Voyages d'étude et visites

Tunisie

C&M 3 2006-2007

Du 20-05-2007 au 25-05-2007

Extrait du BM n°8 de mai 2007

Sous la conduite de l’amiral Jacques Lanxade, président de l’Académie de marine, un groupe composé de 10 membres de la Compagnie et de 9 invités permanents, au total 38 personnes, conjoints et accompagnants compris, a effectué un voyage en Tunisie du 20 au 26 mai. M. Jean-Paul Nerrière, membre de la section Droit et économie qui participait à ce voyage, a bien voulu en assurer le compte rendu pour les lecteurs du Bulletin Mensuel qui en trouveront le texte ci-dessous.
La Tunisie aura offert aux participants à ce voyage l’image d’un pays engagé et volontaire, méritant et structuré, et dont les responsables rencontrés démontrent à tous niveaux une motivation réconfortante. Sans inhibition ni forfanterie, ils nous auront présenté des réalisations faisant honneur à leur nation, et des projets dont les ambitions, parfois mesurées, ont le mérite de la lucidité. L’équipement en général, le parc automobile, l’ensemble immobilier, la voirie, l’absence de mendiants, les capacités industrielles et maritimes présentées, l’excellent niveau de formation des intervenants, donnent l’impression d’un pays mené avec rigueur et détermination sur un chemin de développement prometteur, soucieux de responsabilités à portée internationale, et rendu à un stade comparable plus ou moins à celui de l’Espagne des années 1970. Et pourtant le PIB par habitant annoncé n’atteindrait que 3000 US$.
La scolarisation met déjà ce pays dans la moyenne de l’OCDE. La place de la femme ici devrait faire envie à d’autres nations moins avancées. Le lien avec la France, en tant que partenaire et berceau de la langue, est activement maintenu et semble sincèrement recherché dans une atmosphère de respect et d’estime mutuels. Les relations personnelles du Président et de Madame Lanxade, tout comme leur intimité avec cette terre, auront procuré des visites et des rencontres d’une densité et d’une richesse inattendues, toutes de nature à confirmer et documenter les impressions ci-dessus.
Notre Ambassadeur et ses collaborateurs confirment ces perceptions. Plus de 450 ans de relations diplomatiques entre les deux pays, des contacts forts et cordiaux depuis l’indépendance, plus de 1 100 sociétés françaises implantées (notablement dans le textile), 20 000 de nos concitoyens résidant ici, 350 000 Tunisiens en France, notre langue très bien enseignée, un commerce actif et important (30 % des flux extérieurs du pays), et l’entrée en zone de libre-échange avec l’UE le 1er janvier prochain pour les produits industriels, tout indique une progression de cette tendance pour un pays ami qui projette une croissance économique de 7 % en 2007. Les grands axes économiques demeureront le tourisme, le textile et l’agroalimentaire. Malheureusement avec un taux de chômage encore à 14,3 % et une capacité d’investissement ne dépassant pas 22 % du PIB.
Le développement passera par une simplification des procédures administratives et douanières, une insistance sur la formation technique, la généralisation d’un internet de performance, et une diminution des coûts du transport maritime, en particulier avec Marseille, sévèrement concurrencé par Gênes au niveau des tarifs.
Première de nos rencontres, l’Office de la Marine Marchande et des Ports (OMPP) est une organisation proche de nos Affaires Maritimes en missions et influence, mais en charge aussi du programme portuaire tunisien. Huit grands ports actuellement, avec des spécificités ou des colorations : Bizerte, Radès, Tunis la Goulette, Sousse, Sfax, Gabès, Skhira et Zarzis.
Au total un trafic de 29 millions tonnes de marchandises, un flux de 90 000 remorques, 640 000 passagers accompagnés de 230 000 voitures, 661 000 croisiéristes en 736 escales de navires. À noter que la corporation des dockers a été supprimée en Tunisie en 2004.
Le pays a fort bien compris trois opportunités devenues des priorités.
