Éloge

Séance du 15 mars 2021

Eloge du commissaire général de la Marine Michel Renvoisé

Cet éloge est prononcé par Xavier de la Gorce, président de l’Académie de Marine



Le commissaire général Renvoisé, que nous appellerons par la suite Michel Renvoisé puis finalement Michel pour lui témoigner notre attachement indéfectible est né à Brest le 14 novembre 1934.

L’époque était troublée, en Allemagne, en Italie et même en France où le Petit Journal posait à ses lecteurs la curieuse et inquiétante question de savoir « Quel dictateur conviendrait à la France ?».


De cette ambiance délétère le jeune Michel, tout juste éclos, est quant à lui protégé, par son innocence bien sûr mais aussi par la béatitude liée à son patronyme. Le nom de Renvoisé renvoie en effet- cela ne s’invente pas- à envoisier qui veut dire se réjouir, s’amuser… ou encore s’adonner au plaisir. br>


Ceux qui l’ont bien connu conviendront, au moins sur ce dernier point, qu’il a bien caché son jeu tant il cultivait une pudeur naturelle voire une forme de jansénisme que ne venaient distraire que la musique et la littérature !



Revenons un temps en arrière - 1000 ans, pas moins- où l’on retrouve une cellule souche de sa famille paternelle portant le beau nom de Marigny. Il semble qu’il lui arrivât malheur mais autres temps autres mœurs. Il reste l’Hôtel du même nom, ce qui n’est pas rien.



De manière plus contemporaine, la famille de Michel a été celle de la synthèse, une variété de syncrétisme marin où se mêlent amiraux, ingénieurs, contrôleurs et commissaires.

Nul doute que si la Marine avait compté des prélats, nous y aurions trouvé un Renvoisé. Peut-être même Michel qui aurait alors fini sa carrière paré de pourpre plutôt que de loutre.

Ne disait-on pas d’ailleurs qu’il avait des airs de chanoine chattemite ?



Mais revenons-en à notre sujet.

Michel Renvoisé ne se contente pas de naître.

Après ses études à Brest et à Paris, il embouquera la voie professionnelle toute tracée par la tradition familiale. Ce sera la Marine.

C’est ainsi qu’il entre à l’Ecole du commissariat en octobre 1957.

A l’issue de sa formation, après la campagne d’application à bord du croiseur Jeanne d’Arc, il embarque successivement sur deux escorteurs d’escadre, le Chevalier Paul et La Galissonnière, restée chère à mon cœur puisque ce fût mon premier embarquement.
Muté en 1962 et pour quelques mois seulement à Mers el Kébir, il rejoint très vite à Toulon la Légion, non point étrangère- restons raisonnables…- mais de gendarmerie. Nommé commissaire du croiseur anti-aérien De Grasse en mars 1964, il est muté la même année à bord de la Jeanne d’Arc en qualité de chef de cabinet du commandant, fonction dans laquelle il excelle. Ce sera ensuite le groupe Montcalm, l’Arromanches et la base des sous-marins de Toulon.

Vient septembre 1968 : alors que le printemps agité l’a épargné, il est nommé chef de cabinet du directeur du commissariat à Toulon, un brillant polytechnicien, pardon pour ce pléonasme, dont je me souviens qu’il portait monocle et du fait qu’il apprenait ses discours par cœur avant de les délivrer à un public admiratif.

Nul doute que les dames tombées en pâmoison le devaient aussi à la plume de Michel. Peut-être est-ce aussi devant tant de confusion qu’il resta sa vie durant célibataire bien que courtisé.

Breveté de l’école supérieure de guerre navale en 1972, il est nommé à la direction centrale du commissariat de la Marine avant de revenir une nouvelle fois à Toulon en qualité de sous-directeur de l’Ecole.

Puis ce sera Brest au sein de la direction du commissariat avant un nouveau retour à Toulon pour prendre les fonctions de directeur de l’Ecole qu’il connaît déjà si bien.
Au mitan des années 80 il rejoint la préfecture maritime pour y exercer les fonctions de chef de bureau des affaires civiles de la mer et, à ce titre, se pose en acteur majeur de l’exercice des nouvelles responsabilités confiées au préfet maritime.

Promu commissaire général, il prend la direction du Cotentin puis du Finistère, tous deux « pays de brumes et de vents en bataille » chers à Xavier Grall.

Il retrouve là, sur les pas de Mac Orlan, l’enchantement de son profond attachement à la Bretagne.



Son dernier havre, conçu comme refuge sûr sinon tranquille, point d’orgue d’une vie professionnelle « riche, abondante et variée » comme on le disait de la nourriture du marin, sera l’Inspection du commissariat de la Marine, tour de contrôle ou sémaphore, comme l’on voudra, sur un corps qu’il habitait et incarnait avec noblesse et talent.



