Éloge

Séance du 13 mars 2019

Eloge de l’Ingénieur général de l’Armement Pierre Willm (1926-2018)

Cet éloge est prononcé par l’ingénieur général de l’Armement Hervé Guillou, successeur de Pierre Willm dans la section Sciences et techniques.

Je suis honoré et fier de rendre aujourd’hui hommage à l’ingénieur général de l’Armement Pierre Willm.

Je tiens à saluer les membres de sa famille ici présents, sa femme Jacqueline et ses trois fils, Eddy, Joël et Régis (sa fille Arielle n’ayant pu se déplacer), ainsi que ses amis.

Le nom de Pierre Willm restera à jamais associé aux exploits du bathyscaphe, à cette épopée sous-marine incroyable qui raconte l’histoire de l’excellence française.

Mais cet explorateur des fonds marins est également connu pour ses valeurs humaines fortes, celles de la curiosité, de l’ouverture d’esprit, de la gentillesse, de l’engagement et de la passion.

Je voudrais ici revenir autant sur sa carrière remarquable et sur ce qu’il a apporté en tant qu’ingénieur, que sur ses grandes qualités personnelles.

Pierre Willm nait à Argenteuil en 1926. Dans sa jeunesse, il est passionné par la montagne mais se destine à la navigation et rêve de voyages au long cours dans la Marine.

Après ses études au lycée Condorcet, il entre à l’Ecole polytechnique en 1945. Il choisit la voie du Génie maritime, notamment pour pouvoir embarquer sur la Jeanne d’Arc. Une fois son diplôme en poche, en 1951, Pierre Willm entre à la Direction des constructions et armes navales de l’arsenal de Toulon. Il y succède à l’ingénieur André Gempp.

Gempp est connu pour son rôle dans les projets de sous-marins français d’après-guerre et le développement du SNLE Le Redoutable, dont il fut le premier architecte puis le maître d’œuvre principal. C’était un homme d’une très forte personnalité, tout au contraire de Willm, toujours très discret. C’est pourquoi, si l’on suppose que Pierre Willm a été une cheville importante des études du Redoutable, son rôle n’a pourtant laissé que peu de traces dans la grande réussite menée par Gempp et Touffait, qui tenaient Willm en haute estime.

Pierre Willm passe douze ans à la DCAN et y côtoie autant Jacques-Yves Cousteau que le Suisse Auguste Piccard. Auguste Piccard est le détenteur du record d’altitude en ballon stratosphérique à 15 781 mètres en 1931. Il est le père de l’océanaute Jacques Piccard et le grand-père de Bertrand Piccard, lui-même l’auteur de tours du monde en ballon et en avion solaire.

Piccard est enseignant à l’Université libre de Bruxelles et a obtenu du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS), fondé à l’initiative du roi Albert 1er, le financement pour son ballon, baptisé FNRS 1.

Il a depuis des décennies l’idée d’un dirigeable sous-marin habité, et a déjà dessiné les plans du premier bathyscaphe, le FNRS 2. Celui-ci combine une sphère en acier à haute résistance, abritant l’équipage, avec un flotteur rempli d’essence. Les essais à vide du FNRS 2, en octobre 1948, montrent les limites de son flotteur qui ne résiste pas à la houle, mais impressionnent le commandant Cousteau. Celui-ci convainc la Marine de poursuivre l’aventure, entamée par les Américains William Beebe et Otis Barton dans les années 1930 : ils étaient descendus jusqu’à 923 mètres au large des Bermudes dans une sphère reliée par câble à un navire, la bathysphère, effectuant un total de 35 plongées.

Une convention entre Marine nationale, CNRS français et FNRS belge est signée en 1950, et l’étude du FNRS 3, qui débute sous la supervision d’André Gempp, est confiée en 1951 à Pierre Willm, très enthousiaste, en collaboration avec le commandant Georges Houot.

La sphère de 11 tonnes du FNRS 2 est conservée et un flotteur plus robuste est conçu. En janvier 1954, après des essais concluants et la prise de la pleine propriété par la France, Willm et Houot réalisent avec le FNRS 3 une plongée à 4 050 mètres au large de Dakar.

C’est un record absolu pour l’époque, et une grande émotion pour les deux aventuriers, premiers témoins d’un monde mystérieux à une telle profondeur. Ils conservent ce record glorieux pendant six ans. Le FNRS 3 accomplira 57 plongées scientifiques et 80 plongées opérationnelles entre 1954 et 1961. Restauré en 2005, il est aujourd’hui installé dans les jardins de la Tour royale à Toulon.

