Conférences

Stratégies maritimes au XXIe siècle. L’apport de l’amiral Castex.

Lars Wedin
Capitaine de vaisseau (Marine suédoise)

Le 08-04-2015

A la suite de la communication de M. Soulet de Bruguière le commandant Lars Wedin, officier de la Marine suédoise et membre associé de notre compagnie, présente son dernier ouvrage.
Son objet est de dégager le meilleur de Castex et d’utiliser ces éléments pour penser la stratégie maritime contemporaine. Il est certain que beaucoup des propos de Castex sont désuets, mais il y a aussi « des diamants dans le fumier » comme l’écrit Frédéric II à propos du livre du chevalier de Folard.
Castex traite la stratégie au sens large. Il utilise le terme « Stratégie générale » et en élargit la signification au fur et à mesure de la rédaction de ses Théories stratégiques, à la manière de la « Grand strategy » de Liddel Hart. Ici, Lars Wedin traite de la stratégie maritime.
Le monde contemporain est marqué par la globalisation et la « maritimisation » est un aspect majeur de celle-ci. Le concept de maritimisation recouvre quatre activités : 1. Le commerce maritime, et il est bien connu que 80 à 90 % des échanges se font par mer. 2. Les ressources de la mer, sur lesquelles l’auteur revient longuement. 3. L’utilisation illégale de la mer par le crime organisé, la piraterie, le terrorisme, la pêche illégale. 4. L’importance accrue des forces navales comme conséquence des trois points précédents.
La plus connue des ressources est évidemment la pêche qui a une importance primordiale pour une grande partie de la population du monde. D’autres ressources proviennent de la mer elle-même ainsi l’énergie électrique produite par les centrales éoliennes, houlomotrices ou hydroliennes. La production d’énergie provenant du gaz et du pétrole est plus importante encore. Aujourd’hui, un tiers de la production mondiale de pétrole provient de l’une des 17 000 plates-formes off-shore. Chaque année il y a 400 nouvelles installations. En outre l’exploitation des minerais du fond des océans commence à être rentable. L’exploitation de ces ressources suppose des infrastructures importantes, surtout dans les zones côtières.
Ces développements ont plusieurs conséquences pour la stratégie maritime. 1. Il faut protéger non seulement les transports maritimes mais aussi les infrastructures. Le constat de Castex : « L’habitat normal des peuple est la terre. C’est d’elle qu’ils tirent leur force. L’Océan n’est que le chemin qui les unit et qu’ils se disputent… » n’est donc plus vrai ; la mer est devenue importante par elle-même. 2. La prospection des ressources en relation avec les infrastructures conduit à une appropriation de la mer qui risque d’entraver la liberté de la navigation selon la définition de la convention de Montego Bay. Cela est particulièrement vrai pour la mer de Chine, mais existe aussi ailleurs. 3. Ces infrastructures constituent une zone moitié mer et moitié terre, telle que définie par Castex : « Au point de vue stratégique, tout se passe comme si la terre débordait sur la mer, comme si les continents déteignaient sur les océans, s’épandaient sur eux, à la façon de l’huile. » Le résultat est un environnement nouveau pour la stratégie navale.
Les parcs éoliens peuvent couvrir des zones assez vastes et ils produisent un bruit qui peut rendre plus difficile la détection des sous-marins. De plus, on sait mal comment ils affectent l’emploi des radars. On croit cependant que l’hélice d’une éolienne a une surface équivalente radar de près de 10 000 m². Les mouvements des hélices affectent aussi les radars doppler, équipement d’usage courant sur les avions. Les plates-formes de forage pétrolier ou gazier ont également une grande surface équivalente radar et leurs équipements font du bruit. Les infrastructures représentent aussi des obstacles affectant la trajectoire et la manœuvre des navires, ainsi serait-il sans doute très difficile de chasser un sous-marin dans un parc éolien. On peut conclure qu’une infrastructure à la mer constitue un environnement tactique très particulier. Des sous-marins – surtout des sous-marins de poche – et des vedettes, pour ne rien dire des petites embarcations utilisées par des commandos ou des terroristes, ont la possibilité de s’y cacher. Ainsi les Iraniens ont-ils utilisé des plates-formes pétrolières comme bases pour leurs vedettes pendant la guerre avec l’Irak dans les années 1980.
Dans le chapitre suivant, Lars Wedin aborde la définition de la stratégie maritime moderne. Celle-ci doit prendre en compte tous les éléments précédemment mentionnés et elle est constituée de trois éléments ou sous-stratégies : 1. Une stratégie de ressources ayant pour vocation de développer et d’exploiter les richesses de la mer ; elle recouvre en principe ce que l’Union Européenne appelle la « croissance bleue ». 2. Une stratégie de moyens, chargée de concevoir, construire, acheminer les moyens nécessaires à la stratégie maritime. 3. Une stratégie navale, action au service de la stratégie maritime.
Mais la stratégie maritime ne peut agir seule. Elle est étroitement liée aux autres stratégies (ou domaines politiques) de l’Etat comme économie et finances, industrie, défense, diplomatique, morale (c’est-à-dire l’opinion publique). La stratégie maritime se trouve dans une situation réciproque avec ces autres stratégies. Castex parle de « servitudes ». Ici, il faut toutefois remarquer une spécificité des forces navales : elles font partie à la fois des forces armées et du monde maritime ; elles sont duales. L’officier de marine est un guerrier et un marin. Les forces navales ont une vocation militaire et une vocation maritime, ainsi le maintien de l’ordre à la mer.
Le dernier chapitre aborde la stratégie navale. Celle-ci est définie comme la science et l’art de la manœuvre des forces aéronavales pour les faire concourir au succès de la stratégie maritime. Elle repose sur cinq missions stratégiques : connaissance et anticipation ; prévention ; dissuasion ; protection ; intervention. La différence entre les autres armées et les forces navales étant la dualité, les missions de celles-ci ne sont pas uniquement militaires. Ici la diplomatie navale et le maintien de l’ordre à la mer ont une grande importance.
Conclusion : l’amiral Castex peut nous aider dans la recherche des stratégies maritimes contemporaines. Oui ! Il y a des diamants dans le fumier. Cependant un gouvernement contemporain ne peut décider selon un tel schéma théorique. Trop d’acteurs échappent à son action, ainsi les entreprises multinationales, les organisations non gouvernementales, légales ou illégales, le cyberespace… La situation est analogue dans le domaine maritime où une grande partie des navires marchands arborent un pavillon de complaisance. Quelle est alors l’utilité de ce schéma ? Il montre les facteurs à prendre en compte et leurs relations réciproques ; il facilite la recherche d’un équilibre entre des demandes et des exigences parfois contradictoires, notamment entre le nombre et la capacité des moyens ; il facilite l’analyse d’une stratégie maritime ; il fournit un langage et des structures mentales pour discuter d’un sujet complexe ; il permet d’expliquer l’importance du domaine maritime au public et aux décideurs.

C&M 2 2014-2015

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