Conférences

Concevoir, construire, conduire des opérations à plusieurs :
Français et Britanniques en Norvège (avril-juin 1940)

Tristan Lecoq
Membre de la section Marine militaire

Le 11-03-2020

La communication de ce jour est assurée par M. Tristan Lecoq, inspecteur général de l’Education nationale, membre de la section Marine militaire.


Du 9 avril au 10 juin 1940, ce sont deux mois et un jour de combats en Norvège. Une première pour les Alliés : une opération de débarquement interarmes, interarmées, interalliés (France, Angleterre, Norvège, Pologne) qui rassemble près de 100 000 soldats, dans un contexte politique et militaire contraint, avec des victoires sur le terrain et un rembarquement dû à la situation catastrophique sur le front de France. Avec autant de soldats, c’est aussi une première pour les Allemands : Weserübung, ou « exercice Weser », est une opération interarmes et interarmées dont la responsabilité et la mise en œuvre repose sur un état-major de planification opérative distinct de l’Oberkommando der Wehrmacht (l’OKW), de l’Oberkommando der Luftwaffe, (l’OKL) et de l’Oberkommando der Marine (l’OKM)1.

Une opération réalisée par les Allemands en appliquant trois principes : économie de moyens, concentration des efforts, liberté d’action des échelons subordonnés. C’est enfin une réussite logistique allemande, la maîtrise de l’air par la Luftwaffe, de très lourdes pertes pour la Kriegsmarine. Pour les uns comme pour les autres, c’est donc une première : comment concevoir, construire, conduire des opérations à plusieurs ?


Concevoir une opération à partir d’une autre : de la Finlande à la Norvège.

Les Alliés sont engagés depuis septembre 1938 dans une stratégie de guerre longue, défensive et périphérique : le béton (la ligne Maginot), l’or (l’achat de matériels de guerre), l’Empire colonial, avec la Royal Navy et la Marine nationale comme éléments déterminants de cette stratégie. La Norvège, faible, pacifique, bien disposée à l’égard des Alliés, est une des clefs possibles d’une campagne qui viendrait affaiblir l’Allemagne sur trois plans : le transport maritime, l’acheminement du pétrole, et surtout du fer suédois indispensable à son industrie de guerre et qui transite (en hiver) par Narvik puis par la Baltique2. Dès octobre 1939, les Alliés y pensent et s’y préparent, sans ligne directrice claire.

Le 30 novembre 1939, Staline attaque la Finlande. La guerre russo-finlandaise devient un facteur décisif pour les Alliés, de novembre 1939 à mars 1940. Les deux chefs de gouvernement, le Premier ministre Neville Chamberlain et le président du Conseil Edouard Daladier « finlandisent » une opération prévue pour la Norvège, avec une action navale : des mines et des patrouilles, et une offensive au nord de la Norvège, à Narvik. Aucune stratégie d’ensemble, des plans distincts, des notes et des études. Des troupes sont cependant préparées : ainsi en France, sous la forme d’une brigade mixte à base de chasseurs alpins et de légionnaires ; des bâtiments marchands sont affrétés ou réquisitionnés, des croiseurs auxiliaires requis. Aucun accord sur la question du commandement des opérations, mais les plans sont réalisés sous la responsabilité des Britanniques. Le 12 mars 1940, les ordres d’embarquer sont donnés à la brigade du général Béthouart. Le 13, les Finlandais capitulent et signent l’armistice.




Construire une opération dans un contexte politique et militaire contraint.

Les plans alliés se reportent alors sur la Norvège, à défaut de la Finlande, de mars à avril 1940. La décision alliée est prise dans un contexte politique et militaire nouveau : Paul Reynaud a remplacé Edouard Daladier le 21 mars, alors que le corps expéditionnaire a été dissous, les navires dispersés, l’offensive abandonnée. C’est dans le cadre qui demeure la marque de cette campagne, celui d’une déficience dans l’organisation à la fois du haut commandement et du commandement d’un ou plutôt de théâtres isolés et séparés du fait des milieux physiques, et des relations difficiles sur les plans politiques et militaires entre Alliés, qu’une opération vers la Norvège et Narvik est prévue entre le 5 et le 12 avril, sur la base de plans reconstitués, avec des troupes dont certaines sont peu ou mal équipées ni préparées, à partir de renseignements lacunaires, sans objectifs définis3. Faire du neuf avec du dépassé a des conséquences opérationnelles : Quid des Norvégiens ? Quelles règles d’engagement ? Quelle coordination entre les armes, entre les armées, entre les Alliés ?

Chacun des adversaires ignore cependant les plans de l’autre.


Conduire une opération contre une opération en cours : Weserübung et les Alliés.

