Conférences

Croisière maritime : le cas de Ponant

Jean-Emmanuel Sauvée
Président et cofondateur de la Compagnie maritime Ponant

Le 05-02-2020

Edouard Berlet, président de la section Droit et économie, introduit M. Jean-Emmanuel Sauvée, président et cofondateur de la Compagnie maritime Ponant.

M. Sauvée est issu d’une famille de marins : son grand-père, lieutenant au service de la Compagnie des Messageries maritimes, réduit au chômage par la crise de 1929, devenu journaliste maritime, fondateur de La voix du marin, rédige en chef Le Marin à partir de 1946, associé avec Ouest-France ; son père est capitaine au long cours sur les bâtiments de la Compagnie des Messageries maritimes puis administrateur général des Affaires maritimes ; l’un de ses oncles est officier mécanicien, un autre officier radio. Lui-même est embarqué dès l’âge de sept ans et durant 45 jours sur le paquebot Le Tahitien, jusqu’en Nouvelle-Calédonie où son père est affecté ; à partir de l’âge de seize ans il profite de ses congés pour être pilotin à la Britanny Ferries, chez Bourbon Offshore et à la CGM. Diplômé de l’Ecole nationale de la Marine marchande de Nantes, il entre à la CGM en qualité d’élève officier en 1984. Deux ans plus tard la marine marchande française traverse une grave crise et doit remplacer les trois-quarts de ses marins par des étrangers. Emmanuel Sauvée est licencié avec un grand nombre de ses camarades.

Il hésite alors entre deux options, soit naviguer sous pavillon étranger, soit élaborer un nouveau concept commercial et armer un voilier sous pavillon français (sur le modèle du Phocea) afin d’effectuer des croisières (pour lesquelles la demande est forte) en choisissant des régions peu connues. Il choisit ce second projet auquel il pensait déjà depuis longtemps et dix de ses camarades, anciens élèves de l’école de la marine marchande, acceptent de le suivre et de s’inscrire au second registre de la marine française à Wallis et Futuna.

Il faut trouver 115 millions de francs pour construire un voilier de trois mâts avec 32 cabines. Emmanuel Sauvée a recours au quirat dans lequel l’engagement de l’actionnaire est limité à son seul versement financier, forme ancienne de financement dont un article de Françoise Odier lui fait connaître l’actualité. Avec l’accord de la Commission des opérations de bourse et du ministère des Finances, il lance un appel public à l’épargne et réunit 220 quirataires (parmi lesquels Edmond de Rothschild). Le voilier, devenu le Ponant, est mis à l’eau en mai 1991.

Les premières croisières sont une réussite commerciale et celle-ci apporte la preuve du bon fonctionnement de l’organisation. Pourtant les difficultés ne manquent pas. Elles viennent en particulier d’un groupe de quirataires qui exigent le remboursement anticipé des apports ; l’affaire est portée en justice et Ponant, défendu par Michel Quimbert, obtient une condamnation des plaignants accompagnée d’une amende dont le produit sert au rachat des parts des quirats. En 1998, la Compagnie des îles du Ponant lance le Levant, voilier de trois mâts et 32 cabines, avec lequel elle organise des croisières vers des destinations inconnues jusqu’alors dans les agences de voyage comme la remontée de l’Amazone jusqu’aux premiers contreforts des Andes ou la reconnaissance de la baie d’Hudson à partir de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette seconde destination a beaucoup de succès et à partir de celle-ci la Compagnie développe une expertise de navigation dans les régions polaires. Pour développer ses activités Ponant rachète un ancien cargo, le Diamant, et elle le met en service après l’avoir rénové.

Dans cette circonstance Emmanuel Sauvée sent la nécessité d’élargir le capital, détenu jusqu’alors par des officiers de la marine marchande, ses camarades. En 2004, il vend 70 %, puis 90 % du capital à la société CMA-CGM dirigée par Jacques Saadé. Sous l’impulsion de ce grand patron la Compagnie Ponant élabore le projet de la construction d’un navire idéal pour la croisière. La réalisation, entamée en 2007, se concrétise par la construction de quatre sisterships de 132 cabines pouvant transporter 264 passagers et 139 membres d’équipage, successivement le Boréal lancé en 2010, l’Austral en 2011, le Soléal en 2012, le Lyrial en 2014. Avec ces nouveaux bâtiments Jean-Emmanuel Sauvée, toujours actionnaire et dirigeant de la Compagnie, lance des croisières originales qui font connaître la société. Ainsi, en 2013, Le Soléal est-il le premier navire de commerce français à franchir le passage du Nord-Ouest du Groenland à la Sibérie.
Les difficultés ne manquent pas. En avril 2008, le Ponant est capturé dans le golfe d’Aden par des pirates somaliens ; grâce à l’intervention de la marine de guerre l’incident est clos et la Compagnie bénéficie d’une publicité considérable. En 2012, la CMA-CGM est atteinte par la crise mondiale, elle doit diminuer ses actifs et la Compagnie Ponant est vendue au fond international d’investissement Bridge point.

