Conférences

La mer de Chine du Sud : enjeux économiques et géopolitiques

François Gipouloux
Directeur honoraire de recherches au CNRS

Le 06-01-2016

M. François Gipouloux, directeur honoraire de recherches au CNRS, éminent spécialiste de l’économie des pays de l’Asie orientale, lauréat de l’Académie en 2011 pour son ouvrage La Méditerranée asiatique : villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, XVIe-XXIe siècle, a bien voulu revenir devant les confrères afin de préciser les évolutions récentes en mer de Chine du Sud.

Il précise d’abord, avec l’appui d’une carte, les limites géographiques de son propos. Il s’agit de la région comprise entre Taïwan et Singapour du nord au sud ; entre le Vietnam, les Philippines et la Malaisie de l’ouest à l’est.

Les échanges du commerce maritime y sont très actifs avec 70 % du trafic mondial de conteneurs et 50 % de celui des hydrocarbures et du gaz naturel liquéfié, et les pays riverains y coopèrent étroitement malgré une escalade évidente dans les prétentions territoriales. Deux options sont donc ouvertes : ou bien les rivalités deviennent plus intenses ; ou bien la coopération commerciale permet de renouveler les ententes.

Quels sont les éléments économiques permettant d’aboutir à ce second résultat ? Les échanges sont actifs entre la Chine du Sud et les pays voisins ; leur importance est analogue à ceux des trafics entre la Chine entière et le Japon, leur montant est à peu près la moitié de celui du commerce entre la Chine et les Etats-Unis. C’est une région essentielle pour les communications de toutes les nations du monde car ses rivages accueillent des ports très importants, comme Shanghaï, premier du monde et Singapour, second. Les réserves en hydrocarbures y paraissent importantes ; l’activité de pêche y est élevée et même en essor avec près de 10 % des prises réalisées dans le monde.

Toutefois l’essor des échanges aboutit parfois à des tensions. Dans le « basculement » de la Chine vers la mer depuis une trentaine d’années, la stratégie de sécurité des approvisionnements paraît essentielle. Elle se traduit par la réalisation du « collier de perles », série de points d’appui reliant les ports de la Chine à ceux de l’Arabie. Elle est accompagnée d’un développement de la marine de guerre et du renforcement de la capacité et de la protection des installations navales. Face à ces mesures les Etats-Unis ont développé leurs lignes de communication du nord au sud en mer de Chine. Les diplomates américains considèrent le principe développé par les Chinois de la « croissance pacifique », accompagné de la non-intervention, comme « une pierre jetée dans leur jardin », car elle pourrait conduire à une entrave de la libre circulation pour leurs alliés et au-delà vers l’affirmation d’une puissance navale de la Chine sur toutes les mers du monde, selon un objectif proclamé par Mao Tsé-Toung.

Pour les dirigeants de la République populaire de Chine les conflits en mer de Chine du Sud relèvent des tensions entre pays riverains. Pour eux, cette étendue océanique est un espace hostile, sans souveraineté, sans règles juridiques de navigation. Leur dernière formalisation de souveraineté remonte à 1947 avec une carte de délimitation en pointillés, par « neuf traits », incluant des zones avec des archipels contestés comme les Paracels et les Spratleys, ainsi que leurs ressources naturelles. Trois voies sont ouvertes pour résoudre les conflits : la première consiste à augmenter la fréquence des patrouilles maritimes ; la seconde à porter les différends devant un tribunal international, procédure choisie par l’Etat des Philippines ; la troisième à gérer ensemble les ressources. Les responsables de la marine chinoise n’ont pas de position tranchée : les uns estiment inutile de s’arcbouter sur la domination d’îles désertes ; pour d’autres, il faut créer une « grande muraille de sable » avec l’appui d’une marine modernisée.

Dans la situation actuelle ce qui domine est la montée de la puissance navale chinoise accompagnée d’un renforcement des pays voisins. Mais le mouvement est irrégulier et la Chine demeure largement dépendante des Etats-Unis. Alors que les tensions se développent en mer de Chine du Sud depuis 2012, elles diminuent en mer de Chine orientale. Il est vrai que la première intéresse surtout des petites nations, alors que la seconde comporte des acteurs principaux des relations internationales, comme le Japon et la Russie. Peut-être aussi la position chinoise est-elle plus défensive qu’agressive, en accord avec une déclaration de Deng Xiaoping : « La Chine a besoin de paix jusqu’en 2040 ». Mais il faut aussi méditer une remarque de Rosa Luxemburg : « Le développement de la Marine allemande par la loi de 1899 est une déclaration de guerre à l’Angleterre dont elle accuse réception le 3 août 2014. »


Discussion :

Alexandre Sheldon Duplaix (Service historique de la Défense) : Les dirigeants chinois tentent de donner une image « pacifique » de leurs initiatives maritimes ; ils parlent d’une « nouvelle route maritime de la soie » ou bien ils envoient un navire hôpital pour secourir des réfugiés ; ils récusent toute confrontation. F. G. : Ici, il ne s’agit plus de guerre froide mais d’une rivalité à long terme ; c’est une compétition, non un affrontement. Peut-être l’interprétation américaine du « collier de perles » est-elle erronée pour les Chinois. C’est une situation compliquée, mais l’existence d’intérêts divergents est certaine.

Jacques Dhellemmes : Quel est l’impact sur les conflits territoriaux en mer de Chine du Sud de la modification du marché de l’énergie ou de la moindre croissance économique de la Chine ? F. G. : Les enjeux d’énergie passent au second plan mais les rivalités pour le contrôle de la pêche demeurent importantes.

Gilles Chouraqui (ancien ambassadeur et invité permanent) : Les rivalités en mer de Chine du Sud se développent sur trois plans : 1. Politique. 2. Economique (avec l’exploitation des richesses halieutiques et du potentiel énergétique). 3. Juridique (avec l’action des Philippines revendiquant la souveraineté sur les Spratleys et appelant la Chine devant le tribunal international d’arbitrage pour trancher le différend). F. G. : La Chine refuse l’interprétation des Philippins avec des arguments historiques, surtout le texte d’anciens traités. Les Philippines opposent l’étendue de leur plateau continental et un passage d’un livre (publié en 1602) du Père Ricci, jésuite et fondateur de la mission de Chine, plaçant les Spratleys dans la dépendance de leur nation. Mais la tension entre les deux puissances n’est pas exacerbée.

Alain Grill : Quelle est la position des autorités australiennes ? Donnent-elles des marques d’inquiétude ? Elles préparent un contrat de construction navale pour douze nouvelles unités.

A. S.-D. : Elle a passé commande de six sous-marins complémentaires pour satisfaire une demande de son allié américain.

C&M 2 2015-2016

  Retour  

Copyright © 2011 Académie de marine. Tous droits réservés.