Conférences

L’arbitrage maritime

Philippe Delebecque
Professeur à l’Université de Paris-I

Le 21-11-2018

Notre confrère Philippe Delebecque, professeur à l’Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne), a bien voulu accepter de nous présenter l’activité de la chambre arbitrale maritime de Paris, dont il est le président.

1. L’arbitrage est très largement consubstantiel au droit maritime1. L’Ordonnance de la Marine de 1681 en fait état (notamment dans le livre étonnamment moderne consacré aux assurances) et l’envisage comme le mode de règlement naturel des litiges de caractère maritime. Depuis, l’arbitrage n’a cessé de se développer au sein de chambres, pour la plupart professionnelles. La place de Londres (London Maritime Arbitrators Association, LMAA) est la plus importante, avant celle de New York (Society of Maritime Arbitrators, SMA), celle de Rotterdam (Transport and Maritime Arbitration Rotterdam-Amsterdam, TAMARA), de Hambourg (German Maritime Arbitration Association, GMAA), de Tokyo (Tokyo Maritime Arbitration Commission of The Japan Shipping Exchange, TOMAC) et de Paris (Chambre Arbitrale Maritime de Paris, CAMP). Paris, précisément, conserve son rang car, si les affaires enregistrées sont un peu moins nombreuses que par le passé, elles sont en revanche plus importantes.

2. De même que le droit maritime reste un droit original2, de même l’arbitrage maritime a une certaine spécificité. Sans doute obéit-il aux principes essentiels du droit de l’arbitrage (respect du contradictoire, impartialité et indépendance des arbitres, obligation de célérité et de loyauté) ; pour autant, il conserve par la nature des choses une originalité qui tient à son caractère professionnel et à la large place laissée aux usages et spécialement aux usages du commerce maritime qui est, par essence, un commerce international. Il est certain que l’on ne peut s’engager dans l’arbitrage maritime si on ne sait pas ce qu’est un « safe port », ce que sont des « demurrage » et surtout comment et quand ils fonctionnent ou encore si on ne sait pas lire une charte-partie. Cette professionnalisation de l’arbitrage est, en l’occurrence, essentielle et les praticiens la réclament. Ce caractère permet de comprendre que l’arbitrage maritime est particulièrement adapté à la sociologie maritime où le respect de la parole et la bonne foi contractuelle sont encore des valeurs. Les marins sont des hommes de parole et des hommes de bon sens. Le contrat et la bonne foi restent pour eux des données essentielles. Ainsi l’arbitrage maritime est-il encore promis à un bel avenir.

3. Dans les développements qui suivent, nous présenterons l’institution de la CAMP, avant d’évoquer quelques questions de procédure, puis de fond.

I. L’institution d’arbitrage et sa procédure

A. L’institution d’arbitrage

4. L’arbitrage est une justice privée d’origine et de nature contractuelle. Les arbitres sont des juges car ils ont pour mission de trancher un litige qui oppose les parties et pour lequel les parties leur ont donné compétence. Les arbitres sont compétents pour trancher un litige dans la mesure où les parties en litige l’ont accepté. Le plus souvent, les parties ont prévu cette compétence dans le contrat qui les lie et qui constitue la trame de leurs relations d’affaires : très souvent les contrats maritimes contiennent une clause d’arbitrage, appelé encore clause compromissoire, stipulant qu’en cas de litige portant sur leurs relations contractuelles les parties auront recours à l’arbitrage. Il est fréquent qu’une clause dans une charte-partie précise : « en cas de différend portant sur la conclusion ou l’exécution du contrat, les parties conviennent que ce différend sera tranché par voie d’arbitrage devant (telle ou telle chambre d’arbitrage) ». La clause compromissoire est donc la clause par laquelle les parties à un contrat acceptent de voir régler par voie d’arbitrage le ou les litiges pouvant survenir dans le cadre de leur contrat. Cette clause est parfaitement valable (cf. C. civ. art. 2061). Une fois le litige né, les parties peuvent également accepter dans un compromis (cf. C. civ. art. 2060) de porter leur différend devant des arbitres.

