Voyages d'étude et visites

Voyage d’étude en Nouvelle-Aquitaine

C&M 2 2018-2019

Du 18-03-2019 au 22-03-2019

Du 18 au 22 mars 2019, une trentaine de membres titulaires et d’invités permanents ont effectué un voyage en Nouvelle-Aquitaine sous la direction du président de l’Académie.


Lundi 18 mars

Durant la matinée du 18, notre groupe est reçu par des représentants du comité régional de la conchyliculture à la Maison de l’huître, située sur le bord du bassin. Ces représentants développent un paradoxe : en apparence la situation de la conchyliculture française est satisfaisante avec 20 000 emplois dans 4 000 entreprises et une production de 100 000 t. d’huîtres par an ; de plus la France est le 1er producteur en Europe et ses huîtres sont recherchées en raison de la qualité de ses eaux marines et de leur teneur en iode, si bien que la demande n’est pas couverte. De même la production de moules est insuffisante pour la demande.

La réalité est moins satisfaisante. La conchyliculture est une activité poursuivie principalement par des petites entreprises familiales et artisanales et c’est un métier contraignant demandant beaucoup de main d’œuvre ; aussi, la reprise des entreprises est-elle difficile. Actuellement 120 des 300 entreprises du bassin d’Arcachon sont dirigées par des quinquagénaires disposés à prendre leur retraite comme le permet l’ENIM pour ce métier pénible et ils peinent à trouver des successeurs.

Les sept comités régionaux français de conchyliculture, dont celui d’Arcachon – Hossegor – Médoc, poursuivent une politique de conseils aux entrepreneurs pour l’installation, la transmission et le développement des bassins ; ainsi que d’aide à la gestion administrative par des employés salariés par le comité, ainsi que de valorisation des coquilles et poches ostréicoles, en particulier pour des remblais, et encore de promotion commerciale.

Durant l’après-midi, le groupe se rend au Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine (CESTA) situé au Barp pour une présentation et une visite du Laser Mégajoule. Cette remarquable installation de la Direction des Applications Militaires du CEA est soutenue par une ambition militaire clairement annoncée ; il s’agit d’étudier à petite échelle les conditions atteintes lors du fonctionnement des armes nucléaires. La machine crée et amplifie des faisceaux laser et les envoie vers une chambre d’expériences où ils frappent simultanément une cible de quelques millimètres. Celle-ci reçoit, en quelques milliardièmes de seconde, une énergie lumineuse supérieure à un million de joules. Le Laser Mégajoule permet aussi la compréhension de phénomènes d’astrophysique et il a des applications dans le domaine de la santé en permettant la formation de protons. Seuls les Etats-Unis ont une installation comparable et la Chine vient d’entamer la construction d’un laboratoire semblable.



Mardi 19 mars

Durant la matinée, la représentation de l’Académie est reçue par M. Eric Banel, directeur interrégional de la mer pour la région Sud-Atlantique, au très bel hôtel de la Marine édifié au XVIIIème siècle.

M. Banel dresse un tableau contrasté des ports de la région. La Rochelle, port en eau profonde, est en bonne santé et en croissance avec 8,5 Mt de marchandises traitées par an. Bordeaux a 7,3 Mt par an et partage le sort des autres ports d’estuaire en déclin continu à la suite de l’augmentation des tonnages et des tirants d’eau ; en dépit d’efforts notables il assiste au triste spectacle de l’exportation de son vin par Le Havre ou Marseille. Le port du Verdon, situé à l’entrée de l’estuaire, pourrait offrir une solution, mais les propriétaires du Médoc, région de grande culture vinicole, sont opposés à toutes les possibilités d’aménagement de transports terrestres, et les habitants de la station balnéaire de Royan édifiée sur l’autre rive sont hostiles à une installation industrielle pouvant défigurer le paysage. Bayonne fait un trafic annuel de 2,4 Mt et Rochefort-Tonnay-Charente de 1,5 Mt.

Les préoccupations essentielles de l’administrateur sont la sécurité et la sûreté des littoraux, en particulier la poursuite de la lutte contre les pollutions et contre les dégâts provoqués par l’exercice de la pêche de loisir ; il veille aussi au développement durable des activités en relation avec la mer comme l’aquaculture et les éoliennes ou les hydroliennes et surtout la croissance des industries nautiques (première région en France avec 800 M€ de chiffre d’affaires et en tête Bénéteau) ; l’encadrement de la protection du littoral pour 45 % en aires marines protégées relève aussi de sa compétence ainsi que la gestion des quatre lycées maritimes de la région ; et sur tout cela il doit se plier aux indications du « plan stratégique de façade ».

