Éloge

Séance du 10 janvier 2018

Eloge de l’ingénieur civil du Génie maritime Bernard Parizot

Cet éloge est prononcé en présence de la famille de M. Parizot, par M. Pierre de Livois, ancien Directeur adjoint de la division marine du Bureau Véritas et successeur de M. Parizot dans la section Sciences et techniques.

C’est un grand honneur pour moi de faire aujourd’hui l’éloge de Bernard Parizot, membre de l’Académie depuis 2006 et qui nous a malheureusement quitté le 20 avril 2016.

Entré au Bureau Véritas, au moment où il prenait ses fonctions de Directeur technique, j’ai eu la chance d’être membre de ses équipes et de vivre pendant de nombreuses années à ses côtés une aventure passionnante.

Bernard Parizot est né le 13 avril 1928 à Remiremont dans les Vosges, il a fait ses études à Epinal, Auxonne et Dijon, en suivant les mutations de son père, professeur d’histoire-géographie. Il est resté toute sa vie très attaché à la Bourgogne, tout particulièrement à Champdôtre, le village de sa famille et de ses amis d’enfance. La vie n’a pas toujours été facile, en particulier pendant la guerre avec les postes frontières allemands à traverser pour aller en classe à Auxonne. Comme beaucoup d'hommes et de femmes de sa génération, il a été confronté directement aux horreurs et aux privations de la guerre mais il n'évoquait pas cette période sous cet aspect. Il s'intéressait passionnément à l'histoire des deux guerres mondiales, collectionnant les livres et collectant de multiples témoignages afin d'écrire un recueil familial sur cette période. Ces épreuves ne l’ont pas empêché d’avoir un parcours scolaire très brillant étant à la fois littéraire et scientifique.

En 1951 il sort de l’Ecole Nationale du Génie Maritime et découvre le monde de la Marine et de la construction navale lors d’un stage en chantier à La Seyne-sur-Mer et surtout lors de son service militaire à l’arsenal de Toulon. Ingénieur civil du Génie Maritime et ingénieur de réserve de l’Armement la passion pour la construction navale ne le quittera plus. Il aimait à dire : « Cette période à Toulon [lors de laquelle il avait entre autres suivi le carénage du cuirassé Richelieu] a été une des plus riches de ma vie professionnelle et je le dois à la Marine nationale et à la DCN, car j’ai pu toucher du doigt la somme incroyable de compétences et d’expériences que représentait ce personnel, dévoué au-delà de toutes limites. Cela ne m’a servi qu’à me conforter dans l’idée que la construction navale est un métier merveilleux car c’est la synthèse de tous les métiers d’ingénieur : conception, construction et équipements. »

Il gardera de cette expérience un goût très prononcé du terrain, des contacts et du travail bien fait.

Entré en 1953 au Bureau Véritas, société internationale de classification de navires et d’aéronefs, il est resté au service de cette société durant toute sa vie professionnelle, à l’exception de trois années passées aux chantiers navals de Dunkerque où, de 1964 à 1967, il assura les fonctions d’ingénieur principal, responsable des études, et ingénieur chargé de la conception et de la construction du paquebot Pasteur pour la compagnie des Messageries Maritimes.

Avant cette étape dunkerquoise, il dirige pendant six ans le centre d’inspection du Bureau Véritas de Saint-Nazaire et, à ce titre, fut responsable de la classification du paquebot France. En 1967 il rejoint la Direction des Services Maritimes et, en 1976, il est nommé directeur technique puis directeur adjoint des services maritimes. Il restera à ce poste jusqu’à sa retraite en 1994.

Membre de ses équipes, j’ai grandement apprécié ses qualités d’homme et de patron. Il aimait la technique, l’innovation, les grands projets et il aimait par-dessus tout travailler en équipe. Il était par ailleurs très fidèle aux clients du Bureau Véritas car pour lui il n’était pas question de vérifier simplement la conformité d’un navire à un règlement ; nous devions impérativement apporter toute l’aide nécessaire au chantier et à l’armateur pour aboutir à une conception optimale du navire. Bernard Parizot a été un homme clef pour le développement des services maritimes du Bureau Véritas à une époque où la construction navale subissait des mutations importantes, le gigantisme des pétroliers, le développement des transports de gaz, des grands navires de croisière, des grands porte-conteneurs, des LPG et des chimiquiers très sophistiqués, sans oublier les unités offshore fixes et mobiles.

J’aimerais maintenant détailler un certain nombre de projets et de domaines dans lesquels il s’était particulièrement investi.

Responsable du centre d’inspection de Saint-Nazaire il était en charge de la classification du paquebot France qui avait été conçu pour être le plus grand paquebot de son époque et capable de croiser à 31 nœuds. Il s’impliqua dans la construction avec passion, mit toute son expertise à la disposition du chantier et forgea avec celui-ci des liens extrêmement solides et durables. Mais ce qui est tout aussi remarquable c’est que pendant trente ans, malgré toutes ses responsabilités il a accompagné les armateurs lors des transformations successives du navire. Les réglementations pour les navires à passagers ont en effet beaucoup évolué pendant la vie du navire et il est toujours resté en première ligne pour apporter à l’armateur assistance et soutien.