5. La CAMP (Chambre arbitrale maritime de Paris) est une chambre d’arbitrage professionnelle qui a pour vocation d’organiser des arbitrages en matière maritime, ce qui renvoie aux litiges en matière d’affrètement, de transport, de construction ou de vente de navires, d’assistance, d’assurances, de commission, d’agence maritime, … Tous les litiges nés dans le cadre de contrats maritimes peuvent être réglés par voie d’arbitrage devant la CAMP. Il s’agit, le plus souvent, d’affaires concernant les affrètements à temps ou au voyage portant sur l’interprétation d’une clause de la charte-partie, sur la répartition des frais entre le fréteur et l’affréteur ou encore sur l’indemnisation réclamée en cas de dommages affectant des marchandises transportées d’un bout du monde à l’autre. L’arbitrage en application de la clause compromissoire ou du compromis lie les parties. C’est sur la base de la clause compromissoire ou encore du compromis d’arbitrage que l’on « va en arbitrage ».

6. L’administration de l’arbitrage se fera en application du règlement de la Chambre3 auquel les parties sont censées s’être référées dès l’instant qu’elles ont accepté la compétence de la Chambre. Ce règlement reprend bien naturellement les principes essentiels de l’arbitrage qui sont aujourd’hui fixés, en droit français, par le code de procédure civile dont les textes ont été modernisés en 2011 et qui reflètent parfaitement les exigences de tout arbitrage : indépendance, loyauté, respect des droits de la défense, confidentialité, qualité et expertise des sentences. La procédure est simple : elle est, en principe, orale, comme devant les Tribunaux de commerce. Mais, dans la pratique, le plus souvent les prétentions des parties sont contenues dans des mémoires écrits, accompagnés de toutes les pièces justificatives et présentés par des avocats (même si la représentation par avocat n’est pas obligatoire). Une fois les mémoires déposés, une fois les arbitres désignés par chacune des parties, le Tribunal sera constitué, son Président étant nommé par le Comité de la Chambre. L’instance sera alors engagée et se déroulera d’une manière contradictoire y compris, bien naturellement, lors de l’audience. L’affaire sera ensuite mise en délibéré et les arbitres devront rendre leur sentence, c’est-à-dire trancher le litige qui leur a été soumis, exactement comme peuvent et doivent le faire des juges professionnels. La sentence, qui est un jugement, va s’imposer aux parties.

7. Les arbitres de la CAMP se répartissent en trois catégories : les praticiens, les juristes et les techniciens. Les premiers représentent le monde maritime professionnel : armateurs, affréteurs, courtiers, assureurs, agents maritimes, transitaires, pilotes, professionnels du remorquage et de l’assistance, navigants, capitaines et hommes d’équipage, … autant de personnes impliquées dans les opérations maritimes commerciales. La deuxième catégorie comprend les juristes du monde maritime : professeurs de droit spécialisés dans la matière, avocats, anciens magistrats, juristes d’entreprises et de compagnies maritimes. Les arbitres de la Chambre sont enfin des techniciens, des experts, des ingénieurs du génie maritime, … Il est très important qu’il y ait dans un collège arbitral des hommes ou des femmes du métier, des personnes de l’art, des gens qui connaissent les usages du milieu et qui savent de quoi ils parlent. L’un des intérêts de l’arbitrage du reste est de disposer d’experts, si bien qu’il n’est plus nécessaire de faire appel à un tiers, sachant, pour éclairer le Tribunal. Les experts sont déjà au sein du Tribunal. Naturellement, le Comité de la Chambre, lors de la désignation du Président du collège arbitral, veille à un équilibre. Si les parties ont nommé deux professionnels, le choix du Comité se portera plutôt sur un juriste, de manière que les questions de droit et de procédure, parfois difficiles, soient parfaitement maîtrisées. Lorsqu’un juriste a déjà été nommé par l’une des parties, il est alors opportun d’instituer comme Président un praticien qui saura apporter au Tribunal sa connaissance technique du milieu.