Sa mission de conception du FNRS 3 accomplie, Pierre Willm est affecté à Paris. Entre 1955 et 1958, il est chargé de la conception des sous-marins au Service technique des constructions et armes navales. Mais il revient rapidement à Toulon et entreprend un nouveau projet avec le commandant Houot : celui de la construction de l’Archimède, avec une ambition très forte. Malgré le peu de moyens et les fortes réticences, ils souhaitent construire un bathyscaphe à vocation scientifique capable d’atteindre 11 000 mètres.

Pendant ce temps, Auguste Piccard a développé avec les Italiens son projet personnel de bathyscaphe, le Trieste, racheté en 1958 par les Américains qui entrent ainsi dans la course aux profondeurs – Pierre Willm préférait parler d’émulation. Le père et le fils Piccard sont mandatés par la marine américaine pour explorer la fosse des Mariannes. Le 23 janvier 1960, ils atteignent la profondeur de 10 916 mètres, record absolu jusqu’à ce jour.

L’Archimède, financé avec la Belgique, est quant à lui lancé le 28 juillet 1861. Sa sphère a un diamètre intérieur de 2 mètres, sa coque une épaisseur de 15 cm. Seulement un an après, le 15 juillet 1962, Pierre Willm et Georges Houot réalisent la plongée historique des Kouriles, à 9 200 mètres au large du Japon. Cette plongée héroïque lui vaut la Légion d’honneur. L’Archimède atteindra quelques jours plus tard la profondeur de 9 545 mètres lors de sa première plongée scientifique.

Le record du Trieste n’est pas atteint, mais l’Archimède se distingue par sa haute fiabilité ; contrairement au Trieste, remanié maintes fois, qui ne descendra jamais plus sous les 6 000 mètres, l’Archimède participera jusqu’en 1974 à de nombreuses campagnes océanographiques dans tous les océans et effectuera plus de 200 plongées.

Après cette incroyable aventure, Pierre Willm n’abandonne pas l’exploration. En 1963, André Giraud, à l’époque directeur général adjoint de l’Institut français du pétrole, cherche à faire progresser la France dans le domaine de l’exploration en mer et il propose à ses camarades d’école, Pierre Willm et Jacques Delacour (expert en forage), de mener ce programme. L’objectif est de mettre au point des techniques de prospection et d’exploitation de gisements hydrocarbures sous-marins, pour lesquels les engins télécommandés doivent être complétés par l’observation humaine.

Willm a d’abord calculé et fait construire des plateformes flottantes, des pentagones sur piliers. Ce sont ses premières contributions importantes à l’IFP.

André Giraud provoque des discussions entre Cousteau, pour le Centre d’études marines avancées (CEMA), et Willm, pour l’IFP. L’IFP et le CEMA se lancent de concert dans l’aventure de l’Argyronète et Pierre Willm, appelé sur le projet pour sa très solide expérience, en est nommé chef de projet et en dessine les plans.

Willm et Cousteau ne sont pas d’accord sur le principe de l’Argyronète : Cousteau voudrait une plateforme, une « maison sous la mer » en forme de couronne ou de pneu. Cela ne plaisait ni à Willm, ni à Delacour : une fois la maison posée, on ne pouvait plus la bouger et Willm voulait quelque chose de mobile pour l’exploration pétrolière. Malgré sa forte personnalité, Consteau finit pourtant par céder, Willm ne transigeant jamais sur les aspects scientifiques et techniques pour atteindre le meilleur résultat. L’Argyronète est donc finalement imaginé comme le premier sous-marin océanographique de grandes dimensions : il est conçu pour abriter quatre océanautes à 600 mètres de profondeur pendant huit jours et permettre l’entrée et la sortie de plongeurs.

La construction démarre en 1968 à Grenoble dans l’usine de Neyrpic. Pierre Willm s’y rend régulièrement pour suivre les travaux qui posent de nombreux problèmes techniques. Le sous-marin prend cependant forme et est au point d’être achevé quand sa construction est suspendue en 1971 à cause de dépassements budgétaires.

C’est à cette période, si vous me permettez un souvenir personnel, que j’ai rencontré Pierre Willm pour la première fois : lorsque je réalisais mon projet de fin d’études à l’ENSTA sous la direction de Gérald Boisrayon, un sous-marin d’intervention crache-plongeurs, je suis venu le consulter à l’IFP pour l’interroger sur les batteries au cadmium-nickel.

