Voyages d'étude et visites

Dixmude, Ypres et Dunkerque

C&M 1 2014-2015

Du 20-10-2014 au 23-10-2014

Lundi 20 octobre

La journée est consacrée au souvenir des combats des fusiliers marins de la brigade commandée par l’amiral Ronarc’h sur l’Yser en octobre 1914. Après une retraite précipitée face à une violente attaque allemande, l’armée de la Belgique, pays dont la neutralité était garantie par un accord international approuvé par tous les pays voisins, se fixe sur un front de 38 kilomètres sur la rive gauche de l’Yser. Cette armée reçoit l’appui du corps de 6 000 fusiliers marins français de l’amiral Ronarc’h et soutient à partir du 18 octobre l’assaut très violent des ennemis. Le combat en direction de Dixmude et Nieuport se poursuit durant plus d’une semaine avec des pertes considérables de part et d’autre. Les Français perdent 3 000 hommes tués ou gravement blessés et c’est le taux le plus élevé des trois armées (avec les Belges et les Britanniques) engagées dans cette région. Les Allemands ont au moins 10 000 décès sur 50 000 combattants. Le 27 octobre le génie de l’armée belge parvient à ouvrir les vannes de la basse vallée de l’Yser, provoquant une inondation et la fin des combats. La bataille de l’Yser est gagnée ! Mais la guerre de position se poursuit dans des conditions difficiles et tout aussi éprouvantes. Pendant quatre ans, il faut tenir dans le froid, l’humidité constante, les bombardements, les escarmouches, les gaz asphyxiants…

Le groupe de l’Académie s’arrête devant la tour de l’Yser à Dixmude, vaste mémorial (84 mètres de haut) abritant des souvenirs des combats et dédié à la paix avec une inscription en quatre langues : « Plus jamais de guerre ». C’est aussi un site de commémoration des victimes flamandes de la guerre et un haut-lieu du mouvement nationaliste flamand, avec une proclamation flamande abrégée signifiant : « Tout pour la Flandre, la Flandre pour le Christ ». Le « boyau de la mort », redoute fortifiée aménagée le long du cours d’eau, avec des parapets en sac de terre puisqu’il n’est pas possible de creuser une tranchée, et témoignage poignant, soigneusement conservé, de l’héroïsme des combats. A la fin de la matinée, en présence du bourgmestre de Dixmude, le président de l’Académie dépose une gerbe au monument commémoratif édifié dans un parc de la ville en mémoire de la brigade Ronarc’h. Il gagne ensuite la ville d’Ypres, où il est rejoint par le président de l’Académie royale de marine de Belgique, M. Louis le Hardÿ de Beaulieu, professeur à l’Université de Louvain. Après une halte au cimetière français de Saint-Charles de Potyze, il visite le musée historique In Flanders Fields, consacré à la mémoire des batailles de la Première Guerre mondiale dans la région, retracée de manière captivante à travers plus de 3 000 témoignages de gens ordinaires (soldats, infirmières, réfugiés, enfants…). Ce musée, très nouveau dans sa conception, avec beaucoup de documents audiovisuels, est abrité dans l’ancienne halle aux draps, remarquablement restaurée ainsi que toute la ville après une destruction totale durant le conflit. A la fin de la journée le groupe gagne Dunkerque où il est reçu par le capitaine de vaisseau Jean-Marc Gerbier, commandant de la marine.


Mardi 21 octobre

Cette journée commence par une visite du site de Gravelines à l’ouest de Dunkerque. Ce port est situé dans une position remarquable à l’embouchure de l’Aa, donc au débouché commercial de l’Artois, au centre d’une importante région agricole sur des terres asséchées, avec un estuaire profond permettant le développement d’une activité de pêche. La ville est fortifiée dès le XIIIe siècle et sa défense est renforcée au début du XVIe siècle sur ordre de Charles-Quint qui y fait construire un château-arsenal et aménager un chenal navigable pour remédier à l’ensablement. Après la cession à la France par le traité des Pyrénées en 1659 le système défensif est renforcé par Vauban, nommé gouverneur de la ville. Celui-ci aménage une triple enceinte ainsi qu’une grande écluse et plusieurs digues qui dégagent de nouveaux espaces cultivables tout en permettant d’alimenter les fossés. C’est un maillon de la « ceinture de fer » du royaume. Les pêcheurs et les marins se retirent de cette ville de garnison tout en restant sous sa protection et s’installent au Grand-Fort-Philippe (fondé par Philippe II, roi d’Espagne) et au Petit-Fort-Philippe, de part et d’autre de l’entrée du chenal. Le centre nucléaire de Gravelines, le plus important d’Europe avec six réacteurs, est édifié au voisinage de celui-ci.