B. La procédure

8. Les arbitres maritimes sont souvent confrontés à des questions de procédure tenant à des demandes d’expertise, à des mesures conservatoires, à la prescription, à l’intérêt pour agir et naturellement à leur propre compétence. Souvent, ces questions sont posées pour masquer les problèmes de fond, pour éviter d’avoir à l’aborder et pour gagner du temps. Ce n’est, bien entendu, pas toujours le cas et parfois les arguments tirés de la procédure sont on ne peut plus sérieux. Il faut naturellement les examiner avec la plus grande attention. En tout cas, lorsque les arbitres comprennent que les parties cherchent à faire du juridisme, ils savent couper court et aller à l’essentiel. C’est sans doute pourquoi les irrecevabilités soulevées pour contrer les subrogations des assureurs sont aujourd’hui plus rares. Les arbitres ne se sont jamais laissés abuser par l’argumentation consistant à dire que les conditions de la subrogation légale ou conventionnelle sont irrégulières.4

9. Les questions de compétence sont plus délicates : l’efficacité des clauses compromissoires par référence ne va pas de soi, de même que la circulation de la clause dans des chaînes de contrats. Il en va encore de l’opposabilité de la clause au réceptionnaire. Aujourd’hui, les difficultés sont, en grande partie, apaisées, dans la mesure où le principe « compétence-compétence », systématisé par la jurisprudence contemporaine5, conduit les arbitres à se prononcer en priorité sur leur compétence et à la retenir dans la grande majorité des cas. Les arbitres maritimes veillent cependant à ne pas faire preuve de systématisme car ils ont parfaitement compris que ce n’était pas rendre service à l’arbitrage que de l’admettre en forçant la volonté des parties. L’idée que l’on pourrait présumer le consentement à la clause d’arbitrage n’a pas la faveur des arbitres maritimes. Avec le consentement, on aborde des questions de fond.

II. Les questions de fond

10. L’arbitrage maritime est très respectueux de la liberté contractuelle. Ce qui se comprend parce que l’arbitrage maritime est par essence international et que la parole donnée y a, peut-être encore plus qu’ailleurs, une place essentielle. C’est ce qui est la marque de l’arbitrage : faire respecter les engagements contractuels. Sur cette toile de fond, deux questions méritent d’être posées : 1° celle de l’avantage de l’arbitrage par rapport à la justice étatique (des tribunaux de commerce, des cours d’appel et de la Cour de cassation) ; 2° celle des avantages respectifs de l’arbitrage à Paris et de l’arbitrage à Londres.

1° Justice arbitrale vs Justice étatique

11. Trois exemples nous persuaderont de ce qu’en matière maritime la jurisprudence arbitrale est plus pertinente que la jurisprudence étatique, tout simplement parce que le contrat est sinon sacralisé du moins respecté par principe. En outre, la jurisprudence arbitrale démontre à travers nombre d’exemples combien elle a le sens des réalités.

a) Analyses

12. Le premier exemple révélant la force de la jurisprudence arbitrale porte sur la question de l’identification du transporteur. Lorsque le connaissement ne permet pas d’identifier le transporteur, la jurisprudence étatique voit dans le propriétaire du navire le transporteur6.