Dans le domaine des pétroliers l’implication de Bernard Parizot a été tout aussi forte. Il faut rappeler que c’est cette catégorie de navires qui a été atteinte la première par le phénomène du gigantisme. Je rappelle que l’évolution a été extrêmement rapide, de 31 000 t en 1950 à 220 000 t en 1970 et 550 000 t en 1976, ce qui a conduit à révolutionner les méthodes de calcul et d’échantillonnage. Lors de la construction du Magdala de 220 000 t à Saint-Nazaire en 1968, il était responsable à Paris de la classification et a compris, face aux problèmes de structure apparus lors du test des citernes, que les méthodes de calcul empiriques basées sur l’extrapolation n’étaient plus utilisables ; comme il aimait à le dire « on venait de sonner le glas de l’ère de l’extrapolation ». Les grands pétroliers ont dès lors bénéficié de méthodes de calculs s’appuyant sur une utilisation extensive des éléments finis avec de nombreux cas de chargements, des études de vibrations provenant de la propulsion mais aussi, compte tenu de leur taille, de la houle. Pour apporter une valeur ajoutée, le Bureau Véritas s’est à l’époque doté des moyens pour faire des calculs totalement indépendants avec le soutien express de Bernard Parizot.

Enfin je me dois de mentionner le domaine des transports de gaz car, là encore, Bernard Parizot s’est impliqué dès le début. En effet, en 1961, un ancien Liberty ship est transformé à Penhoët, ancien chantier naval de Saint-Nazaire, en navire expérimental, le Beauvais, pour le transport du GNL en cuves autoporteuses ; Bernard Parizot en a suivi les essais pour le Bureau Véritas. Cela a conduit à la construction du premier méthanier français en 1962, le Jules Verne, avec la totale implication du Bureau Véritas.

En 1963, Gazocéan crée une filiale baptisée Technigaz, en charge de développer une nouvelle technologie de transport de GNL à partir d'une membrane gaufrée. Un brevet est déposé en 1964. La technologie est ensuite améliorée pour donner naissance au système de confinement Mark I. La mise au point de la technique se fait sur un navire expérimental, le Pythagore, aux ACH.

Parallèlement, le groupe Worms met en place une équipe menée par Pierre Jean pour travailler sur une membrane cryogénique tapissée d'un film en Invar, un alliage de fer et de nickel qui présente la particularité d'avoir un coefficient de dilatation très faible. Sur la base de ces travaux, Gaztransport est créé en 1965 et Worms décide de construire un navire expérimental, un propanier de 30 000 m3 baptisé Hippolyte Worms.
Le développement du transport de gaz liquéfié est une aventure française dans laquelle de nombreux académiciens, dont Jean Alleaume, Gilbert Fournier, Gilbert Massac et plus récemment Jacques Dhellemmes, Jean-Alain Le Tallec, pour ne citer qu’eux ont été des acteurs très importants et Bernard Parizot s’est beaucoup investi pour que le Bureau Véritas participe aux études et calculs, ce qui lui a permis d’être en tête des sociétés de classification dans ce domaine.

Un autre domaine où l’excellence était exigée est l’offshore. Le Bureau Véritas a publié son premier règlement en 1975 et, si Bernard Parizot n’a pas participé directement au démarrage, il a assuré comme directeur technique le développement et le soutien des équipes travaillant aussi bien sur les plates-formes fixes que mobiles et donnant au Bureau Véritas une connaissance incontestable en particulier pour les unités de production flottantes.

En qualité de Directeur technique Bernard Parizot a mis au service de la société ses qualités d’homme d’action et de développeur. Il était en effet convaincu de par son expérience de terrain que le Bureau Véritas, pour apporter de la valeur ajoutée à un projet, devait posséder des équipes d’ingénieurs et d’experts d’une grande technicité, un centre de recherche et des bureaux d’études capables d’appréhender les innovations en architecture navale ainsi que dans les domaines de la machine, de l’automatisation, de l’électricité et de l’incendie.

En plein accord avec la direction du Bureau Véritas Bernard Parizot a su mener à bien un certain nombre d’objectifs.

Son premier objectif a été de renforcer considérablement les équipes techniques du Bureau Véritas et de leur donner les moyens de calcul informatique nécessaires pour pouvoir appréhender un navire en intégrant sa taille et sa complexité.