Le groupe se rend ensuite sur le chantier de l’association Tourville, fondée en 1992 et dirigée depuis par Christian Cardin. Après avoir découvert au voisinage du port de Saint-Vaast-la-Hougue six épaves de vaisseaux, vestiges d’une partie de la flotte de guerre armée par Louis XIV en 1692 pour rétablir l’autorité du catholique Jacques II Stuart, M. Cardin s’est proposé de construire un modèle à taille réelle d’un vaisseau du XVIIe siècle en utilisant les techniques des maîtres charpentiers de l’époque. La quille, de 44 mètres de long, les couples et les varangues sont posés et donnent une bonne idée de l’ampleur du projet. Des ateliers (dont une forge) sont disposés au voisinage ainsi que des magasins de vente de produits dérivés. Ce beau projet est une grande réussite touristique avec un accompagnement économique soigné, qui fait honneur à l’esprit d’entreprise de M. Cardin.

La visite des environs de Dunkerque se poursuit à Bergues situé à environ 9 km au sud de la ville. Une fois encore le site est remarquable, avec une installation sur une butte entourée par la rivière Colme, à la jonction de la plaine intérieure et de la plaine maritime. C’est un centre très ancien avec des témoignages d’installation dès l’époque romaine et un développement rapide à l’époque médiévale avec deux fonctions essentielles : port d’échange entre la navigation maritime et la navigation intérieure ; marché agricole pour les productions de la plaine maritime progressivement drainée par un réseau de canaux. Pour défendre ce centre important contre les invasions normandes puis contre les convoitises des Français les comtes de Flandre aménagent dès le VIIIe siècle une enceinte fortifiée accompagnée d’un fossé, toujours présent dans le centre de la ville. Souvent assiégée, prise, pillée, elle devient française après la guerre de Dévolution et les défenses sont renforcées par Vauban avec un ingénieux système de défense fondé sur les inondations provoquées. La ville, englobée dans la « poche » de Dunkerque durant la dernière guerre mondiale, est en grande partie détruite, mais le système défensif ancien est maintenu et constitue un véritable musée de l’évolution de l’art des fortifications. La reconstruction contemporaine conserve le caractère attachant de cette petite cité de garnison.

En revenant à Dunkerque le groupe fait une étape au musée de l’opération Dynamo d’évacuation des troupes britanniques et françaises encerclées dans le port en mai et juin 1940. Installé dans l’abri de l’amiral Abrial, c’est un témoignage de la violence des combats avec de nombreux objets retrouvés après le conflit. Puis les participants au voyage se rendent au Musée portuaire situé au centre de la ville. C’est un témoignage unique en France de l’activité quotidienne des services portuaires comme pilotage, dragage, remorquage, lamanage, réparation, manutention ; c’est en même temps un musée historique témoignant de l’activité de ce grand port. Au voisinage, le long du quai, stationnent le trois-mâts Duchesse Anne et le bateau-feu Sandettié, dernier bâtiment de ce type conservé en France.


