Conférences

L’épave de la Jeanne-Elisabeth (1755) :
un témoin de la circulation monétaire au XVIIIème siècle

Mme Marine Jaouen

Jérôme Jambu

Technicien de recherche en archéologie sous-marine au ministère de la Culture
Conservateur chargé des collections de monnaies étrangères à la Bibliothèque nationale de France

Le 15-05-2019

A la demande de notre confrère Michel L’Hour, membre de la section Histoire, lettres et arts, Mme Marine Jaouen, technicien de recherche en archéologie sous-marine au ministère de la Culture et M. Jérôme Jambu, conservateur chargé des collections de monnaies étrangères à la Bibliothèque nationale de France, ont bien voulu présenter devant l’Académie les premiers résultats de la fouille archéologique d’une épave suédoise naufragée en 1755 sur la côte languedocienne.

Elle a été découverte et saccagée en 2006 par des pilleurs qui se sont emparés de 18 000 pièces d’argent pour une valeur de 350 000 €. Cette action clandestine, rapidement réprimée et lourdement sanctionnée, a conduit le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines du ministère de la Culture à engager une fouille méthodique.


Le voyage et le naufrage

La Jeanne-Elisabeth est une frégate suédoise de commerce portant 200 tonneaux, construite dans le chantier du port de Wolgast au sud de la Baltique et lancé en 1754. Partie en juin 1755 de Stockholm avec une cargaison de brai elle se rend à Cadix ; elle appareille de ce port le 30 octobre de la même année avec une cargaison chargée par la société Verduc, Vincent et Compagnie (Malouins établis à Cadix) pour l’envoyer à la maison Pierre Honoré Roux et fils à Marseille. Dans la période de vive tension entre la France et la Grande-Bretagne précédant l’ouverture des hostilités de la guerre de Sept-Ans ces négociants français ont donc recours à un pavillon neutre.

Le chargement se compose d’environ 200 t de blé en sacs, d’un peu de cochenille, d’indigo, de piastres et de vaisselle d’argent.

Prise dans une tempête, la Jeanne-Elisabeth est jetée à la côte près de Villeneuve-lès-Maguelone dans la nuit du 14 au 15 novembre 1755. Les neuf marins suédois et huit des dix passagers pris à Cadix parviennent à gagner la côte ; deux passagers se noient.

En 1755 et 1756 les armateurs tentent de récupérer la cargaison et en particulier de faire « repêcher les sacs ». Ils n’y parviennent pas.

Résultats des fouilles

Les opérations archéologiques de terrain conduites depuis 2014 apportent une documentation originale. D’abord elles permettent d’apprécier l’originalité de la construction navale en Baltique dans l’élaboration des assemblages ainsi que l’influence des Britanniques marquée dans l’agencement de la vaigre et celle des Hollandais dans la disposition des couples afin de restreindre le tirant d’eau. On n’est pas surpris par la présence de canons suédois.

On a trouvé quelques éléments de culture matérielle comme une bourse en cuir contenant 17 pièces de monnaie et un sceau ou bague, des fragments de porcelaine de Chine et la couverture d’un livre relié portant Mémoires du comte de Brienne.

Il y avait à bord 24 360 pièces d’argent « à la marque d’Espagne », dont 4 178 ont été découvertes par les archéologues. Toutes sont des « piastres » de 4 ou de 8 réaux provenant des ateliers monétaires espagnols du Mexique, de Colombie (extraction de la « montagne d’argent » du Potosi) et du Pérou. Quelques autres ont été récupérées après le pillage et sont encore sous scellés de justice.

Ces monnaies, disposées en rouleaux ou en piles pour les pièces de 8 réaux et en vrac pour les pièces de 4 réaux dont la forme est irrégulière, étaient conditionnées dans des sacs de toile dissimulés parmi les sacs de blé. Elles ont été bien conservées lorsqu’elles se sont trouvées au centre des sacs ; elles sont en mauvais état par formation de sulfate d’argent et d’oxydation des autres métaux lorsqu’elles sont sur le bord des sacs. Chaque « pièce de 8 » pèse 27 grammes et il s’agit toujours d’un alliage au titre de 80 % d’argent et 20 % de cuivre. L’argent est d’excellente qualité et le titre des monnaies est homogène.

On constate avec surprise que la plupart des pièces ont été frappées en 1754, quelques-unes même en 1755, alors que le navire fait naufrage au mois de novembre de cette même année. Tout cela montre la rapidité des échanges entre l’Amérique et l’Europe, les colonies espagnoles étant parfaitement inscrites dans l’économie mondiale.

Cette découverte confirme le volume considérable des échanges. En Europe, une partie de ces piastres reçues depuis l’Amérique sont fondues dans les ateliers monétaires et entrent dans la circulation monétaire, d’autres sont utilisées pour la construction de l’argenterie et du fil d’argent très recherché en Europe et en Asie pour orner les vêtements ; de grandes quantités de piastres sont envoyées par ailleurs en Asie où elles sont utilisées pour acheter des épices, du thé, des cotonnades et des porcelaines. Fondues et monnayées elles entrent dans la circulation monétaire des pays d’Orient.



Débat

Q. Pourquoi le chantier archéologique a-t-il été ouvert aussi tardivement ? R. L’épave est enfouie dans un banc de sable très mobile et en 2008 elle était dégagée ; actuellement elle est enfouie sous trois mètres de sable.

Q. Ces découvertes seront-elles exposées ? R. Oui. Il est prévu de les confier au Musée de l’Ephèbe d’Agde qui en organisera la présentation.

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