Au début de l’après-midi, notre groupe se rend à l’Hôtel de région pour y rencontrer M. Dominique Chevillon, président du Conseil économique, social et environnemental de la région, vice-président des Conseils économiques, sociaux et environnementaux de l’Atlantique (CESER). Les conseillers sont des professionnels qualifiés dont la désignation est approuvée par le préfet de région et 20 à 25 % de leurs propositions sont suivies par les conseils régionaux.

M. Chevillon présente leurs activités en relation avec les littoraux et il s’attache d’abord aux travaux sur les innovations maritimes auxquels les CESER ont consacré une longue étude : Innovation et économie maritime : un océan d’opportunités pour les régions de la façade atlantique française, publiée en juin 2017, et deux contributions : Les conséquences socio-économiques potentielles du Brexit dans les régions de la façade atlantique, en décembre 2017, et Contribution dans le cadre de la consultation sur les projets de stratégies de façade, en janvier 2019. Les CESER ont identifié sept enjeux sociaux : 1. Une diversification de l’économie accompagnée d’emplois durables et d’activités créatrices de valeur ajoutée. 2. L‘accompagnement de la transition énergétique. 3. La prévention des risques littoraux et l’adaptation au changement climatique. 4. La connaissance et la protection de l’environnement marin. 5. La recherche du positionnement géostratégique. 6. La diffusion de la pratique et de la culture de la mer. 7. La santé. Ils préconisent de mieux faire connaître l’économie maritime, son potentiel et sa dimension innovante ; de consolider un environnement favorable à l’innovation dans l’économie maritime sous toutes ses formes ; de positionner les régions de la façade atlantique comme des acteurs nécessaires de la « croissance bleue ». Il leur paraît que les régions de la façade atlantique ont une réelle capacité d’action et de stimulation de cette croissance ; elles doivent s’emparer ensemble de cet « océan d’opportunités » pour faire d’une économie maritime innovante l’un des piliers de leur développement.

Sur les conséquences du Brexit, les CESER cherchent à repérer des points de vigilance, des secteurs susceptibles d’être concernés en région, de possibles opportunités. Ils sont particulièrement attentifs aux conséquences d’ordre général, ainsi l’évolution de la parité monétaire, les possibles entraves à la liberté de circulation, les mouvements des échanges commerciaux et des investissements, la poursuite des coopérations et programmes européens, les conséquences sociales. Tout cela principalement dans quelques secteurs essentiels pour eux : la pêche, l’agriculture et l’agro-alimentaire, l’énergie, le transport maritime et aérien, le tourisme, les résidents britanniques (M. Chevillon évoque un possible afflux de résidents britanniques demandant la nationalité française), l’enseignement supérieur et la recherche.

L’étude sur les stratégies de façade rendue au début de la présente année est une contribution à l’élaboration de la stratégie nationale pour la mer et le littoral demandée par des directives européennes. Il y a en particulier un travail sur l’évolution du foncier du littoral avec le pronostic que la population augmentera de 30 % d’ici à 2050, ce qui nécessite l’élaboration d’un plan de gestion bien documenté.

Le CESER de Nouvelle-Aquitaine prépare un travail sur « La qualité des eaux littorales en Nouvelle-Aquitaine. Etat des lieux et perspectives », en relation avec les difficultés de la conchyliculture, ainsi qu’un rapport intitulé « Etat des lieux et perspectives de développement des différents secteurs en lien avec l’économie de la mer dans notre région », demandé par le président du conseil régional et le préfet de région.

En fin de journée, notre groupe se rend sur le chantier des Constructions Navales Bordeaux tout proche. Cette entreprise construit annuellement une centaine de bâtiments. Elle emploie 1 200 personnes avec un chiffre d’affaires (2017) de 264 M€ et une progression annuelle de 16 %. Elle bénéficie d’une reconnaissance mondiale. Depuis sa création en 1987 elle fabrique à l’unité des grands yachts de croisière avec coque en fibre de verre et résine dont nous pouvons admirer quelques modèles « personnalisés » de 78 pieds, soit 23 m de long et 15 m de large. A la suite de son achat par Bénéteau en 1997, elle y ajoute des séries de catamarans, principalement le Lagoon de 35 pieds, soit un peu plus de 10 m. de long. Le chantier est exemplaire par une organisation très structurée avec un approvisionnement de la chaîne de montage en « flux tendu » et par un bon esprit d’équipe.