Mon sous-marin d’intervention n’a pas vu le jour, contrairement à l’Argyronète dont la construction a repris en 1982 sous le nom de Saga, sous-marin d’assistance à grande autonomie, cette fois financé par la Comex et l’Ifremer (ex-Cnexo).

Le Saga est lancé à Marseille en 1987 et bat le record de profondeur d’intervention depuis un sous-marin en 1990, en relâchant un plongeur à -317 mètres, un nouvel exploit qui marque l’histoire de la conquête des profondeurs.

Pierre Willm passe au total 24 ans à l’Institut français du pétrole et contribue à de nombreux projets, par exemple des plateformes semi-submersibles pour la mer du Nord, ou encore le télénaute, engin d’observation et de manipulation télécommandé pour les opérations très profondes hors de portée des plongeurs. Il devient directeur scientifique et reste à l’IFP jusqu’à son passage en deuxième section en 1987, toujours animé de la même énergie.

A la retraite, il rejoint l’Université libre de Saint-Germain-en-Laye où il suit des cours sur les mathématiques modernes (la théorie des ensembles, les théorèmes de Gödel, les machines de Turing, …), sur d’autres sujets comme l’astronomie ou les transports, sans cependant se limiter à la technique ; il ne se départit jamais de sa curiosité scientifique très aiguë.

Elu à l’Académie de marine en 1988, il y fait connaître et rayonner le monde dit de l’offshore. L’Académie était très classiquement orientée vers les marines de commerce et militaire, l’offshore était alors considéré comme une science mineure.

Pierre Willm l’a fait reconnaître comme un métier à part entière, avec des connaissances techniques et scientifiques pointues. Reconnu par tous comme un excellent ingénieur, personne ne pouvait contester sa légitimité et son rayonnement s’est affirmé au cours du temps.

Au-delà de son excellence comme ingénieur, tous ceux qui ont connu Pierre Willm s’accordent à saluer son formidable contact humain. C’était un homme simple, très à l’écoute, d’une grande ouverture d’esprit. Il aimait la discussion et appliquait son esprit scientifique sur tous les sujets, allant jusqu’au bout de ses convictions mais respectant absolument celles des autres. Captivé par la question du dialogue entre les religions, il était infatigable dans la discussion, voulant aller en profondeur, comprendre le sens que chacun apportait aux mots et s’approcher de la réalité concrète, sans jamais la moindre agressivité dans le débat.

Très modeste, avenant et bon camarade, Pierre Willm n’avait de cesse de partager sa passion de l’exploration sous-marine et ses expériences à bord de l’Archimède, devenu musée à la Cité de la mer. Il ne cherchait jamais à se mettre en avant, rendait à chaque occasion hommage à ses compagnons de route, à l’invention d’Auguste Piccard, et à son camarade de plongée Georges Houot décédé en 1977.

C’était aussi un mari, un frère et un père très attentif et dévoué, qui portait une affection très profonde à sa femme et ses enfants, attaché à la vie familiale, aux vacances aux Houches où il aimait skier et faire de l’escalade, ou l’été dans le Var, dans la maison du Pradet.

Décédé en mars 2018 à la veille de ses 92 ans, l’ingénieur général de l’Armement Pierre Willm était officier de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre national du Mérite, chevalier de l’ordre de Léopold en Belgique. Sa contribution à l’histoire sous-marine française se ressent encore aujourd’hui et restera pour très longtemps dans les mémoires. L’heure n’est plus à la course aux records, mais la connaissance des profondeurs, à laquelle il a largement contribué, est une richesse précieuse.

Pierre Willm avait une âme d’explorateur, il restait émerveillé face à la conquête des grands fonds et fut un véritable ingénieur du Génie maritime au sens profond du terme, suscitant l’admiration de ses successeurs. Si son intrépidité des premières plongées avait laissé place à une légère inquiétude après la naissance de ses enfants, il avait toute confiance en ses inventions et ne s’est jamais laissé impressionner par la crainte des abysses. Il avait le souci profond que les travaux d’exploration sous-marine, pour laquelle la France était véritablement pionnière, ne soient pas oubliés. En mémoire de Pierre Willm, continuons donc à faire rayonner ces extraordinaires aventures.

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