C’est l’Allemagne qui a l’initiative du déclenchement des opérations. Du côté allemand, c’est l’unité de vue politique sous l’autorité d’Adolf Hitler, qui décide d’une opération en trois vagues coordonnées (sud, centre et nord Norvège) pour le 9 avril. La quasi-totalité des forces de surface est mobilisée pour transporter deux Kampfgruppen4 vers Narvik et Trondheim, quatre autres vers le sud Norvège, dont Oslo. Le 9 avril, tous les objectifs sont atteints, les aérodromes norvégiens aux mains des Allemands et les Danois aussi. Les Allemands ont un balcon sur l’Atlantique pour leurs navires de surface et leurs sous-marins. A un prix élevé : entre le 9 et le 11 avril, le croiseur lourd Blücher et le croiseur léger Königsberg sont coulés, les croiseurs Nürnberg et Karlsruhe gravement endommagés, ainsi que le Lützow. Une foudroyante manœuvre face à des Alliés compassés et dépassés, obligés de conduire une opération contre une opération en cours.

Les troupes alliées appareillent entre le 12 et le 26 avril des ports de France, d’Angleterre et d’Ecosse, et débarquent en plusieurs endroits sur les côtes de Norvège, sans planification interalliée, en dispersant leurs troupes, avec des ordres et des contre-ordres fréquents. La qualité de l’artillerie, la mobilité des Kampfgruppen et la supériorité aérienne font la force des Allemands qui coulent le contre-torpilleur Bison, au moment où les Français évacuent Namsos, le 3 mai.

Au même moment à Narvik, les troupes françaises livrent de très rudes combats, avec leurs frères d’armes britanniques, norvégiens et polonais contre des forces allemandes qu’elles repoussent et refoulent le 28 mai. La « route du fer » est coupée le jour où la Belgique capitule. Le rembarquement des troupes alliées s’effectue du 2 au 8 juin, et la campagne de Norvège s’achève le 10 juin, avec en arrière-plan la défaite de nos armées sur le front de France. La Baltique est fermée, la route du fer est ouverte, le verrou de la mer du Nord saute.

Que retenir de la campagne de Norvège ? Les Allemands y font preuve d’une utilisation excellente de leurs capacités, dans la planification et dans l’exécution, malgré une supériorité navale alliée écrasante, compensée par une supériorité aérienne décisive. Quelle leçon ! Les Alliés s’engagent, sûrs de leur supériorité navale, derrière les Britanniques qui assument de ce fait le commandement opérationnel. C’est la combinaison des facteurs « renseignement », « logistique » et « maîtrise de l’air » qui crée la surprise. Mais, à l’issue de la campagne, la Kriegsmarine a perdu 50 % de ses capacités opérationnelles. Au moment des opérations de Dunkerque, ne restent disponibles qu’un croiseur lourd, deux croiseurs légers, quatre contre-torpilleurs.

Un corps expéditionnaire franco-britannique destiné à combattre les Soviets, constitué, dissous, reconstitué pour se battre contre les Allemands qui les devancent, puis en débarquant après eux. Une conception différente des opérations, une construction minimale de la planification opérationnelle et une conduite des opérations à partir d’une préparation d’une finalité différente, sur un autre théâtre, mais avec les mêmes troupes, chez les Alliés. Une désorganisation des processus de décision, un désordre dans les réactions politiques et leurs traductions militaires et une très mauvaise coordination entre les Alliés : ainsi de la 146éme britannique qui, devant débarquer à Narvik, est déroutée vers Namsos, sans prévenir ni les Français, ni les Norvégiens, ni son général !

Demeurent de brillants résultats alliés, sans aucune coordination sur le terrain des opérations, en occupant de petits ports sans infrastructures, en transportant les troupes en paquebots rapides et le matériel en cargos lents, sans DCA, sans appui aérien, sans assez de bâtiments d’escorte. En fait, autant de théâtres d’opérations que de fjords ! Il faut dès lors tenir compte du fait que la nature du terrain, l’élongation des distances, le climat, minimisent les difficultés de la coordination opérationnelle et permettent des succès, certes isolés, mais bien réels, comme ceux des Français à Narvik et ailleurs, en pleine campagne perdue sur le front français. Encore fallait-il le faire : ils l’ont fait.




1 Pour les Allemands en Norvège, l’échelon opératif repose sur une logique de théâtre, de milieu, de contraintes, et laisse l’initiative aux commandants des unités sur le terrain, sans ordres trop détaillés ou trop encadrants.

2 L’industrie allemande importait 22 millions de tonnes de minerai de fer en 1938. En 1939, et du fait de la guerre, elle n’en reçoit plus que 11 millions de tonnes, dont 9 millions transitent par la Laponie.

3 Deux brigades d’active et deux brigades de l’Armée territoriale d’infanterie britanniques, les 27ème et 5ème demi-brigades alpines, une brigade polonaise et un régiment de Légion étrangère (qui devient la 13ème demi-brigade de légion étrangère, ou DBLE) pour les Français, ainsi que des détachements d’armes, tels que des chars. S’y ajouteront certains éléments de l’armée norvégienne.

4 Les forces allemandes (cinq divisions d’infanterie, deux divisions de montagne, des unités parachutistes) sont constituées en Kampfgruppen. Un Kampfgruppe ou groupement tactique est une unité interarmes (infanterie, artillerie, chars, génie et transmissions, …) dont l’organisation est fonction de la mission (Auftragstaktik).

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