Pour Emmanuel Sauvée cette session est un pis-aller ; il souhaite la stabilité d’un groupe français et veut échapper aux opérations de vente et d’achat au gré des choix d’une société financière internationale. En octobre 2015, peu après la mise en service du Lyrial, la Compagnie annonce son rachat par Artémis, holding de la famille Pinault. Il s’en suit une nouvelle ligne commerciale avec la construction de six nouveaux navires d’expédition de la série Ponant Explorers, Chacun d’eux peut transporter 184 passagers dans 92 cabines, et chaque bâtiment dispose d’un salon avec hublot sous-marin. De plus, en décembre 2017, Ponant a signé un contrat pour la réalisation d’un navire brise-glace baptisé Commandant Charcot, hybride électrique propulsé au gaz naturel liquéfié.


Discussion.

Q. – Qu’en-est-il de vos archives ? R. – J’ai des archives familiales importantes, en particulier celles de mon grand-père, le journaliste. J’ai aussi une bibliothèque bien fournie et je la complète régulièrement par des achats de livres anciens. Elle est ouverte à la consultation par des chercheurs.

Q. – Que faites-vous pour la préservation de l’environnement ? R. – C’est une préoccupation constante : un chef mécanicien est sous l’autorité directe du PDG afin de le conseiller ; un lieutenant parmi les trois embarqués est « lieutenant-environnement » ; les navires sont de petite taille et provoquent peu de dommages dans le milieu naturel ; la consommation de carburant est réduite car la vitesse moyenne est ramenée à 11, 5 nœuds ; la teneur du carburant en souffre est ramenée au taux le plus faible ; la propulsion est assurée par un diesel électrique ; l’émission de CO2 est réduite d’un quart car on navigue souvent à la voile ; l’émission d’azote est faible car tous les navires sont munis de pots catalytiques ; les déchets plastiques ramassés lors des escales sont compactés et remis à une centrale d’incinération.

Q. – Comment recrutez-vous le personnel ? Quel en est le nombre ? R. – La formation donnée par l’école de la marine marchande est d’un bon niveau. La compagnie Ponant embarque 4 ou 5 élèves par navire, soit un total de 100 à 120 chaque année et, dans la période actuelle de croissance forte, elle offre de belles carrières avec un avancement rapide pour les jeunes. De plus, le tutorat est développé pour renforcer la formation des officiers dans cette période de développement.

Q. – Comment envisagez-vous la concurrence ? R. – Trente millions de personnes environ font chaque année une croisière. Pour l’essentiel c’est une croisière de masse avec 5 000 à 6 000 passagers par navire, tandis que chez Ponant la moyenne est de 200 passagers. Le marché de la croisière se développe et des nouveaux opérateurs se présentent sur le marché ; malheureusement il y a peu de projets en France.

Q. – Où faites-vous construire vos navires ? R. – En Italie et en Norvège, car il n’y a pas en France de cales convenables pour la construction des bâtiments de Ponant (Chantiers de l’Atlantique est trop grand ; Piriou est trop petit) mais toute l’ingénierie est française.

Q. – Comment pouvez-vous naviguer au pôle Sud alors que la cartographie est presque inexistante ?
R. – Les croisières fréquentent un petit périmètre avec peu de sites ; lorsque la cartographie est médiocre les compagnies de croisière établissent des cartes et les partagent entre elles.
Q. – La compagnie Ponant développe-t-elle dans son sillage des opérations de mécénat ? R. – Oui. Elle finance en ce moment la rénovation du bureau de chef d’état-major de la Marine à l’hôtel de la rue Royale ; elle se trouve donc proche de la future installation de l’Académie.

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