La jurisprudence arbitrale n’est pas aussi catégorique et cette approche est certainement plus fine (sur cette question, v. S. Lootgieter) L’affréteur à temps qui n’a pas émis le connaissement à son en-tête peut-il être identifié comme transporteur ? DMF 2012. 103 ; sentence CAMP n° 1144 du 31 août 2007 : « … les tiers porteurs du connaissement sans en-tête conservent la possibilité d’agir contre celui qu’ils considèrent comme le transporteur s’ils peuvent l’identifier. Pour le praticien, un transporteur maritime est un entrepreneur qui, en récompense d’un fret, organise le transport en instruisant les intervenants et en payant les frais du voyage. Si ce dernier n’est pas propriétaire du navire et se le procure aux termes d’une T/C (affrètement à temps), l’armateur propriétaire de ce navire n’en disposant plus commercialement n’est plus qu’un fournisseur de moyens. Les connaissements signés par le capitaine le sont au nom de l’affréteur à temps qui a acquis la gestion commerciale du navire et endossé la responsabilité attachée au transporteur. »

13. Le deuxième exemple tient aux clauses FIO (free in out stowed) par lesquelles le transporteur déclare qu’il n’entend pas assumer les obligations de chargement et de déchargement de la marchandise. Celles-ci sont considérées par la jurisprudence étatique française7 comme n’ayant aucune incidence sur la responsabilité du transporteur. La jurisprudence arbitrale n’est pas aussi systématique et admet ces clauses lorsqu’elles répondent à des besoins particuliers et s’expliquent par des situations de fait8. Là encore, la solution exprime mieux la volonté des parties.

14. Le troisième exemple a pour matière les conventions internationales. Il n’est pas rare que les chartes-parties fassent référence à une convention sur la responsabilité du transporteur maritime (Règles de La Haye ou Règles de La Haye Visby, demain Règles de Rotterdam). Ce renvoi à une convention impérative, comme le sont les conventions relatives au transport, implique-t-il une soumission à l’instrument international ou faut-il le considérer comme une simple incorporation conduisant à une combinaison des termes de la convention et des clauses de la charte-partie ? Dans deux sentences, au moins, les arbitres de la CAMP ont conclu à l’idée d’incorporation9, au demeurant beaucoup plus respectueuse de la volonté des parties que celle de soumission très rigide pourtant retenue par la Cour de cassation.10

b) Le sens des réalités

15. La liberté contractuelle est valorisée dans l’arbitrage ou par l’arbitrage maritime, ce qui ne signifie pas que l’arbitrage maritime soit aveuglément libéral voire ultra-libéral. S’il respecte la volonté des parties, ce n’est pas au prix d’un oubli du bon sens. La liberté contractuelle est sans doute valorisée, mais elle est en même temps canalisée par les exigences de la bonne foi et des usages. L’arbitrage maritime est un arbitrage professionnel, conçu par des professionnels et pour les professionnels. D’où un creuset d’inspiration pour les arbitres. Même si le contrat est clair, les impératifs de la pratique, et plus généralement du bon sens, demeurent. Cette donnée s’inscrit en filigrane dans de nombreuses décisions et dans la façon de comprendre les espèces. L’observation se vérifie assez facilement.

16. Une analyse très attentive de la « jurisprudence arbitrale maritime » démontrerait certainement l’importance des usages et de la pratique professionnelle que seuls des arbitres issus ou familiers du monde maritime peuvent connaître. N’ont-ils pas, par exemple, considéré qu’il était « de bonne gestion de constituer, sur wagons au port de chargement, un stock de sécurité permettant une mise à bord immédiate sans subir de temps mort dû aux délais de constitution de train complet et à la durée du transport ferroviaire »11 ? Les exemples de ce type pourraient être multipliés12. D’autres sont plus symptomatiques encore.

