Conférences

Les ports français en 2016. Le point et le cap.

Jacques Trorial
Président délégué de l’Union des ports de France

Le 30-11-2016

M. Jacques Trorial, est présenté par Mme Françoise Odier, présidente de la section Marine marchande, pêche et plaisance, qui rappelle les étapes d’une riche carrière. Après un début dans l’administration préfectorale, M. Trorial a exercé un mandat électif durant deux législatures, avant d’être nommé en 1970 président du Conseil d’administration du Port autonome de Paris, institution dont il a poursuivi le développement et la présidence durant 27 ans. Depuis 2013, il est président délégué de l’Union des ports de France. Il présente la situation de ceux-ci – le point – et les grandes lignes de leur avenir – le cap.


Le point

La loi de décentralisation de 2004 et la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire ont fait évoluer de manière importante l’organisation des ports de commerce et de pêche français. Elles établissent une distinction entre les « grands ports maritimes » et les ports « décentralisés ». Les premiers sont des établissements publics de l’Etat. Ils exercent la fonction d’autorité portuaire et sont au nombre de sept en métropole (Dunkerque, Le Havre, Rouen, Nantes et Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille) et quatre dans les DOM-TOM (Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Guyane). Dans les autres – soit une cinquantaine de ports – le rôle d’autorité portuaire est assuré par la collectivité territoriale compétente ou par leur regroupement dans un syndicat mixte. Dans les plus importants, les pouvoirs de police des capitaineries demeurent de la responsabilité de l’Etat. L’exploitation en est généralement confiée aux Chambres de commerce.

Les ports français ont des atouts importants. Le système des grands ports maritimes est central en Europe avec une bonne connexion aux grandes voies routières, autoroutières et ferroviaires ainsi qu’aux principales voies navigables (Seine, Rhône). Les ports décentralisés sont des atouts au service du développement économique régional et ils forment un réseau complémentaire de celui des grands ports maritimes. La France dispose d’une façade maritime exceptionnelle située dans une position idéale pour desservir rapidement l’ouest de l’Europe et permettant en outre d’accueillir la production et la distribution de marchandises importées ou exportées par l’Europe.

En effet les ports français ont une accessibilité nautique exceptionnelle leur permettant de recevoir les plus grands navires, comme les porte-conteneurs de 20 000 équivalents-vingt-pieds (EVP), les grands pétroliers de 400 000 tonnes ou encore les grands méthaniers de 270 000 m3, ainsi que les paquebots de croisière en tête de ligne les plus imposants. Ils disposent d’interconnexions avec des lignes maritimes régulières et des services de cabotage côtier ou de desserte fluviale. Leurs équipements sont modernes et performants avec des surfaces aménagées réservées à l’accueil d’activités logistiques de stockage et de distribution. Ils ont des infrastructures de qualité, tant au niveau des postes à quai que des terminaux, ainsi que des services de transports terrestres routiers ou massifiés (chemin de fer, voies navigables) performants. Ils ont des plates-formes informatiques d’échanges très avancées au sein des communautés portuaires, rendant efficaces les services logistiques à haute valeur ajoutée et prêtes à mettre en œuvre des guichets uniques électroniques pour chaque place portuaire. Enfin ils disposent de communautés portuaires dynamiques avec des entreprises performantes, qu’il s’agisse de services au navire (pilotage, remorquage, lamanage) ou de services à la marchandise.

Puis M. Trorial présente quelques données permettant de préciser le poids économique des ports : la France est la 5e puissance portuaire européenne ; son espace maritime (11 millions de km²) est le second au monde derrière celui des Etats-Unis ; l’ensemble de l’activité maritime (flotte, ports, pêche, industrie navale, Etat, recherche, etc.) en dehors du tourisme littoral, génère plus de 300 000 emplois directs dans les bassins locaux ; le chiffre d’affaires des ports de commerce en 2014 est de 830 millions d’euros ; Haropa, groupement des ports du Havre, de Rouen et de Paris, est le 5e ensemble portuaire européen.

La réforme portuaire mise en œuvre de 2008 à 2011 est accompagnée d’une nouvelle gouvernance des grands ports maritimes (un conseil de surveillance, un directoire et un conseil de développement), d’une autorité portuaire recentrée sur ses missions (c’est-à-dire l’autorité régalienne, l’aménagement, le développement durables des espaces portuaires, la promotion du port, les investissements dans les connexions terrestres), de la mise en place d’outils de coopération (ainsi pour les ports de l’axe Seine, Haropa en octobre 2009 ; pour les ports de l’axe Rhône, Medlinken janvier 2015 ; pour ceux de l’Atlantique (Nantes – Saint-Nazaire, Bordeaux, La Rochelle), décembre 2099 ; pour ceux des Hauts-de-France (Dunkerque, Calais, Boulogne-sur-Mer, Le Tréport) en cours.