Les croisiéristes, dont les escales durent en moyenne six heures. Certes, les redevances portuaires sont ainsi généreuses, mais des escales plus durables contribueraient mieux à l’économie générale du pays. L’ambition est donc de devenir une destination de début ou de fin de croisière, en complément, voire en concurrence avec Barcelone, leader actuel. Des extensions pas séjour à terre, dans l’important et excellent dispositif hôtelier devraient y contribuer. Dans l’immédiat, les aménagements des infrastructures d’accueil vont mobiliser l’essentiel des ressources : 124 millions d’euros entre financement public et privé. L’avenir semble d’autant meilleur que l’entrée de Malte dans l’UE rend cette escale moins attirante fiscalement pour les croisiéristes, et renforce la position concurrentielle de la Tunisie.
La seconde priorité est le trafic de conteneurs : les ports du Sud de l’Europe semblent arriver à saturation de leurs moyens, et Malte n’a pas à terre les capacités d’extension permettant de soutenir la croissance du marché à hauteur de 8% par an. La Tunisie veut une place dans le flux Nord Sud, et un rôle de « hub » dans le circuit Gibraltar Suez. Dans le vaste golfe de Hammamet se développe le projet du port spécialisé de Enfidha, avec une capacité possible, à terme, de 5 millions d’EVP (total actuel de la Tunisie : 350 000 EVP). Mais il n’est pas encore arrivé dans la phase concrète : la première tranche de ce projet ne verra guère le jour avant 2010 au mieux, et la question de l’insertion écologique équilibrée est encore en étude. C’est un autre aspect sur lequel la Tunisie est fermement décidée à ne pas compromettre.
Enfin, se voyant comme une zone de délocalisation industrielle proche et amicale pour la France, la Tunisie mise sur un important trafic de remorques sur navire Ro-Ro, avec des rotations accélérées en temps total de transport. Un terminal spécialisé est en cours de construction avec des fonds originaires du Moyen-Orient.
La plaisance émerge comme une autre opportunité, au service surtout de la population de notre littoral, où sévit une grave pénurie de postes à quai. Un port de plaisance pourrait être monté dans l’ancien port de Tunis, et un projet de mille anneaux a été présenté à Bizerte, pour disponibilité en 2010, voire en 2008, capable d’accueillir des bateaux jusqu’à 40 mètres. Les coûts pour l’utilisateur n’arriveraient qu’à 60 % de ce qui est disponible en France, et la situation géographique est attirante.
La pêche est un secteur traditionnel, principalement concentré sur l’activité côtière, avec 100 000 personnes s’y consacrant sur une dizaine de milliers de barques ou petites unités. La succulente gastronomie locale aura démontré la qualité des produits et leur fraîcheur, synonyme de circuits de distribution performants.
L’action de l’État en mer est proche de ce que nous connaissons, avec les quatre intervenants traditionnels, Douanes, Affaires Maritimes, une Garde Nationale Maritime semblable à notre Gendarmerie Maritime, mais dépendant du Ministère de l’Intérieur, et naturellement la Marine Nationale, qui nous aura réservé à Bizerte un accueil aussi chaleureux qu’éloquent, et dont le Chef d’État-major sera venu nous saluer à l’occasion de la réception organisée à notre intention par notre Ambassadeur.
Cette Marine dispose de quarante unités, complétées d’une soixantaine d’embarcations et engins. Ses effectifs se montent à 6 500 hommes, dont 650 officiers formés maintenant dans une École Navale opérationnelle depuis 1982, avec des séjours de complément à l’étranger, et pas uniquement en France. Elle semble proportionnée aux rôles ambitionnés par la Tunisie dont la vision est pragmatique : concentration sur le triptyque « anticipation, information, adaptation » ; ceci requiert une capacité minimum pour assurer une omniprésence proactive avec les ressources suffisantes pour protéger les intérêts maritimes fondamentaux et assurer l’efficacité face aux menaces transnationales du crime organisé, du terrorisme et des trafics. Trois « Combattantes 3 » fournies il y a vingt ans par les CMN, armées de missiles MM 40, et douze patrouilleurs rapides d’origine allemande forment le cœur des moyens. La Combattante visitée « Patrouilleur Lance-missiles Carthage » était un navire soigneusement tenu, qui a donné la meilleure impression. Pas colossal, mais susceptible d’infliger des dommages décisifs à un adversaire potentiel. Ces bâtiments passent environ 120 jours par an à la mer.