17. Ainsi ne saurait-on passer sous silence les deux importantes sentences de la CAMP rendues à propos des clauses de Hardship. Dans les deux cas, bien que les parties, les trafics en cause, les contrats et les chartes parties d’application fussent différents, la clause de chacun des contrats était rédigée en des termes identiques. En substance, la clause prévoyait que si la survenance d’événements imprévus donnait un avantage déraisonnable à l’une des parties ou causait un préjudice important à l’autre, la partie lésée en informerait l’autre par notification écrite, les parties ayant l’obligation de se rencontrer dans les 30 jours pour tenter de trouver une solution appropriée et continuer le contrat. La clause ajoutait qu’à défaut d’accord dans les 60 jours après la notification, la partie lésée pouvait aller en arbitrage, étant précisé que les fluctuations du marché des frets n’étaient pas considérées à elles seules comme constitutives d’un hardship. Dans les deux cas, les arbitres ont décidé que l’augmentation du taux de fret si important fût-il, ne pouvait justifier le hardship dans la mesure où ce fret avait été librement négocié et accepté13. Ces deux sentences illustrent parfaitement le sens des réalités dont les arbitres maritimes savent faire preuve.

18. De même en est-il lorsque se pose un problème d’articulation entre la vente et le transport, ces deux contrats étant, en principe, distincts. La sentence « Djebel El Honk » est à cet égard particulièrement instructive. La clause 47 d’une charte-partie au voyage donnait à l’affréteur le droit de requérir la livraison sans connaissements originaux dans l’hypothèse où ceux-ci n’étaient pas disponibles au port de décharge, l’armateur acceptant de son côté de livrer la marchandise. L’affréteur entendait s’en prévaloir, alors qu’il n’avait pas payé la marchandise. L’armateur qui avait connaissance de la situation, s’était cependant refusé à livrer la marchandise. Comment fallait-il comprendre la clause : comme conférant un droit absolu à l’affréteur d’obtenir que la marchandise soit livrée quelles que soient les circonstances ? Ou plus raisonnablement comme ne permettant aux parties que d’anticiper sur le cas très courant où la transmission des connaissements a subi un retard ? C’est cette seconde interprétation que les arbitres ont retenue : « autant il est compréhensible qu’un armateur puisse convenir par avance et à titre commercial de la mise en place d’un aménagement de la livraison pour remédier provisoirement au retard dans l’acheminement des documents originaux, autant il serait hardi de vouloir donner à la clause 47 une portée qu’elle n’a pas en étendant cette acceptation de livrer aux cas où un contentieux s’est manifesté. » Pour les arbitres, la clause ne pouvait être conçue comme un « moyen de frauder les droits d’un tiers porteur du connaissement en prévoyant de lui soustraire conventionnellement son gage par un acte volontairement fautif de l’armateur inéluctablement condamnable et sans couverture d’assurance possible. »14
19. Citons pour rendre compte encore du bon sens marquant les sentences arbitrales ce dernier exemple (sentence CAMP Palembang) concernant un affrètement au voyage conclu en vue du transport et de l’installation d’une hydrolienne en mer. La C/P au voyage a été utilisée en l’espèce comme un document contractuel pour des raisons commerciales. La question était de savoir si le contrat était une C/P uniquement par sa forme ou par son contenu, étant précisé que, selon les dispositions du code des transports et la doctrine : «l’affrètement est un louage de tout ou partie d’un navire… en vue de son exploitation maritime », « le fréteur devant présenter aux temps et lieu convenus, le navire convenu en bon état de navigabilité, […] maintenue tout au long du voyage, et […] faire toutes diligences […] pour exécuter les voyages prévus à la C/P ». Ces points n’étaient pas contestés, mais on se demandait si l’affrètement au voyage concernait seulement le transport de marchandises entre deux ports, l’affréteur devant payer au fréteur le fret tel que fixé à la C/P15 ou pouvait également régir la partie finale de l’opération, c’est-à-dire l’installation de l’hydrolienne sur site. Et les arbitres de décider : « étendre la notion d’affrètement au voyage au-delà de la dépose de l’hydrolienne sur le fond marin n’est pas pertinent ; l’inverse méconnaîtrait la nature de l’affrètement au voyage. Le fret est le prix d’un transport, et non le prix de prestations autres qu’un transport maritime. La notion de « fret acquis à tout évènement » ne saurait donc être dénaturée par extension à une opération de connexion qui – bien qu’incluse dans la C/P – n’est pas un transport. »

2° Paris ou Londres ?