Commandeur de l’Ordre national du Mérite, Officier de la Légion d’Honneur, Officier du Mérite maritime, Chevalier des palmes académiques, autant de décorations qui illustrent à leur manière cette brillante carrière dans toute sa diversité.



Mais la 2ème section n’est point la retraite et Michel Renvoisé choisira de s’impliquer dans des activités qui « font sens », comme l’on dit aujourd’hui.

Ce sera l’Association nationale des commissaires de la Marine, veillant à préserver l’esprit de corps et de solidarité de ses camarades de toutes générations pour lesquels il était un modèle incontesté.

Nos camarades commissaires n’oublieront pas non plus les voyages qu’il a organisés pendant 25 ans avec un soin et une exigence de qualité qui étaient sa marque et comblaient les attentes culturelles autant qu’amicales de chacun de Saint-Pétersbourg au bassin méditerranéen ou de Berlin au Canada.



Ce sera aussi l’Association pour le développement des œuvres sociales de la Marine -l’ADOSM- que nous connaissons bien et soutenons avec constance. C’était pour lui une autre manière de marquer son attachement à l’institution qui avait été le creuset de son épanouissement personnel et professionnel.

Qui d’entre nous ne l’a pas croisé tout au long de ces journées d’entraide où il tenait à saluer chacun d’un sourire engageant à… la générosité ?

Il y excellait en empathie et en urbanité.



Et je n’oublie pas combien il a marqué la Société nationale de sauvetage en mer dont il a été un acteur et un prosélyte infatigable.

Je pourrais, et pour cause, en parler longuement.

Je mentionnerai simplement deux extraits d’un hommage qui lui a été rendu par les sauveteurs :


Je cite :



« Tous ceux qui l’ont connu et côtoyé ont en mémoire l’attention et le respect qu’il portait aux autres avec tant d’élégance et de courtoisie … »



« Un homme de bien qui (…) savait transcrire et faire partager naturellement toute l’estime et l’admiration qu’il portait aux sauveteurs ».



Cette élégance et cette courtoisie, associées à une large ouverture d’esprit et une grande rigueur intellectuelle, ont fortement marqué notre compagnie qu’il avait rejointe en l’an 2000 au sein de la section Histoire, Lettres et Arts, y apportant le fruit d’une grande culture et le goût de l’esthétique.


Le choix de cette section de gens d’arts et de lettres n’était pas neutre. En témoigna peu après sa disparition la découverte dans une anonyme cantine Marine d’un trésor littéraire caché que même ses plus proches ignoraient : pas moins de 20 nouvelles et romans où il fendait l’armure, laissant à voir la personne privée, toute faite de sensibilité, dissimulée derrière le paravent, la « carapace lissée » selon la belle expression du général Bentegeat, du personnage public. Il avait même retenu à cette occasion l’intérêt des comités de lecture de Gallimard, de Grasset et du Seuil.



« Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes
Les ailes de mon âme à tous les vents des mers
Les voiles emportaient ma pensée avec elles
Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers.



Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie
Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin
Des continents de vie et des îles de joie
Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main »




On reconnaîtra là « Les Voiles » de Lamartine, propos intimistes qu’il n’eût pas désavoués.


J’ai bien connu Michel et je remercie l’amiral Doniol d’avoir accepté de prononcer l’éloge de l’amiral Brem qui m’échoyait, pour me permettre d’honorer la mémoire d’un grand ancien avec lequel j’ai enchevêtré mon ADN pendant 50 ans, à l’Ecole, sur La Galissonnière, sur la Jeanne d’Arc, dans l’action de l’Etat en mer, à la SNSM et au sein de notre Compagnie.


Lui rendant hommage à Saint Pierre de Neuilly lors de ses obsèques, je disais que nous avions alors été frappés de stupeur par sa disparition soudaine, tant Michel nous paraissait immortel.

Comment celui qui nous avait fait oublier que les ans marquent nos traits, tant les siens paraissaient traverser le temps sans rides, pouvait-il nous abandonner si brutalement ?
Il l’avait pourtant fait. Avec prestance et discrétion, à son image.

A son frère Jacques, à ses neveux et nièces auxquels il était profondément attaché, je veux seulement dire que Michel a été un grand monsieur, un exemple, une référence.
De longues années encore, assis au pied du phare de la Pointe Saint Mathieu, à l’ouvert de la rade de Brest qu’il chérissait tant, on se souviendra de l’onde noire qui le happa un jour d’octobre 2018 et l’on dira : « C’était Renvoisé ».





Xavier de la Gorce


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