Mercredi 22 octobre

En début de matinée, l’Académie est reçue à la Chambre de commerce par Stéphane Raison, président du directoire du port. Il fait part de son optimisme : en année constante le trafic a augmenté de 13 % et c’est le taux de croissance le plus élevé parmi les grands ports du pays (Dunkerque est le troisième port français en importance). Puis il fait un historique rapide : avant la Seconde Guerre mondiale Dunkerque était un port de commerce ; depuis 1945, avec la reconstruction, il est devenu un centre industriel avec l’installation d’un pivot « structurant » de grandes industries comme la sidérurgie sur l’eau et la raffinerie de Flandre, suivie d’activités complémentaires, ainsi la transformation des sous-produits de la raffinerie. En 1980, une apogée est atteinte avec 25 000 emplois et 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. Ensuite, l’activité stagne et il y a peu d’évolution dans les grandes implantations. La fermeture de la raffinerie en 2009 a de grandes conséquences ; tout un pan des activités s’effondre et il devient nécessaire d’engager un nouveau développement industriel avec la création d’autres « piliers ». Le premier est la création d’un terminal méthanier (c’est le plus grand chantier du pays après l’EPR de Flamanville) bénéficiant des nouvelles normes industrielles, ce qui est un avantage dans la concurrence. Le second est l’aménagement d’un terminal de conteneurs en relation avec le marché parisien ; ici la concurrence est très vive avec les ports belges (surtout Anvers) et hollandais. Il est prévu l’aménagement de 3 000 ha d’installations industrielles respectueuses de l’environnement. L’investissement est de 500 millions d’euros sur dix ans avec un financement par les revenus des droits de port et les redevances domaniales (les terrains sont loués aux industriels).

Le groupe gagne ensuite l’embarcadère du Texel pour une visite nautique du port. Celui-ci s’étend sur une longueur de 17 km et comporte deux entrées maritimes. La plus ancienne, à l’est, est limitée aux navires de 14,2 m de tirant d’eau ; l’entrée la plus récente, à l’ouest, peut accueillir de bâtiments jusqu’à 33 mètres de tirant d’eau. L’accessibilité nautique est excellente et Dunkerque est à 1 h 30 de navigation du « rail » (contre 7 h 30 pour Anvers). Le terminal sidérurgique d’Arcelor-Mittal (50 % du trafic) est situé sur le port Est, ainsi que les installations de réparation navale et de tramping ; les affrètements, surtout le trafic des pondéreux, celui des conteneurs et le terminal méthanier sont implantés à l’ouest. Les installations de réchauffement du gaz liquéfié, dont EDF est le maître d’œuvre, sont particulièrement remarquables par l’attention portée à l’environnement (jusqu’à l’aménagement d’une zone humide pour recevoir les oiseaux migrateurs) avec une prévention des pollutions et des accidents ainsi qu’une arrivée d’eau chaude depuis la centrale de Gravelines par un tunnel de 5 km sur 3 m de diamètre. Le retour depuis l’ouest du port est effectué en car et permet de prendre conscience de l’importance des installations industrielles, sur 7 000 ha, et de l’étendue des réserves foncières, sur 3 000 ha. Les liaisons ferroviaires (Dunkerque est la première gare de triage française) et routière sont bonnes ; les services fluviaux sont médiocres et la chambre de commerce envisage très favorablement la réalisation de la liaison Seine ‒ Nord Europe.

En fin de journée, la délégation de l’Académie se rend à la cérémonie d’hommage aux fusiliers marins, organisée par la municipalité de Dunkerque, devant le monument du souvenir édifié au centre de la ville, en présence des autorités civiles et militaires ainsi que des délégués des associations patriotiques et d’anciens combattants. Le président Legohérel ouvre cette manifestation avec un bref discours précisant le rôle de la Marine dans la Première Guerre mondiale, puis il dépose une gerbe devant le monument, en hommage de l’Académie.

A l’issue de cette manifestation les académiciens se rendent à l’hôtel de ville où ils sont reçus par M. Tomazek, premier adjoint, et, dans son discours de remerciement le président Legohérel précise la signification de ce déplacement :

La France garde de la Grande Guerre l’image d’une guerre terrestre et le rôle que joua la Marine au cours du conflit est mal connu, voire ignoré. La Marine doit donc trouver sa place au sein des commémorations afin de conserver une place dans le paysage médiatique. Il importe que tout ce qui concerne la Marine ne soit pas minoré par rapport aux commémorations terrestres comme ce fut le cas après 1918 et qui laissa un profond malaise dans la Marine nationale.

Tous les pays belligérants étaient dépendants de l’extérieur pour approvisionner leurs armées et nourrir leurs populations. Aucun n’était autosuffisant. Il fallait donc acheter et se faire livrer les matières premières et les denrées vivrières pour fournir les usines et entretenir les populations tant civiles que militaires. C’est principalement par la mer qu’étaient acheminés tous ces produits. La Grande-Bretagne était particulièrement soucieuse d’un blocus naval qui asphyxierait son commerce et même son industrie, blocus que, par ailleurs, elle cherche à faire subir à l’Allemagne. Imposer sa suprématie sur les mers afin de pouvoir y naviguer sans risques ni contraintes est donc une priorité. Les enjeux de cette lutte maritime sont primordiaux et l’évolution qu’elle prit sous la forme de la guerre sous-marine, sournoise et féroce, montre bien que, de son issue, dépendait la victoire ou la défaite.