20. On oppose parfois l’arbitrage maritime de common law et l’arbitrage maritime de civil law ; en somme l’arbitrage à Londres et l’arbitrage à Paris16. Il serait vain d’exagérer ces oppositions. Le plus souvent, ces sont des convergences que l’on observe ; ainsi en est-il à propos du sens qu’il faut donner à la notion de port sûr17 ; ou encore à celle de « loss payee clause »18. La « notice of readiness »19 est également lue et comprise de la même façon, ces questions étant avant tout techniques. On s’est également demandé quelle était la nature exacte du connaissement nominatif : véritable connaissement ou simple document de transport ? Cette fois-ci, c’est la jurisprudence anglaise qui s’est inspirée de la jurisprudence française en reconnaissant que ce connaissement était un véritable connaissement.

21. Pour autant, les divergences sont réelles sur un certain nombre de questions juridiques sensibles et notamment de responsabilité. Il est vrai, même s’il faut se garder de toutes systématisation, que la place de Londres est un peu plus favorable aux armateurs que ne peut l’être la place de Paris, où les armateurs et les affréteurs sont dans une situation de parfaite égalité. Deux exemples permettront de s’en convaincre.

22. Soit une charte-partie au voyage contenant une clause de « maximum safe speed ». Faut-il y voir une clause rappelant les obligations de l’armateur ou faut-il considérer qu’une telle clause en alourdit les obligations au point de transformer son obligation fondamentale en véritable obligation de résultat ? Ce point de vue, un peu déroutant pour des arbitres anglais, est pourtant celui qui paraît le plus pertinent et c’est bien celui que les arbitres français retiennent.20

23. Soit, par ailleurs, une clause précisant toujours dans une charte-partie au voyage que l’armateur « is not liable for any and all liability but not for gross negligence/wilful default ». « Any and all liability » comprend raisonnablement la responsabilité pourfaute légère, mais exclut la responsabilité pour faute lourde, de surcroît expressément écartée. Ce sera le point de vue d’un arbitre français qui admettra donc que cette stipulation exonère l’armateur des conséquences, non pas de sa faute lourde, mais certainement de sa faute simple. Un arbitre anglais, en revanche, sera tenté de dire que « the parties cannot have meant to exclude negligence as they know the rules of English law and choose not to write it expressly ». En droit anglais, en effet, l’argument a fortiori est difficilement admis, si bien que si la simple négligence n’est pas elle-même expressément exclue, la clause ne protègera pas l’armateur à qui l’on pourra reprocher une faute simple21.


+++

24. En conclusion, on observera une fois encore que l’arbitrage maritime est un arbitrage professionnel, conçu par des professionnels et pour les professionnels du secteur maritime. Respectueux des principes de l’arbitrage, spécialement du principe du contradictoire et du principe d’impartialité, il se construit patiemment en s’appuyant sur les usages du commerce maritime, sur sa pratique et sur sa jurisprudence. C’est à ce prix que la lex maritima qu’il forge et favorise est accueillie et acceptée par les armateurs, les courtiers, les affréteurs, les assureurs, les consignataires et tous les autres opérateurs du monde maritime. Mais sans aucun excès ni débordement. Ne quid nimis : on connaît la belle formule du philosophe portée au fronton du temple de Delphes. Elle s’inscrit aujourd’hui à l’Ecole militaire. Puisse-t-elle encore et toujours contenir la maxime de la chambre arbitrale maritime de Paris.







