celui de l’appareil propulsif ou celui des équipements de manutention : ponts largement ouverts et dégageant une surface libre maximale pour les piles de conteneurs, une seule ligne d’arbre propulsée par un moteur Diesel lent, conteneurs répartis en pontée sur 6 ou 7 piles.
Les problèmes auxquels ont été confrontés les architectes navals ont donc été de même nature, leur degré de complexité et de sévérité ne pouvant que croître avec la taille des navires.

La structure

Ces navires à pont ouvert sont soumis à des efforts de flexion longitudinale et de torsion transversale considérables qui nécessitent des analyses fines combinant les puissants moyens de calcul mis à la disposition des bureaux d’études et les résultats de programmes de recherche sur les chargements des navires et leur comportement sur houle.

Les formes de carènes

Elles sont étudiées pour des vitesses de l’ordre de 25 ou 26 nœuds. Les formes avant et la voûte arrière doivent permettre l’implantation du maximum de piles de conteneurs ; très évasées, elles sont sensibles aux coups de balastes (slamming) et aux vibrations de la coque dues à la résonnance avec la fréquence des vagues (springing).
Ce type de formes a donné naissance, dans certaines conditions de vitesse et de route combinées à des conditions de mer bien spécifiques, à un phénomène de mouvement de roulis pouvant atteindre et dépasser brutalement 30°. Ce roulis « paramétrique » est à l’origine de plusieurs graves incidents sur les grands porte-conteneurs, heureusement limités à des dégâts matériels. C’est ainsi que l’on perd à la mer plus de 10 000 conteneurs par an. Mais il y a également le risque de chavirement, du fait des variations importantes du module de stabilité transversale, et cela peut se solder par la perte de vies humaines.

Le saisissage

La répartition du chargement de ces milliers de boîtes est effectuée par le planificateur de chargement (ship planner) à terre mais le bord reste responsable. Des logiciels de chargement et de stabilité performants existent, mais de nombreuses incertitudes demeurent sur les masses et les centres de gravité individuels des conteneurs, ainsi que sur leur répartition à bord en tant que « lots ».
Sur ces navires, les conteneurs sont répartis sur le pont en 20 rangées transversales et en piles verticales de 6 ou 7 unités (valeurs maximales actuelles). Il en résulte de grandes difficultés de saisissage, les unités au-dessus du troisième ou quatrième conteneur au-dessus du pont n’étant maintenues que par des verrous, manuels ou automatiques. D’où, avec les accélérations dues au roulis, des risques de ripage, d’effondrement des piles et de perte d’un grand nombre de conteneurs. Ces conteneurs, flottant souvent entre deux eaux, constituent d’ailleurs un danger certain pour la navigation et on a émis l’hypothèse qu’ils étaient à l’origine de plusieurs naufrages de chalutiers de haute mer.

La conduite nautique

La conduite nautique de ces grands navires présente de réelles difficultés pour le personnel responsable de la navigation. Placés dans une passerelle en général totalement fermée et située à quelque 200 m de l’avant, ces responsables n’ont pas une appréhension suffisante du comportement du navire dans son élément, habitués qu’ils sont à voir « onduler » la couche supérieure de conteneurs au gré des mouvements de plate-forme. Leur recherche d’une meilleure route peut les conduire, faute d’éléments concrets d’appréciation, à des solutions favorisant la naissance de roulis paramétrique, mettant en danger le navire et son équipage.

Les mesures qui seraient à prendre

Dans cette présentation, nous avons identifié un certain nombre de risques associés à l’exploitation de ces grands porte-conteneurs. Bien qu’ayant bénéficié des derniers progrès technologiques en matière d’architecture navale, moyens de calculs, programmes de recherche, campagnes d’expérimentation, et bien qu’étant mis en oeuvre par des armateurs conscients de leurs responsabilités et ayant engagé de leur côté les investissements en hommes et en équipements, ces navires sont susceptibles d’être à l’origine de graves accidents, pertes de vies humaines, pollution (un navire de cette taille avec son fardage, ne pourrait probablement pas être pris en remorque au large d’Ouessant par force 9 ou 10 et s’échouerait sur les côtes bretonnes), pertes de conteneurs identifiés comme des dangers à la navigation des petits navires.
Aussi la communauté maritime internationale devrait-elle prendre certaines mesures de sécurité. Comme rappelé au paragraphe précédent, ces navires en sont aux premières années de leur exploitation et seuls les grands armements en ont l’expérience. Avec les années apparaîtront d’autres opérateurs moins soucieux de la fiabilité et de la sécurité de leurs navires. Avec les années également, les structures métalliques, dont l’échantillonnage a été optimisé grâce aux méthodes scientifiques utilisées lors de la conception, se révéleront plus sensibles à la fatigue. Ces grands navires sont en effet soumis à des phénomènes dynamiques importants qui ont leur effet sur la tenue en fatigue des éléments de structure et il y a donc lieu de se préparer à définir et à adopter une politique de maintenance rigoureuse et reposant sur de nouvelles bases associant calculs et inspections visuelles.

Les mesures concrètes que nous recommandons sont les suivantes :
- L’installation d’un système d’instrumentation de la coque métallique simple et facilement exploitable, qui évalue en temps réel les niveaux de contrainte. L’enregistrement de ces contraintes permettrait de suivre la consommation du potentiel de fatigue évalué au neuvage.
- L’installation en passerelle d’un système d’aide à la décision (SAD), analysant le comportement de la plate-forme et informant les responsables des situations dangereuses. Ces deux systèmes donnent à ces responsables les moyens de choisir les routes et les vitesses les mieux adaptées à la situation.
- Ces navires comportent un très grand fardage et ils devraient être dotés, comme les grands pétroliers, de dispositifs de prise de remorque rapides, tant à l’avant qu’à l’arrière.
- On devrait étudier la possibilité d’installer des stabilisateurs passifs, fonctionnant à faible vitesse.
- Enfin, la complexité des installations propres aux porte-conteneurs - SAD, enregistreurs de contrainte, évaluation de la stabilité en temps réel, sécurité des systèmes de saisissage - nous semble devoir s’accompagner d’actions de formation spécifique pour le personnel, à terre et à bord, dans les écoles tout d’abord, ensuite par des sessions de simulateurs et par des stages à bord.

C&M 3 2008-2009

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