Les généraux français semblèrent quelque peu mépriser cette guerre excentrée et dispersée, sorte de conflit parallèle ; les ministres de la Marine eurent les pires peines à obtenir les crédits pour renouveler une flotte militaire vieillie et disparate. Malgré cela, aux côtés d’une marine anglaise modernisée et plus puissante, la Marine française sut tenir une place de soutien appréciable et appréciée ; c’est ce rôle, souvent obscur et ingrat, mais essentiel, de la Marine qu’il faut rappeler et mettre à sa juste place. Seule, la Navy n’aurait pu venir à bout de l’adversaire.

Les grands affrontements entre flottes de guerre du début du conflit, auxquels nous ne participons pas, (Dogger Bank, Falklands, Jutland…), occupent l’essentiel des études de la guerre sur mer. Ils aboutirent à confiner la flotte allemande dans ses bases, laissant le champ libre au trafic maritime vers les ports alliés. C’est alors que l’Allemagne choisit l’option de la guerre sous-marine qui décima les flottes avec marchandes alliées et même neutres, en particulier de 1915 à l’été 1917. Le tribut payé fut très lourd, des transatlantiques aux plus humbles unités de pêche ou de cabotage. C’est alors que la Marine nationale prendra toute sa place avec escortes des navires marchands et des transports de troupes, patrouilles, lutte anti-sous-marine, opérations de blocus et humanitaires, sans oublier les interventions à terre tant sur le front de l’Ouest que dans les Balkans, en Serbie, Grèce, Monténégro, Dardanelles, autant de rappels égrenés sur le monument devant lequel nous venons de nous recueillir.

L’Académie de marine, dont la promotion du fait maritime et le devoir de mémoire font partie des missions principales, a donc décidé de s’impliquer fortement dans le déroulement de la célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale.

C’est ainsi que nous sommes ce soir à vos côtés dans votre ville alors si durement éprouvée, jours pour jours au plus fort des combats de Dixmude et sur l’Yser. C’est là que se sacrifièrent les fusiliers marins de la brigade Ronarc’h, résistant durant quatre semaines à un contre six, sous le plus formidable déluge d’obus de tous calibres qui ait arrosé une position, dans une ville déchiquetée, dont tous les immeubles flambaient et où, selon le témoignage de l’envoyé du Daily Telegraph, « il ne faisait plus ni nuit ni jour, il faisait rouge ». Le 24 octobre, voici l’ordre que reçoit l’amiral Ronarc’h, alors que la situation devient alarmante et que sa brigade est décimée : « Le passage de Dixmude devra être tenu par vous tant qu’il restera un fusilier marin vivant… la seule hypothèse qui ne puisse être envisagée, c’est la retraite… ». Les fusiliers marins ont tenu au prix de pertes terrifiantes, 2 000 hommes tués, blessés ou disparus dans la seule journée du 10 novembre. Lorsque la brigade est dissoute à la fin de novembre 1915, elle a vu défiler dans ses rangs près de 14 000 hommes et perdu au feu 6 600 d’entre eux, soit plus que son effectif d’octobre 1914 dont plus de la moitié d’octobre à novembre 1914. C’est à Saint Pol-sur-mer que, le 11 janvier 1915, le président de la République vint remettre à l’amiral Ronarc’h le drapeau offert par la ville de Lorient à ses marins, symbole de leur courage et de leur sacrifice ; le général Joffre les traduira par ces termes : « un exemple d’ardeur guerrière, d’esprit de sacrifice et de dévouement à la patrie ».




