Conférences

Le passage du Nord-Ouest d’hier à aujourd’hui

Jean-Paul Nerrière
Membre de la section Droit et économie, qui présente à l’Académie sa traversée de l’Atlantique au Pacifique par ce passage

Le 26-11-2014

Durant presque un demi-millénaire, depuis une première reconnaissance par Cabot en 1497 jusqu’à l’ouverture par Amundsen en 1906, les navigateurs européens n’ont cessé d’explorer cette route. Ils ont connu beaucoup de déboires, d’abord dans la baie d’Hudson, ensuite dans l’exploration de l’archipel puis, dans l’impossibilité de franchir des passages remplis de glaces accumulées, avant de trouver la route actuelle par la mer de Baffin et le canal de Lancastre. Cette obstination s’explique par les profits attendus de la navigation sur une route particulièrement courte entre l’Europe et l’Extrême-Orient. De plus, les Portugais font bonne garde sur la route du Cap dont ils parviennent à conserver le monopole, au moins durant le XVIe siècle, tandis que l’entrée du Pacifique par le canal de Magellan ou le cap Horn est interdite à tous (ce qui n’exclut pas des contraventions), sauf aux Espagnols.

Durant quatre siècles, du XVe au XVIIIe, toutes les nations maritimes européennes ont tenté de suivre cette route. Les Britanniques, avec John puis Sébastien Cabot, son fils, navigateurs vénitiens engagés par le roi Henri VII. Les Portugais au même moment avec les frère Cortereal, qui reconnaissent l’embouchure du Saint-Laurent et donnent le nom de leur armateur, Lavrador, à la côte reconnue. Les Français à partir de 1534 avec Jacques Cartier envoyé par François Ier, qui explore l’embouchure du Saint-Laurent au cours de trois voyages, mais ne trouve pas la route vers la Chine. A partir de 1576 Martin Frobisher est envoyé par la reine Elisabeth d’Angleterre et, au cours de trois expéditions, il reconnaît de nouvelles terres situées au nord des précédentes et rencontre des Esquimaux. Le projet est repris en 1585 par John Davis qui explore le détroit portant maintenant son nom et affirme l’existence du passage. Au début du XVIIe siècle, des compagnies de pêche et de commerce reprennent le projet et envoient dans la région le capitaine Henry Hudson qui accomplit quatre voyages à partir de 1607 ; celui-ci s’avance jusqu’à près de 82° de latitude nord, record inégalé durant deux siècles, puis reconnaît une vaste baie mais ne trouve pas le passage et meurt au cours de l’hivernage. La découverte est poursuivie à partir de 1616 par William Baffin qui accomplit un travail considérable d’exploration mais ne trouve pas le passage attendu. Pourtant le danois Béring, engagé par les Russes, prouve en 1728 qu’un détroit existe entre l’Asie et l’Amérique ; ses observations sont complétées par celles de Cook, chargé par l’Amirauté britannique de reconnaître le passage à partir du Pacifique. La banquise l’empêche de poursuivre.

Au début du XIXe siècle, les Britanniques cherchent de nouvelles routes pour leur commerce maritime et reprennent l’exploration du passage du Nord-Ouest. C’est une épopée suivie avec passion par l’opinion publique et poursuivie avec acharnement par John Barrow, secrétaire de l’Amirauté, informé par le capitaine baleinier William Scoresby. Une première expédition, partie en 1818 et commandée par James Ross, n’apprend rien de nouveau ; trois autres, toutes dirigées par Edouard Parry, apportent davantage, avec des percées à partir de la terre de Lancaster, mais ne sont pas décisives. John Barrow est encore à l’origine de l’expédition commandée par Sir John Franklin avec deux bâtiments, l’Erébus et le Terror, spécialement construits pour la navigation dans les mers glaciales. Parti en 1845, avec le projet d’une reconnaissance terrestre plus étendue que les précédentes, il ne donne plus de ses nouvelles. A partir de 1848 l’Amirauté organise plusieurs voyages qui améliorent la connaissance de la région mais ne permettent pas de retrouver les navigateurs. Lorsque la Marine de guerre abandonne les recherches, Lady Jane Franklin épuise sa fortune pour lancer plusieurs expéditions, toujours sans résultat. En 1851, un jeune officier français, Joseph-René Bellot, est autorisé à servir sur le Prince Albert armé par Lady Jane ; il meurt au cours du voyage, le 18 août 1853, et sa disparition émeut l’opinion publique. En 1859 enfin, les restes des malheureux navigateurs, y compris ceux de Franklin, mort de la tuberculose, sont retrouvés sur l’île du Roi Guillaume où ils avaient trouvés refuge après que leurs bâtiments furent écrasés par les mouvements des plaques de glace.

Après une éclipse d’une trentaine d’années le vieux rêve du passage du Nord-Ouest est repris par le Norvégien Roald Amundsen. De 1903 à 1906, il parcourt la fameuse route avec un petit bâtiment de 47 tonnes, la Gjöa, muni d’un simple moteur à pétrole, et avec seulement six compagnons. L’extraordinaire succès est le résultat d’une longue préparation, d’une étude poussée des motifs des échecs des précédents voyages, d’une étude du mode de vie des Esquimaux, d’une progression régulière durant trois ans avec un hivernage organisé. Il faut rappeler qu’Amundsen est aussi le premier à atteindre, en 1911, le pôle Sud, avant de trouver la mort en 1928 sur l’hydravion Latham 47, commandé par le lieutenant de vaisseau Guilbaud, à la recherche des naufragés du dirigeable Italia,d’Umberto Nobile, tombé près du Spitzberg.

En 1969, à la suite de la découverte de gisements considérables de pétrole et de gaz dans le nord de l’Alaska, un groupe de compagnies pétrolières a tenté de faire passer un pétrolier de 150 000 tonnes, équipé en brise-glace, guidé par un système de repérage spatial et par des hélicoptères et avions, aidé de deux brise-glace auxiliaires. Il parvient à passer, montrant ainsi que le chargement des hydrocarbures sur la côte nord de l’Alaska est possible. Pourtant, cette route n’est pas utilisée et les compagnies pétrolières ont préféré la construction d’une gigantesque conduite de 1 280 km jusqu’à la côte sud, finalement plus coûteuse que celle d’une flotte de pétroliers brise-glace, mais moins dangereuse en cas de pollution et offrant l’avantage pour les Etats-Unis d’être moins vulnérable que la circulation dans une région disputée entre les puissances.

C&M 1 2014-2015

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