Conférences

Océanides, cinq années de recherches sur cinq mille ans d’histoire et ses principaux résultats

Christian Buchet
Membre de la section Histoire, lettres et arts

Le 15-10-2018

La séance de rentrée académique 2018-2019 s’achève par une conférence de Christian Buchet, membre de la section Histoire, lettres et arts. Le texte de cette conférence est édité dans un numéro spécial des Communications et mémoires de l’Académie, distribué à tous les membres. Christian Buchet a bien voulu accepter d’en faire le présent résumé.

La mer est le moteur de l’histoire ; le moteur de la prédominance et du rayonnement ; l’accélérateur du développement économique et politique. Oui, le fait de se tourner vers la mer quel que soit le temps, le lieu, est le moteur le plus puissant qui soit pour impacter positivement les trajectoires historiques. C’est ce que démontre l’ensemble de ces travaux d’où se dégagent trois vagues de fonds qui répondent clairement à la question posée à Océanides.


1. La mer, moteur de la prédominance et du rayonnement

La prédominance d’une entité politique, quels que soient sa nature (Ville, Etat, alliance…), le temps ou l’espace, va toujours à celle qui dispose du plus grand nombre de navires. On pense aux bâtiments de guerre, de commerce, de pêche, mais aussi aujourd’hui aux navires scientifiques.

De conflit en conflit, le même constat s’impose, imperceptible si l’on n’analyse pas l’Histoire dans ce qui est le plus difficile à saisir, à savoir la mobilité et la connectivité des flux, qu’incarnent précisément le maritime. Les guerres de la Révolution et de l’Empire, la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, la Guerre froide en offrent une démonstration saisissante. C’est toujours le pays ou l’alliance qui dispose de cette maîtrise des flux qui l’emporte. Qui tient la mer tient à terme la terre, telle est l’une des principales leçons qui se dégagent de cette pesée du rôle et de la place du maritime dans l’Histoire.

Un constat qui bouleverse toute la géopolitique qui s’est jusqu’ici toujours focalisée sur l’histoire terrienne pour y déceler des éléments structurants. C’est toute la vision de Sir Halford Mackinder considéré comme le fondateur de la pensée géopolitique qui est mise à mal. Et il n’est pas inintéressant de constater que la puissance qui tient l’océan Indien tient l’essentiel du commerce mondial. Bien plus que le heartland (l’Eurasie) dans lequel Mc Kidder voyait l’élément pivot de la domination mondiale, l’océan Indien pourrait bien être ce qu’il nous plaît d’appeler par analogie le heartsea, dont la maîtrise a toujours conféré la prédominance.


2. La mer, accélérateur du développement économique et politique

Les entités politiques qui se tournent vers la mer s’inscrivent dans une logique de flux, d’échanges et d’ouverture, moteur du développement économique. Le transport maritime apparaît clairement avoir été, en effet, le moteur de la révolution agricole fondée sur la spécialisation permettant d’adapter la production aux terres et au climat. Catalyseur des échanges et du commerce, le développement maritime stimula également la révolution industrielle par l’impact considérable de la construction navale au plan de l’innovation et du développement de l’industrie métallique, moteur de la révolution industrielle.

Une telle dynamique supposait bien évidemment d’être sous-tendue par une capacité financière sans faille, insufflant dans l’économie les liquidités nécessaires. Là encore cette aptitude procède très largement de l’impact initial probant du maritime au plan de la révolution agricole. L’exode rural qui en résulta en concentrant les populations dans les villes permit de drainer l’épargne et facilita l’investissement par la maîtrise des taux d’intérêt.


3. La mer, moteur de l’Histoire

Prendre, non plus la terre comme espace de référencement historique, mais la mer, est un renversement complet d’attitude pour ne plus centrer l’étude de nos objets de recherche dans le seul cadre territorial, national ou politique, mais sur ce qui précisément unit les différents ensembles. C’est considérer l’espace marin non pas comme une séparation mais comme un trait d’union. L’espace par excellence des échanges, qu’ils soient d’ordre commercial, culturel, scientifique… C’est ne plus se contenter d’étudier les ensembles politiques en eux-mêmes et dans les rivalités qu’ils ont eus avec leurs voisins mais les appréhender dans leur participation à la synergie générale qui se dégage de cette dynamique de flux et qui s’appelle l’Histoire.

C’est toute la structuration de l’histoire universelle en quatre temps (Antiquité, Moyen-Âge, Moderne et Contemporaine) que fait éclater Océanides, une découpe occidentalo-centrée et inadaptée aux réalités historiques des autres zones géographiques, pour lui substituer une segmentation en trois temps, rendant beaucoup plus intelligible et parlante la dynamique de l’Histoire pour nous permettre de comprendre les grands basculements géopolitiques :


  • le temps des Méditerranées, correspondant aux périodes antique et médiévale ;

  • le temps de l’Atlantique, correspondant aux périodes moderne et contemporaine ;

  • le temps de « l’océanotemporain » ou de l’océan mondial dans lequel nous entrons à pleine vitesse et qui sonne l’avènement d’une sortie de crise sous l’effet d’une nouvelle maritimisation. Une nouvelle maritimisation, portée par quatre facteurs éminemment structurants, en passe de modifier durablement la géopolitique et la géoéconomie de l’ordre ancien : le rattrapage de la Méditerranée asiatique ; l’explosion démographique et sa concentration sur le littoral ; le nouveau droit de la mer bouleversant les équilibres entre puissances ; la révolution géographique impulsée par les routes du nord.

Sous les coups de butoir de la mer, c’est toute l’Histoire universelle qui devient simple, facile à comprendre et porte à la réflexion…

Les travaux d’Océanides montrent clairement que le maritime est l’élément le plus structurant de l’Histoire pour conférer tout à la fois une prédominance militaire, économique et culturelle et être le moteur de la compétitivité avec, à l’évidence, des conséquences sociales et sociétales. Toute entité politique qui se tourne vers la mer optimise ses paramètres constitutifs, qu’ils soient d’ordre démographique, géographique, politique, pour entrer dans une dynamique de développement, de rayonnement dans laquelle puissance se conjugue avec croissance, emplois, pouvoir d’achat et bien-être. Nous avons là non plus une réflexion mais un constat, bien plus une vision nouvelle de l’Histoire. Puisse-t-elle être éclairante pour tout décideur et montrer, à tout un chacun, que la mer est la clef de l’Histoire et, partant de ce constat, plus que jamais le catalyseur de notre avenir.

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