Son deuxième objectif a été de donner une formation de haut niveau aux équipes du Bureau Véritas. Pour Bernard Parizot, il fallait maintenir et développer le niveau d’excellence des équipes et pour ce faire il a mis en place à Nantes un centre de formation et de perfectionnement au service du Bureau Véritas et du secteur maritime. Toutes les spécialités étaient concernées : l’hydrodynamique, la coque, la machine, la propulsion, l’électricité, l’incendie, les vibrations mais aussi les différentes interventions de l’expert sur le navire. Ainsi, les ingénieurs et experts pouvaient recevoir des formations techniques de base mais aussi se perfectionner et découvrir des techniques nouvelles. Ce centre était ouvert non seulement aux experts de l’ensemble du Bureau Véritas mais aussi aux ingénieurs techniciens du monde maritime. Aujourd’hui ce centre n’existe plus mais le cap avait été donné et la formation continue plus que jamais pour l’ensemble de la société par internet et par des séminaires nationaux et régionaux.

Son troisième objectif était que le Bureau Véritas soit mieux intégré au monde maritime. Il a tout mis en œuvre pour assurer un partenariat avec les chantiers, les armateurs, les instituts de recherche, les autorités nationales et tous les acteurs du monde maritime. Il poursuivit résolument et avec succès cette politique de partenariat avec les organismes scientifiques français de même vocation tels que l’Institut de la recherche de la construction navale, IFREMER, l’Institut du Pétrole, avec cette volonté de faire progresser la communauté maritime française et de lui apporter un maximum d’assistance.

C’est dans cet esprit qu’est lancée TECNITAS, filiale du Bureau Véritas, qui met au service du monde maritime, armateurs, ingénieries, pétroliers, une structure d’assistance dépassant les domaines de la classification.

Il était, dans le même esprit, très attaché aux comités du Bureau Véritas et plus particulièrement au comité technique car cela permettait aux professionnels de la mer de se retrouver et d’échanger à propos de leurs expériences, de l’innovation et de la réglementation dans un cadre convivial.

En 1982, il participa à l’élaboration du Livre Blanc sur l’évolution de la construction navale française, document qui a souligné l’importance d’une réorientation des chantiers navals civils vers les navires sophistiqués, navires à passagers et méthaniers notamment.

En 1986, le Bureau Véritas lui confia la défense des intérêts navals français de son ressort et il se mit au service de la profession, dans des circonstances rendues particulièrement difficiles par la crise des industries maritimes. Il coopéra pendant de longues années avec les services du ministère de tutelle de la marine marchande.

Sa longue expérience et sa compétence dans de nombreux domaines de l’architecture navale ont conduit les armateurs et les constructeurs à faire appel à lui pour des conseils ou des expertises techniques.

A la cessation de ses fonctions actives il est devenu arbitre à la chambre arbitrale maritime de Paris et conseiller en architecture navale du gouvernement français dans le cadre du Bureau Enquêtes Accidents/Mer depuis sa création fin 1997, en étroite coopération avec notre confrère Jean-Louis Guibert. Il a pu apporter toute son expérience en architecture navale et, fort de son esprit très logique, il a grandement aidé à la compréhension de naufrages posant question tel celui de l’Erika ou du Bugaled Breizh. Son engagement le plus important fut cependant celui consacré à l’accident de l’Erika et le rapport d’enquête du BEA/Mer tient compte des conclusions de Bernard Parizot concernant les faiblesses structurelles du navire. Le Bureau a eu finalement la satisfaction de constater que ses propres conclusions sur le processus de cassures de la coque étaient reprises à l’identique par l’expert judiciaire au civil.

Bernard Parizot a été pendant de nombreuses années vice-président de l’ATMA, a fait partie du conseil d’administration et a été l’un des principaux organisateurs des journées techniques de cette société savante. Il importe de rappeler que l’ATMA est la seule société savante d’expression française consacrant ses activités à la construction navale, à l’armement naval et aux unités offshore dans notre pays et sa pérennité n’a été rendue possible que grâce au dévouement de quelques responsables entièrement bénévoles.

Très actif à l’Académie dans la section Sciences et Techniques, Bernard Parizot a mis à la disposition de la Compagnie toute sa compétence en architecture navale, principalement dans le domaine de la structure métallique et dans celui de la sécurité pris dans son sens le plus large. Il a activement participé aux travaux, en particulier pour tout ce qui concerne le gigantisme, la sécurité, les navires à passagers, les porte-conteneurs. Il a apporté un concours particulièrement efficace à la commission mise en place sur les catastrophes maritimes et la prévention des pollutions par hydrocarbures.

Bernard Parizot a été nommé officier dans l’Ordre du Mérite Maritime en avril 2001 et promu commandeur en 2012.

Toujours discret sur sa vie familiale il a cependant su mettre toutes ses qualités de fidélité, de loyauté et de solidité ainsi que celles d’homme d’action et de développeur au service de sa famille. Vous vous êtes rencontré, Madame, sur son bateau Santez Anna en été 1962 et vous vous êtes mariés en juin 1963. Parents de trois garçons et grands-parents de quatre petits-enfants, vous avez fêté vos noces d’or en 2013. Vous avez une famille particulièrement unie dont il était très fier et à laquelle il a su apporter joie, sérénité et dynamisme. Comme aiment à le rappeler ses fils : « Il était toujours dans l’action…, il ne faut pas trainer », disait-il.

Enfin c’était un chrétien profond, d’une foi solide, très présent à Garches.

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