Éloge

Séance du 19 avril 2017

Eloge de Pierre Jourdan-Barry

L’éloge de Pierre Jourdan-Barry est prononcé en présence de sa veuve et de ses enfants par M. Patrick Soisson, successeur de Pierre Jourdan-Barry dans la section Marine marchande, pêche et plaisance.


Né en 1926, il est entré en 1949 dans la société de courtage maritime Barry, Rogliano et Salles. Son patron de l’époque était Edmond Salles qui lui transmit la présidence en 1963 et, sous cette nouvelle autorité, BRS est devenue le premier courtier français et l’un des plus grands courtiers internationaux. En quarante ans, sous sa présidence, les effectifs de BRS sont passés de 10 à 150 collaborateurs de toutes formations, de toutes nationalités, passant de l’approche nationale à la vision mondiale. Cette période fut riche en bouleversements dont Pierre Jourdan-Barry, en fin manœuvrier, a toujours su entrevoir le potentiel.

Au début, c’est le démantèlement de l’empire colonial et la disparition de nombre d’armements français historiques qui avaient vécu protégés par les liens privilégiés entre la France et ses colonies. Il fut un des grands acteurs de la vente des navires de ces armements. Parallèlement, il participa à la reconstruction, ou à la constitution, de flottes dans les pays nouvellement indépendants, les flottes algérienne et ivoirienne par exemple.

Les années 60 connurent l’avènement de navires spécialisés, les chimiquiers, les méthaniers, … et bien évidemment les porte-conteneurs et les rouliers. Pierre Jourdan-Barry impliqua BRS avec la création d’un département liners.

Dans les années 70, Pierre Jourdan-Barry créa, malgré les doutes originels de ses associés et collaborateurs, un nouveau métier, celui de courtier en constructions neuves. Jusqu’alors les courtiers étaient essentiellement impliqués dans les affrètements et les ventes de navires d’occasion. Il comprit l’importance de l’interface du courtier quand un armateur pouvait faire construire, non plus dans le chantier voisin, souvent ami, mais à des milliers de km de sa base, au Japon puis en Corée. Ce nouveau département des constructions neuves voulu par Pierre Jourdan-Barry rencontra un très grand succès et devint la locomotive de BRS. On peut considérer aujourd’hui que les transactions réalisées (100 à 150 par an) le sont à 50 % pour l’occasion, 50 % pour le neuf.

A cette même époque, Pierre Jourdan-Barry développa également la vente de sociétés maritimes. La liste en est longue.

La fin des grands paquebots de luxe n’épargna pas la France, donc bien évidemment le France. C’est ainsi que Pierre Jourdan-Barry assura par deux fois la vente du France. Tout d’abord en 1977 à M. Akkram Ojjeh dont le projet envisagé ne put voir le jour quand démarra à l’époque le conflit libanais. Le navire fut revendu à l’armement norvégien Kloster, une seconde fois donc, lequel, après de lourds travaux, en fit un navire de croisière à succès, le Norway actif jusqu’en 2003.

Le département courtage en construction neuve a connu une activité significative et déterminante dans le secteur aujourd’hui en plein développement des navires de croisière, avec près de la moitié du marché. On connaît l’importance de ces navires de croisière pour la construction navale française et européenne.

Pierre Jourdan-Barry créa également, au début des années 80, un département offshore pour accompagner l’exploitation pétrolière et convaincre les chantiers de l’intérêt de ce nouveau marché. Il fallut d’abord convaincre tant les pétroliers que les chantiers de l’utilité du courtier. De beaux succès au Congo et en Angola démontrèrent une nouvelle fois la justesse de son analyse.

Dans ce métier du courtage, Pierre Jourdan-Barry adaptait BRS aux évolutions techniques et économiques et souvent anticipait. Quand le marché n’était pas là, il le créait, dit-on ! N’a t-il pas fait investir des PME japonaises, contre avantage fiscal, dans des navires construits au Japon (une soixantaine au total).

« C’était un décisionnaire… il ne tournait pas autour du pot ! » m’a-t-on également révélé.
Je comprends, à ce point, que je ne pourrai pas tout évoquer des implications de Pierre Jourdan-Barry dans ce spectaculaire développement de BRS et dans de nombreux secteurs de l’industrie maritime.