Le littoral du Nord ‒ Pas-de-Calais, de la guerre sur terre à la guerre sur mer (1914-1918)

Colloque tenu à l’hôtel de la Communauté urbaine de Dunkerque le jeudi 23 et le vendredi 24 octobre, sous le patronage de l’Académie, de la Société française d’histoire maritime et de la ville de Dunkerque.
La première séance est ouverte conjointement par le président Legohérel et par M. Michel Tomasek, maître de conférences à l’Université du littoral et adjoint à la culture de la ville de Dunkerque. Dans un discours inaugural, M. Legohérel insiste sur la méconnaissance du rôle de la Marine dans la Grande Guerre. Elle a protégé les routes navales et permis le ravitaillement de la population et le fonctionnement des industries des pays alliés ; à côté de la Marine britannique la Marine française a tenu une place honorable dans ces missions et elle a fourni des contingents en appui aux combats sur terre.

Jean de Préneuf, maître de conférences en histoire à l’Université de Lille III, traite de « L’évacuation des réfugiés belges par la mer à l’automne 1914 ». Près de 200 000 personnes, conscrits, blessés, réfugiés se réfugient en territoire français alors que rien n’est disposé pour les accueillir. La bonne entente entre le commandant du front de mer et le gouverneur militaire, qui est un marin, facilite le transfert des Belges vers les autres ports français de l’Atlantique. Cependant il y a beaucoup d’improvisation et le mouvement est lent. L’affaire de la Tunisie, pris dans une tempête et victime d’avaries au large de Brest avec 1 500 passagers, émeut l’opinion, si bien qu’à partir de la mi-décembre un service régulier est organisé avec trois départs tous les trois jours. Le Ministère de la guerre prend en charge les frais. Bien que la situation soit améliorée, elle est loin de donner pleine satisfaction, en particulier parce que les bâtiments portant des réfugiés ne sont pas escortés. Il reste le cas particulier des pêcheurs belges ; la plupart d’entre eux sont installés sur la côte normande, mais il en reste quelques-uns à Dunkerque et ils demandent l’autorisation de pêcher, ce qui leur est refusé par le commandant de la Marine puisque le port est dans une zone d’opérations. La discussion souligne la parenté avec l’évacuation des Arméniens en 1909 puis en 1914.

Thomas Vaisset, agrégé d’histoire attaché au Service historique de la Défense traite de « La bataille de Dixmude entre Histoire et Mémoire ». Au début de la guerre, en raison du manque d’hommes, il est fait appel aux marins. Ainsi, le 22 août, la brigade de 6 000 fusiliers marins de l’amiral Ronarc’h est-elle déployée à Gand pour retarder l’avance des Allemands. Foch demande de tenir durant au moins une semaine afin de permettre le rétablissement de l’armée belge et l’envoi de renforts et, le 24, Ronarc’h publie son fameux ordre du jour : il faut tenir tant qu’un fusilier marin sera vivant. La brigade se replie sur l’Yser, reçoit le renfort de 1 400 tirailleurs sénégalais et tient deux mois jusqu’à la mi-novembre où elle est remplacée. Elle a 3 557 tués, disparus ou blessés, soit 50 % de l’effectif initial. Le courage des marins est souligné dès le 12 décembre 1914 dans un article de L’Illustration ; puis les fusiliers marins sont placés en tête dans le défilé de la victoire du 14 juillet 1919 et ils ont une place importante dans les cérémonies de célébration de l’amitié franco-belge en 1920. L’intérêt est relancé par l’édition des Souvenirs de la guerre de l’amiral Ronarc’h en 1921, tandis que Charles Le Goffic publie Dixmude. Un chapitre de l’histoire des fusiliers marins, ouvrage dans lequel il créé l’expression « Les Thermopyles de l’Est », dont Jean Norton Cru, dans ses Témoins, assure qu’elle est critiquée par les marins. Plusieurs monuments aux morts en Bretagne et dans le Nord portent des représentations de fusiliers marins. La mémoire reste vive dans la Marine nationale après 1945 avec le porte-avions Dixmude, utilisé dans la guerre d’Indochine, avec un caractère conflictuel dans certaines régions, ainsi l’édification de la tour de Dixmude, mémorial pour la paix et monument national flamand, ou bien l’ouvrage de Roger Laouénon, L’épopée des fusiliers marins, dans la collection Les Bretons dans la Grande Guerre et l’hommage national aux combattants bretons le 16 octobre 2014 à Sainte-Anne d’Auray.