Le bilan de la réforme portuaire est positif, relève le dernier rapport de la Cour des Comptes. Le commandement unique a entraîné une augmentation de la productivité de 20 % depuis la fin des blocages en 2011 ; Haropa et Medlinksont des succès de communication et permettent ainsi un meilleur aménagement du territoire. Des grands projets sont en cours de développement avec la construction de nouveaux terminaux, l’amélioration de la liaison terrestre en transports massifiés, le développement du cabotage maritime et des autoroutes maritimes, l’élaboration d’un guichet unique portuaire électronique. En 2015, le trafic des ports est demeuré soutenu avec un trafic marchandises de 343,5 millions de tonnes (la progression du trafic des conteneurs au rythme de 1,01 % pour atteindre 4,5 millions d’EVP, est un signe des effets positifs de la réforme des grands ports maritimes notamment Le Havre et Marseille) ; un trafic des passagers de 28,7 millions de personnes et un trafic de pêche de 242 millions de tonnes en moyenne pour chacune des 35 criées françaises.


Le cap

« La mer doit être l’ambition de la France » a déclaré le Président de la République lors des Assises de l’économie de la mer à La Rochelle le 8 novembre 2016.

Qu’en est-il pour les ports ?
Il faut d’abord améliorer la compétitivité des outils, c’est-à-dire généraliser l’auto-liquidation de la TVA ; unifier toutes les places portuaires du Cargo community system ; renforcer le modèle économique de nos grands ports ; développer les transports terrestres, principalement dans l’arrière-pays des ports ; améliorer les outils de coopération pour les quatre regroupements par façade.

Il faut faire évoluer l’environnement réglementaire. Pour l’organisation maritime internationale et l’Europe il conviendrait de préciser les normes des combustibles marins tout en proposant un schéma national pour la mise en œuvre du gaz liquéfié. Pour l’Europe, il faudrait réfléchir au réseau européen de transport, poursuivre la création du mécanisme financier pour l’interconnexion en Europe (en particulier pour les projets portuaires français, maritimes et intérieurs), élaborer un règlement pour l’accès au marché des services portuaires avec la transparence financière et un règlement d’exemption pour catégorie. Pour la France, il conviendrait d’améliorer les financements des contrats de plan Etat-Région, élaborer un plan de financement des dragages par le Comité interministériel de la mer et développer les missions parlementaires. Ici, il demeure deux inquiétudes : la première est la recherche difficile de l’équilibre entre les exigences de la protection de l’environnement, des espaces maritimes protégés, de la sauvegarde des espèces, et les besoins, notamment fonciers, donc à terre, et aussi maritimes, pour le développement des ports ; la seconde est l’allongement des délais d’instruction de tous les projets, du fait de l’empilement législatif, du chevauchement des consultations, de l’incidence des recours judiciaires.

Il faut aussi poursuivre les investissements. Depuis 2007 les régions participent à côté de l’Etat au financement de certains projets importants des grands ports maritimes ; pour les ports transférés, elles élaborent des plans, des stratégies, des regroupements et leur consacrent des moyens budgétaires significatifs (par exemple 200 M€ en dix ans par le Languedoc Roussillon pour le port de Sète). Pour les armateurs et autres entreprises privées, il faut continuer les investissements dans la durée en particulier par des moyens des armements, à l’instar du dernier en cours, Océan-Alliance, autour de CMA CGM (dont le siège est à Marseille) pour augmenter le nombre des escales dans les ports français.

Il faut restaurer l’image de nos ports. Celle-ci souffre d’un passé de troubles sociaux, de grèves, de blocages, de violences ; pourtant depuis 2011 un plus grand calme social est constaté entraînant un regain d’intérêt des entrepreneurs et des investisseurs. Le dialogue social est très actif, tant au plan national que dans chaque place portuaire. La mise en œuvre de la réforme de 2008 a duré près de trois ans et elle a exigé des centaines de réunions pour conduire à la conclusion de la convention collective nationale unifiée et au transfert au secteur privé d’une partie du personnel, avec possibilité de retour pendant 15 ans. Trop souvent cependant les ports sont encore utilisés comme un moyen de pression national facile à actionner ; ainsi les manifestations de la « loi travail » devraient-elles affecter sans aucun doute les résultats de l’exercice 2016.