L’opérateur puissant qu’il fut dans la marine était un analyste libre et critique de l’évolution du secteur et bien évidemment de la marine marchande française. En 2004, il avait préféré qualifier son intervention devant notre Académie de « libre propos » plutôt que « conférence ». Et combien son propos était libre !

Il avait tout d’abord voulu mettre en évidence ce qu’il nommait une « traduction tendancieuse », biaisée, du flag of convenience par « pavillon de complaisance ». Notre confrère Michel Roussel avait montré combien cette appellation permettait d’écarter tout débat et toute réflexion chez les gens convenables : « complaisance » !

Pierre Jourdan-Barry, lui, préférait, et c’était meilleure traduction, « pavillon commode », « pavillon pratique » ou même « pavillon de libre circulation ». Michel Roussel avait proposé le pavillon « efficace » : « Le pari d’un pavillon efficace ».

Il voulait montrer combien l’instauration de divers pavillons de libre immatriculation répondait au souci d’échapper à des contraintes étatiques pendant une navigation sur des océans, res nullius, propriété de personne et de tous, et ce dans le cadre d’une législation internationale assurant la liberté des mers.

Quand les pavillons nationaux et leurs contraintes handicapantes rendent impossible d’assurer leur compétitivité, le maintien de l’activité des flottes ne peut se faire qu’au travers de subventions compensatrices ou de refuge sous un autre pavillon à coût d’exploitation moins lourd.

Pierre Jourdan-Barry, comme d’autres observateurs, plaidèrent pour une marine marchande libérée de la mainmise étatique, une marine marchande efficace et libre. Le Norway n’a-t-il pas été rentable pendant 30 ans sous pavillon norvégien !

N’avait-il pas intitulé un article antérieur dans La Revue Maritime : « Exception maritime française ou la mort programmée du pavillon français ».

On sait aujourd’hui qu’il a tardivement été entendu, compris, mais sans doute insuffisamment et trop tard. Anglais, Danois, Norvégiens, Hollandais avaient depuis longtemps assoupli leurs pavillons nationaux.

Il concluait : « Vive l’Armement français conquérant parce que compétitif – mais surtout, vive la liberté ».

J’ai choisi de longuement rappeler cet article car il illustre l’homme de conviction et d’action que j’ai découvert au fil de mes rencontres, de mes lectures, fort, passionné, tenace, rigoureux, polémique, mais sensible, humain, facile d’abord. Toujours très positif.

Il fallait être bon disaient ses collaborateurs mais il faisait confiance. Il était à leur écoute.

Patron charismatique, il s’attachait à les connaître personnellement, situation familiale comprise. Ce souci des autres, s’est illustré dans le transfert évoqué précédemment du capital de BRS à ses collaborateurs avec grandes élégance et générosité.

Sa détente, sa passion… Elle était hors du maritime mais caractéristique d’un homme qui aimait l’action, l’aventure… C’était la chasse. Il aimait pour cela aller en vacances avec ses amis en Espagne, en Ecosse… La perte de son œil droit l’obligea à regret de mettre un terme à cette activité dans ses dix dernières années.

Autre profonde passion, c’était en tout un passionné ; l’homme était également un homme de culture, un amateur d’art et un collectionneur.

Sur plus d’un siècle, sa grand-mère, son père et lui-même amassèrent des trésors d’orfèvrerie, écuelles, pots et autres flambeaux d’argent, exclusivement des XVIIe et XVIIIe siècles français. Pierre Jourdan-Barry constitua également une superbe collection de faïences de Marseille et de Moustiers. Il fit donation à la ville de Marseille pour son musée de la faïence, musée Grobet Labadié, musée du Louvre et autres. La collection de Moustiers fut donnée à Sèvres et déposée à la ville de Moustiers pour agrandir son petit musée. Cette passion de collectionneur laisse ainsi un témoignage inestimable de la qualité artistique de l’art des faïenciers de Moustiers aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Pierre Jourdan-Barry était commandeur de la Légion d’honneur, officier du Mérite maritime et officier des Arts et des Lettres.

Je tiens, en terminant, à remercier tous ceux, parents, anciens collaborateurs, amis, qui, sollicités ou spontanément, m’ont permis de faire connaissance avec Pierre Jourdan-Barry. Ils m’ont permis de constituer le souvenir personnel d’un homme dont je regrette de n’avoir pas fait connaissance plus tôt.

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