Raymonde Litalien, conservateur honoraire des archives du Canada et membre de la section Histoire, lettres et arts de l’Académie, traite « Les Canadiens dans la Grande Guerre : participation et retombées socio-politiques ». En 1914, le Canada est une colonie britannique n’ayant pas la maîtrise de sa politique étrangère ; il entre donc dans le conflit avec l’Angleterre. Par ailleurs il n’a pas d’armée mais seulement une milice et, dès le 18 août, le gouvernement lance un appel pour organiser un corps expéditionnaire. Il est suivi avec enthousiasme tant par les Britanniques que par les Français et plus de 30 000 volontaires se présentent. Durant l’année 1915 le recrutement se tarit tandis que des rumeurs de conscription se répandent. Beaucoup de Français y sont hostiles ; cependant la décision est prise en 1916. C’est un moment capital dans l’histoire du pays avec la création d’une « armée canadienne ». Les Canadiens reçoivent le baptême du feu en avril 1915 et en 1917 ils sont engagés dans la bataille de la crête de Vimy (Pas-de-Calais), puis dans celle d’Ypres, très meurtrière avec 16 000 morts. Ils sont rapatriés au printemps 1919.

La conséquence de l’engagement du Canada dans la guerre est la formation d’une armée et d’une marine canadienne, accompagnée de la création d’un impôt et du développement d’industrie chimiques et métallurgiques. La guerre entraîne la naissance d’une presse canadienne anglophone et l’extension du droit de vote aux femmes. Il y a aussi l’apparition d’une volonté d’agir à l’étranger, très explicite lors de l’édification du monument de Vimy. Ce qui domine est la volonté d’indépendance vis-à-vis de l’autorité britannique.

Au début de l’après-midi, Patrick Villiers, professeur émérite de l’Université du Littoral, présente un tableau de la Marine française et de la situation militaire de la Manche en 1914. La flotte française est en pleine modernisation et elle est inférieure en nombre de bâtiments et en puissance de feu à celle des Allemands et des Britanniques. La défense de la Manche repose sur la marine anglaise qui développe des moyens importants pour empêcher le passage des sous-marins ennemis et la pose de mines.

Cet aspect est développé par le commandant Claude Huan, membre honoraire de la section Histoire, lettres et arts de l’Académie de marine, dans une communication intitulée « Les opérations navales dans le Pas de Calais et le début de la guerre sous-marine. » Après la guerre de 1870, le gouvernement français développe une nouvelle politique navale envisageant l’installation de sous-marins et de torpilleurs sur les côtes pour assurer la défense. La mise au point et la construction d’un prototype de sous-marin sont étudiées sous la direction de l’amiral Aube avec de nombreux débats sur la position des stabilisateurs et des barres de plongée ou sur le modèle de périscope construit par Daveluy en 1900. En 1896 est lancé un concours pour la réalisation d’un sous-marin et le Narval de Max Laubeuf est retenu. Il utilise une chaudière au pétrole et dispose de torpilles. Au même moment, Krupp commence à construire des sous-marins pour la Russie à partir d’une synthèse des travaux des Anglais, Français et Américains ; il reçoit ensuite des commandes de la marine de guerre allemande pour des bâtiments sensiblement améliorés, en particulier la possibilité d’une plongée rapide.

Après la signature de l’Entente cordiale, l’amiral Fisher, premier Lord de l’Amirauté, inquiet de l’augmentation du budget naval allemand, plaide pour un rapprochement avec les Français et le commandement allié est organisé par théâtres d’opérations, la Manche et la mer du Nord relevant de la Grande-Bretagne et la Méditerranée de la France. Pour le Pas de Calais, les Français doivent disposer de six sous-marins en deux lignes, Folkestone ‒ Gris Nez et Cherbourg-Portsmouth. Le reste repose sur la flotte britannique. A la déclaration de guerre les Anglais n’envisagent pas de bataille navale immédiate (il en est de même dans le plan Schlieffen) mais ils déploient des filets remorqués pour empêcher le passage des sous-marins. Au même moment, les Allemands commencent la construction de petits sous-marins capables de franchir les filets et de mouiller des mines.