Mercredi 20 mars

La journée commence par la visite de la station de pilotage de la Gironde. Elle emploie vingt pilotes disposant de deux vedettes et un hélicoptère, qui font entrer un millier de vaisseaux par an (trafic en diminution), soit 2 à 4 par jour, dans cet estuaire long de 135 km. La singularité de leur pilotage, surtout par temps médiocre, est une conduite en grande partie à distance en utilisant le radar, l’AIS et autres éléments d’informations. Un seul pilote pourrait arriver à manœuvrer cinq navires. Ils embarquent souvent tardivement, parfois simplement pour la mise à quai, et fréquemment par hélitreuillage.

Le simulateur de manœuvre disposé dans le bâtiment des pilotes permet de prendre conscience de la difficulté de l’exercice. Le chenal est dragué en permanence pour garantir une sonde minimale de 6,5 m. C’est l’habileté et la pratique des pilotes qui permet de faire entrer des bâtiments de 11,5 m de tirant d’eau en profitant de l’onde de marée ; exercice délicat, car il se trouve des moments de la marée où le navire ne passe plus sous une ligne à haute tension ni sous le pont suspendu « Aquitaine ». Il faut arbitrer entre pas assez d’eau et pas assez d’air ! Au-delà de ces difficultés de navigation, les pilotes redoutent un éventuel acte de malveillance alors qu’ils ne sont pas effectivement présents sur la passerelle.

Au début de l’après-midi, notre groupe est reçu au terminal de Bassens par M. Jean-Frédéric Laurent, directeur du Grand port maritime de Bordeaux. Comme les autres acteurs de l’économie bordelaise, M. Laurent déplore le déclin de l’activité portuaire. Avec 8 à 9 millions de tonnes de trafic, ce port est le septième de France (alors qu’il était le premier au XVIIIème siècle). Les hydrocarbures sont majoritaires (4 Mt soit 52 %) ; ils sont suivis par les céréales aux exportations (1 Mt) principalement du maïs. Il reçoit aussi des conteneurs pour lesquels il est en relation avec le hub du Havre. Le port emploie 300 salariés directs et procure 5 000 emplois induits. Parmi les projets de nouvelles activités, la déconstruction des bâtiments réformés dans la grande forme de 260 m de long est prometteuse car cette opération est pratiquée sur dix-huit sites seulement dans le monde. Il y a aussi un projet de plate-forme de tests d’éoliennes. L’accueil de paquebots de croisière est organisé depuis peu et le port doit en recevoir une cinquantaine cette année, et une soixantaine l’année prochaine, cependant le faible tirant d’eau restreint la taille des navires.

En fin de journée, M. Alain Rousset, président du Conseil régional, nous accueille dans le bel Hôtel de région et nous expose ses préoccupations essentielles, principalement dans le domaine maritime. Une fois encore le déclin du trafic du port de Bordeaux est évoqué. M. Rousset dresse un tableau de ses mauvaises conditions naturelles : c’est un port d’estuaire avec une faible profondeur et le chenal doit être dragué en permanence : il est impossible de développer l’avant-port du Verdon surtout en raison de l’opposition de la station balnéaire de Royan située en vis-à-vis et de la difficulté d’aménager des infrastructures industrielles sur les terres à haute valeur du vignoble du Médoc, avec de plus la présence de sols humides ne pouvant supporter le passage de convois lourds sur une voie ferrée à grand débit. Le recours a des barges a parfois été envisagé, mais c’est une solution coûteuse et mal commode.

M. Rousset entend développer trois activités : les recherches sur le cerveau avec l’implantation d’un neuro-campus et de laboratoires de recherche pharmaceutique ; l’industrie aéronautique avec le développement de Thales et l’installation d’Ariane Group ; les emplois en relation avec l’océan, comme l’atelier de fabrication de tubes lance-torpilles implanté près d’Angoulême sur le site de Ruelle, et les drones sous-marins avec Thales.