Il reste encore à mettre en place la loi sur l’économie bleue. Celle-ci renforce le rôle des régions et institue une commission des investissements au sein du Conseil de développement.

M. Trorial conclut avec un sentiment personnel : il faut laisser la gouvernance actuelle mise en place depuis moins de huit ans se roder à l’expérience. Cette gouvernance, élaborée par l’ancienne majorité, n’a pas été remise en cause par la majorité actuelle ; la loi du 20 juin 2016 sur l’économie bleue a été adoptée avec un large consensus. Il faudra peut-être accentuer la décentralisation en transférant tout ou partie des grands ports maritimes aux régions ; et aussi transformer les ports Etablissements publics en Sociétés anonymes publiques (sur l’exemple de Rotterdam) voire en Sociétés d’économie mixte. Mais les urgences résident surtout dans les axes esquissés dans l’exposé, c’est-à-dire : compétitivité, environnement réglementaire, investissement, image.


Débat :

J. Chapon. Il faut maintenir la concurrence entre les ports et j’observe que la Cour des Comptes n’a jamais fait de critiques sur les investissements effectués dans les ports. / J.T. Oui.

A. Coldefy. Qu’en est-il de la concurrence entre les ports de l’Europe ? / J.T. En Méditerranée il y a une entente entre Marseille, Gênes et Barcelone pour mettre en évidence les atouts ; il y a parfois une concurrence, mais le plus souvent la complémentarité l’emporte. Avec Anvers et Rotterdam, on voit fréquemment qu’un conteneur sur deux à destination de la France transite par l’un de ces ports. Mais cela est difficile à vérifier et il est évident que certaines portions du territoire français sont plus proches d’Anvers et de Rotterdam que du Havre. Pour avoir une partie du profit de l’axe Escaut-Rhin il faut accepter la concurrence. Là où Rotterdam prend 40 % du trafic, Le Havre-Rouen en ont 12 %. Si l’on veut entrer en concurrence il faut faire des investissements pour rattraper les retards. Ceux-ci ne sont pas nautiques mais de liaisons terrestres, ferroviaires, fluviales. Celles-ci sont médiocres actuellement et il faut donc créer des liaisons multimodales ; de plus la liaison entre la vallée de la Seine et Port 2000 n’est pas bien traitée.

Y. Desnoës. Qu’en est-il du fonctionnement des « autoroutes de la mer » ? / J.T. La liaison entre Montoir-de-Bretagne et Bilbao fonctionne bien. Un projet ambitieux de projet entre ce dernier port et Le Havre est bien avancé, mais il ne fonctionne pas. Il existe aussi quelques dessertes locales, ainsi entre Le Havre et Caen. Il y a deux tendances, l’une est le recours à des porte-conteneurs de plus en plus grands, l’autre est le retour vers des petites unités de 1 000 à 4 000 boîtes pour éviter les ruptures de charges.

C. Buchet. Nos ports manquent de compétitivité car l’hinterland ne fonctionne pas, comme dans la région PACA. Quels seraient les axes à créer pour désenclaver ces ports ? / J.T. Il y a effectivement des insuffisances. Certains ports cherchent des solutions innovantes, ainsi Toulon avec la Turquie, et Marseille cherchant à rétablir un courant d’activité vers l’Algérie, mais la mise en œuvre est difficile car il faut vaincre des routines. C’est aussi le sens d’initiative comme Haropa. Il faut faire preuve d’imagination. Parmi les axes dont le développement est nécessaire la voie ferrée occupe la première place. Il faut absolument faire sauter le verrou de Givors et il faut certainement aménager le contournement de Lyon. Jusqu’à présent l’opérateur SNCF est déficient, mais l’arrivée d’opérateurs extérieurs change le marché. Il y a aussi des opérateurs locaux, ainsi la liaison La Rochelle-Bayonne est-elle maintenant proposée à un prix inférieur de 30 % à celui de la SNCF. Certains ports sont mal desservis en raison de l’état de délabrement des voies et il manque les 800 millions de rentrées de l’« écotaxe » pour pouvoir faire des investissements.

M. Roussel. Qu’en est-il de la liaison Rhin-Rhône et Seine-Nord ? / J.T. Pour la première, il faut déplorer une série de reculs malheureux, en raison de décisions politiques, alors que les terrains étaient achetés par la Compagnie nationale du Rhône. Pour la seconde, la préparation est poussée avec de nombreuses réunions avec des organisations agricoles et d’environnement ; le financement est satisfaisant.

C&M 1 2016-2017

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