Celles-ci font l’objet de la communication de Patrick Geistdoerfer, président de la section Navigation et océanologie de l’Académie, qui donne pour titre à son propos « Une arme sous-marine extrêmement offensive pendant la guerre 14-18 : les mines ».Malgré l’interdiction des mines par la convention de La Haye de 1907, tous les belligérants les ont utilisées car c’est une arme peu coûteuse et très efficace. Elles ont provoqué la disparition de bâtiments pour plus d’un million de tonnes avec des pertes spectaculaires comme celle du cuirassé Bouvet dans les Dardanelles en mars 1915, suivie de l’Irrésistible et l’Océan, ou encore en 1918 le croiseur britannique Hampshire avec Lord Kitchener, ministre britannique de la guerre. Les Alliés installent deux principaux champs de mines : le « barrage du Nord » avec 72 000 mines entre la Norvège et l’Ecosse ; le « barrage du Pas de Calais » entre le cap Gris-Nez et Douvres ; les Allemands disposent 179 champs de mines dans la même région. La lutte contre les mines est menée par des dragueurs de mines, généralement d’anciens chalutiers, dont l’activité est illustrée par les peintures de René Pinard.

Jérémie Caillaud, docteur de l’Université de Picardie, communique les conclusions de son travail sur « Le développement des bases britanniques sur la côte d’Opale. » Les troupes britanniques ont besoin d’installations sur le continent pour assurer le repos et pour disposer le ravitaillement et le matériel apportés par la flotte. A partir du 12 août 1914 les 150 000 hommes du corps expéditionnaire débarquent au Havre, à Rouen et à Boulogne. Le port de Calais est aussi envisagé, mais il est écarté car il est trop proche du front et surtout il sert de position de repli pour l’armée belge. Or, pour des raisons politiques il faut que l’armée française soit au contact des Belges. A partir de l’année 1915, les forces britanniques augmentent en nombre car elles reçoivent les volontaires venus des dominions. Tout en conservant les bases du Havre, de Rouen et de Boulogne, augmentée de celle de Dieppe, les Alliés s’installent à Calais à partir du 15 avril 1915 puis à Dunkerque à l’automne de l’année 1915-1916. L’armée britannique améliore les installations portuaires, construit des gares et développe le réseau fluvial. Elle construit de vastes camps, ainsi celui d’Etaples à 20 kilomètres de Boulogne. Les Britanniques sont d’autant mieux accueillis qu’ils reçoivent des soldes relativement élevées, ce qui favorise la consommation. On assiste à des mariages franco-britanniques au nombre 144 à Calais et 104 à Boulogne. Il y a aussi parfois des heurts et une certaine lassitude de la population. Après l’armistice, deux millions d’hommes et une partie du matériel sont « rapatriés » en Angleterre.

Patrick Oddone, président de la Société dunkerquoise d’histoire et d’archéologie, aborde la question de la présence de « L’aviation navale américaine en Flandre en 1918 ». La présence aérienne militaire anglaise et française à Dunkerque et dans les environs est importante durant la Première Guerre mondiale et les aviateurs attendent de l’arrivée des Américains une multiplication du nombre des sorties. Cet espoir est déçu.

La première installation est celle d’une base d’hydravions dont la construction est entamée par les Français en juillet 1917 dans l’anse des constructions navales ; les hydravions, les pilotes et le personnel (soit 7 officiers et 205 marins) arrivent au début de 1918. Jusqu’au mois de novembre ils font 843 sorties, surtout de reconnaissance, avec 924 heures de vol. Cette installation est vulnérable, aussi est-il nécessaire d’implanter à proximité une escadrille de chasseurs. Celle-ci est installée à Grande-Synthe, mais son matériel est détruit au cours d’un raid ennemi du 25 juin et les pilotes sont intégrés dans une escadrille britannique dans laquelle ils servent à partir du 15 juillet. D’autres bases sont installées dans le Pas-de-Calais, mais les premières livraisons de matériel ne conviennent pas et demandent une adaptation. Seuls les bombardiers De Havilland utilisés pour le bombardement de jour sont livrés en mai 1918 et sont utilisables ; les Américains les utilisent pour faire un raid important le 14 octobre. Il y a aussi l’implantation d’une flotte de bombardiers dirigeables, mais ceux-ci sont opérationnels à partir du mois d’octobre seulement.

Le bilan militaire est donc décevant, mais l’impact psychologique de l’arrivée des Américains est d’une toute autre ampleur.