1V. Jambu-Merlin, L’arbitrage maritime, Mélanges Rodière, p. 401 s. ; Ch. Jarrosson, La spécificité de l’arbitrage maritime international, Il Diritto marittimo 2004, 444 ; Ph. D. L’arbitrage maritime contemporain : le point de vue français, Il Diritto marittimo, 2004, 435 ; L’arbitrage maritime international, in Le droit économique à l’aube du XXIè s., Pedone 2009, 167 ; encore, M. Papadatou, La convention d’arbitrage dans le contrat de transport maritime de marchandises : étude comparée des droits français, hellénique et anglais, thèse Paris 2, 2014.
2V. Droit maritime, Précis Dalloz, éd., 2014, Introduction. ; égal. MM. Bonassies et Scapel, Traité de droit maritime, 2ème éd., LGDJ 2010, n° 114.
3V. arbitrage.martitime.org
4V. par ex. Sentence CAMP, n° 1209
5Le juge judiciaire ne retrouve en effet sa compétence que dans les cas de nullité ou d’inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage : Cass. com. 7 avr. 2004, DMF 2004, 1033.
6Jurisprudence Vomar, v. MM. Bonassies et Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 3ème éd., n° 948 ; comp. Cass. com. 20 janv. 2009, Bull. civ. IV, n° 9, DMF 2009, 235.
7V. Tassel, Pratique et théorie : certitudes et incertitudes de la clause FIO du connaissement émis en exécution d’une charte-partie, Mélanges Scapel PUAM 2013, 355.
8Sentence CAMP n° 1123 du 27 déc. 2005 : cette clause n’est pas seulement financière, mais concerne l’économie du contrat de transport en précisant l’étendue des obligations du transporteur, à savoir prendre en charge la marchandise lorsqu’elle a été mise à bord et arrimée et la conduire en l’état au port de destination où il la mettra à disposition du destinataire pour qu’il la fasse décharger sans frais ni risques pour le navire ; égal. Sentence CAMP n° 1189 ; égal. F. Arradon, Vues sur mer : « FIO », un mode de transport défini en trois lettres, Gazette CAMP, n° 6.
9V. notam. Sentence CAMP n° 999, DMF 1999, 836.
10Cass. com. 4 févr. 1992, Rev. crit. DIP 1992, 495, note Lagarde.
11Sentence CAMP n° 1060 du 31 déc. 2001
12Cf. notam. sur le jeu des « liberties clauses », généralement soumis aux exigences de la bonne foi contractuelle, v. Sentence CAMP n° 660, DMF 1988, 53 ; MM. Bonassies et Scapel, op. cit., n° 771
13Sentence CAMP n° 1172 du 3 févr. 2010 ; n° 1179 du 3 déc. 2010. V. JY. Thomas, Les clauses de hardship sont-elles efficaces, Gazette CAMP, n° 27 ; Ph. D. Hardship clauses and exemption clauses in charter parties, ICMA XVIII, Vancouver 2012 ; égal. O. Cachard, Les clauses de hardship dans les contrats maritimes, prévisions et imprévision, DMF 2012, 399
14Sentence CAMP n° 1165 du 22 mai 2008.
15La C/P « HeavyLiftVoy » définissait le voyage entre le «loading port» (Brest) et «the installation area/Discharging port» (off Ouessant), et indiquait que le fret relatif au transport « correctement » effectué était dû et « acquis à tout événement ».
16V. F. Arradon, Arbitrage international à Paris et arbitrage à Paris selon la loi française, DMF 2004, 231 ; P. Bonassies, Brèves observations sur le développement de l’arbitrage en droit français, DMF 2004, 211 ; égal. B. Harris, L’évolution de l’arbitrage à Londres, Gazette CAMP, n° 17.
17La jurisprudence qui fait autorité est toujours « Eastern City » du 30 juill. 1958, v. notam. MM. Bonassies et Scapel, op. cit., n° 841.
18Sentence CAMP n° 1191
19V. notam. G. Rougier, La NOR, point de vue de l’armateur, Gazette CAMP, n° 33, p. 2 s. ; v. par ex. Sentence CAMP, n° 1208
20V. notam. Sentence CAMP, n° 1207
21C’est la fameuse et bien connue jurisprudence Canadian Steamship.

A venir

  Retour  

Copyright © 2011 Académie de marine. Tous droits réservés.