Un Service Hydrographie et Ouvrages, monté en 1987, prend en charge le littoral tunisien, non sans quelque fierté (légitime). Les relevés ne sont achevés que pour moitié environ à ce stade, mais couvrent toutes les régions importantes ou de fort trafic, avec des moyens et une maîtrise remarquée, à la mer comme en informatique. Les résultats, en forme vectorisée, sont au niveau requis par l’OHI.
Les capacités de réparation du type AMF permettent d’assurer l’entretien, la réparation et les carénages de tous les navires, le chantier « CMR Tunisie » de Sidi Abdallah étant disponible pour les opérations plus lourdes.
Cette dernière entreprise a repris pour une concession de trente ans, avec prolongation possible de vingt ans, les installations bien connues de beaucoup, transmises par la France à l’indépendance, et gérées jusqu’à la reprise par la SOCOMENA. Cette société avait monté ses effectifs à 1 500 personnes, et avait vécu pour une bonne part en réparant et entretenant les bâtiments de la Marine soviétique. Le repreneur, Français fort d’une expérience de trente ans dans le domaine, vient de se lancer sur le marché international avec un outil impressionnant par ses moyens : les anciennes 4 cales sèches de l’ex-arsenal, dont une forme pouvant accueillir les porte-conteneurs au format Panamax, et des ateliers gigantesques abritant un équipement souvent obsolète, mais remis en état de fonctionnement après une période de déshérence qui aurait pu être fatale. Les tarifs pratiqués sont à parité avec ceux de la Turquie et de la Croatie, c’est-à-dire à peu près à 50 % de ce qui est connu dans les pays riverains de l’autre côté du bassin occidental de la Méditerranée. L’emplacement est en plus excellent, et les compétences sont assurées par une main-d’œuvre exclusivement tunisienne complétée d’appels ponctuels aux spécialistes étrangers les plus pointus : tous les espoirs semblent permis dans cette aventure.
La composante touristique du programme aura été à la hauteur de sa partie professionnelle. Visite émouvante d’un cimetière militaire français magnifiquement entretenu dans un site somptueux accordé par le gouvernement tunisien à Gammarth, et d’un autre entouré des mêmes soins touchants à Takrouna : les couleurs des deux pays y flottent fraternellement. Carthage (« la ville nouvelle ») avec ses bientôt trois mille ans de vécu, sa cathédrale, et les souvenirs de Saint-Louis. Et toutes ses trouvailles inoubliables rassemblées dans le musée du Bardo avec ses collections de mosaïques exceptionnelles.
Parmi les deux cents sites romains recensés, une mention spéciale pour Dougga, localité romaine importante avec un théâtre qui a conservé l’essentiel de sa richesse, un capitole très évocateur, des vestiges immobiliers innombrables dont des thermes témoignant de l’importance de la ville dans l’antiquité, quand la Tunisie était le grenier à blé des Romains qui y introduisaient les premiers plants des soixante millions d’oliviers actuels.
La conclusion sera offerte à Kairouan, quatrième ville sacrée de l’Islam, l’une des seules deux accessibles aux non-musulmans, avec sa gigantesque mosquée de modèle basilical, les bassins construits par le pouvoir Aghlabite pour contenir jusqu’à 600.000 m3 de réserves d’eau, et le mausolée du barbier favori du Prophète.
La Tunisie est un pays où les hommes ont laissé sans la moindre interruption des traces et des vestiges précieux depuis que l’histoire existe. Un régal qui aura mis en appétit en vue de séjours ultérieurs : c’est la cinquième destination préférée des Français, non sans raison. L’Académie de marine y aura reçu un accueil exceptionnel d’amitié et de contenu.

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