La séance du vendredi matin 24 octobre est ouverte par Christian Borde, maître de conférences à l’Université du Littoral, dont la communication est intitulée « Les armateurs du Nord face aux enjeux de la guerre maritime, 1914-1918 ». Dans une première partie, il précise l’action du Syndicat des Armateurs du Nord, unissant sept sociétés (Chargeurs Réunis 36 %, Bordes et fils 26 %, Société navale de l’Ouest 11 %, Compagnie des bateaux à vapeur du Nord (Rothschild) 8 %, Delmas 5 %, Worms et compagnie 5 %), dont une partie seulement est installée dans la région, ainsi que celle du Comité central des armateurs de France, fondé en 1903 avec plusieurs syndicats régionaux (Nord, Ouest, Marseille). La guerre est un temps « d’une incroyable prospérité » pour l’armement, constate le secrétaire général du Comité, car le trafic est multiplié par trois. Dans cette période favorable, les syndicats poursuivent une action de lobbying pour obtenir la pérennisation des primes à la construction et à la navigation. Par ailleurs le Comité élabore avec la Marine les dispositions à prendre pour la protection des navires de commerce, avec en particulier une discussion sur l’armement des bâtiments civils à laquelle les armateurs ne sont pas favorables en raison des dispositions des assurances ; finalement à partir de 1917 un canon de 47 mm est accepté. Le Comité diffuse encore des informations sur les zones à éviter car elles sont fréquentées par les sous-marins ennemis ; il donne connaissance de l’organisation des convois à partir de 1917.

La question essentielle est l’adaptation de la loi de réquisition de 1871, d’autant que les armateurs craignent la poursuite de la loi de réquisition après la guerre. En juillet 1915, Victor Augagneur, ministre de la Marine, fait une concession importante en ouvrant le choix entre la liberté ou l’Etat, c’est-à-dire « gagner de l’argent ou gagner la guerre ». L’amiral Lacaze, devenu ministre en 1916, et qui doit tenir compte des fournitures de charbon à la Marine par les armateurs, tente de négocier les conditions des armements avec la commission des réquisitions du Comité. Le Parlement est divisé. Finalement, le Gouvernement, par une décision du 15 février 1918, choisit la réquisition générale et celle-ci sera maintenue jusqu’en 1919.

Emmanuel Boulard, officier de Marine et docteur en histoire, traite de « L’amiral Ronarc’h à Dunkerque, 1916-1918. La Marine dans la zone des armées du Nord ». En août 1914, l’amiral Ronarc’h, après un congé de convalescence, avait été chargé de l’inspection des ports avant de prendre le commandement de la brigade de fusiliers marins. En 1916, chargé de la guerre sous-marine sous l’amiral Lacaze, ministre de la Marine, il est envoyé dans le Nord pour régler les différends avec la marine marchande et mettre en place la défense des côtes avec des fusiliers marins. Il reçoit le commandement du front de mer dont le centre est placé à Nieuport. En 1917 il dirige la protection de la navigation contre la « guerre sous-marine à outrance » lancée par les Allemands et réorganise la défense de Dunkerque, menacée par une offensive ennemie ; à partir de mars 1918 et jusqu’au mois de juillet, lors de la grande offensive sur Amiens, les torpilleurs allemands font des raids « éclair » sur Dunkerque et bombardent la ville ; à partir de novembre 1918, en relation avec la reconquête du territoire par l’armée belge, il organise la protection des ports de Zeebrugge et Ostende et fait relever l’organisation des défenses côtières par l’armée allemande pour en tirer des leçons, puis il organise la démobilisation.

Jean-Pierre Mélis, membre de la Société Dunkerquoise d’histoire et d’archéologie, précise « La perte du torpilleur Etendard au large de Dunkerque en avril 1917 », bâtiment dont il a fait un repérage photographique sous-marin. Ce torpilleur rencontre dans la passe devant Dunkerque des torpilleurs allemands qui venaient de bombarder la ville, alors que les batteries du front de mer, disposées à Mardyck et Zuydcoote, ripostaient en utilisant des projecteurs. Cet éclairage permet aux ennemis de reconnaître l’Etendard, passé jusqu’alors inaperçu, et de le couler instantanément avant que le commandant Mazaré et son équipage ait pu tirer un seul coup de canon.

A l’issue de cette communication, Patrick Oddone dégage les conclusions générales du colloque.

Les actes de ces rencontres seront publiés par l’Université du Littoral au cours de l’année 2015.

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