Il aborde plus rapidement le secteur primaire en rappelant que la Nouvelle-Aquitaine est une grande région agricole, surtout de polyculture, et qui abrite la plus grande forêt d’Europe. Pour celle-ci, M. Rousset entend poursuivre le processus de remplacement des résineux par des feuillus et développer les débouchés du bois en dehors de la transformation en pâte à papier, par exemple vers la construction.



Jeudi 21 mars

La matinée est consacrée à la visite de l’usine Dassault Aviation à Mérignac. Elle emploie 1 500 personnes et construit les avions d’affaires Falcon (65 % du chiffre d’affaires de Dassault, 35 % du marché mondial) dont l’assemblage est achevé à Little Rock (Arkansas), ce qui permet de les présenter comme Made in U.S.A., et les prestigieux Rafale dont nous visitons l’atelier de montage en haute technologie. En moyenne, Dassault livre chaque année 49 Falcon et 9 Rafale. Notre guide insiste sur la bonne ambiance de travail facilitée par les résultats excellents de l’entreprise : les salariés sont intéressés à hauteur de 3,5 mois de salaire et ils ont reçu cette année une prime non imposable de 700 €. Traditionnellement, le résultat financier de l’entreprise est divisé en trois parts égales dont un tiers pour l’investissement, un tiers pour les dividendes des actionnaires, un tiers pour les salariés. La CGT a perdu la majorité syndicale, passée maintenant à la CGC.

Au début de l’après-midi nous gagnons le campus industriel de l’entreprise Thales où nous rencontrons quelques-uns des 3 000 ingénieurs et chercheurs qui y travaillent sur la détection et la collecte de données, leur transmission et leur stockage, leur traitement pour aider à la prise de décision ; il met en œuvre des processus de connectivité, de cybersécurité, de big data et d’intelligence artificielle. La société Thales, dont Dassault est actionnaire à 25 % et l’Etat à 26 % emploie 65 000 collaborateurs dans 66 pays et réalise un chiffre d’affaires annuel de 15,8 M€. Elle a pour clients des puissances publiques et privées, avec des marchés dans les domaines de l’aéronautique, l’espace, les transports terrestres, la défense (50 %), la sécurité.

En fin d’après-midi, nous sommes reçus très chaleureusement par l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux dans son très bel hôtel particulier, mis à sa disposition par la municipalité. Fondée en 1712 cette Compagnie comprend quarante membres résidents, des membres honoraires, des associés et des correspondants. Elle se réunit chaque semaine et publie des actes annuels ; en outre, elle distribue des prix, principalement à des livres. Supprimée en 1793, comme toutes les sociétés savantes, elle est rapidement rétablie après la Révolution et parvient à conserver un fonds remarquable de tableaux (en particulier un très beau portrait de Montesquieu, l’un de ses membres illustres), de statues, et d’ouvrages anciens et modernes.



Vendredi 22 mars

Cette journée est consacrée à la visite du domaine, du chai et de la cave du Château Mouton Rothschild dans la commune de Pauillac. Dans ce vignoble prestigieux du Médoc les plants sont assez serrés (environ 1 m² chacun) et le rendement est élevé, environ 50 hectolitres par hectare. Le principal cépage est le Cabernet-Sauvignon (plus de 80 %), suivi du Merlot, du Cabernet franc et du Petit Verdot (1 à 2 % en augmentation en raison de l’augmentation de la température estivale). La vendange est bien sûr manuelle et les raisins sont soigneusement triés. Le chai est d’une longueur impressionnante (au moins 100 m) et d’une propreté méticuleuse, en particulier autour des cuves de soutirage. Le vieillissement est effectué dans des futs neufs en chêne. La commercialisation est très élaborée ; pour chaque millésime le propriétaire commande à un artiste de renom une nouvelle étiquette et il appuie sa publicité sur cette représentation artistique.

Au premier étage, un musée du vin dans l’art depuis l’Antiquité abrite une collection d’objets bien choisis et elle nous est présentée par deux représentants de la famille. La visite se termine dans une ambiance agréable par la dégustation d’un millésime 2017, riche de saveurs, mais encore à mûrir.

[Je remercie mon confrère Jean-Paul Nerrière pour ses explications éclairées. Ph. H.]

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