Conférences

La Flottille de Louis XIV à Versailles, un patrimoine historique à réhabiliter

Yves Hervy



Nicolas Joschko



Amélie du Fretay

Ancien de la Marine

Directeur du bureau de la rénovation urbaine de la région de Bruxelles

Diplômée de l’Ecole du Louvre

Le 22-01-2020

Raymonde Litalien, présidente de la section Histoire, lettres et arts, présente les trois conférenciers de ce jour dans l’ordre de prise de parole : le capitaine de corvette Yves Hervy, ancien de la Marine où il a servi durant vingt-cinq ans, puis cadre dans la société Airbus Defense and Space et engagé dans la Fédération Voile-Aviron ; M. Nicolas Joschko, directeur du bureau de la rénovation urbaine de la région de Bruxelles, fondateur de l’association L’Atelier du Marin ; Mme Amélie du Fretay, diplômée de l’Ecole du Louvre avec une thèse remarquée sur La flottille du Grand canal de Versailles au temps de Louis XIV1.

Tous trois participent à l’animation de L’Atelier du Marin, association de voile et de construction de bateaux destinée à permettre à des jeunes Bruxellois d’accéder à la navigation en cabinier. Après avoir rénové trois cabiniers, ils ont construit La Licorne, bâtiment inspiré des constructions française des années 1670 pour la flottille de Versailles. Ils élaborent maintenant un projet de reconstitution de quelques bâtiments de cette flottille en faisant connaître leurs activités par l’organisation de conférences historiques et de séances instructives pour des lycéens.

La flottille de Versailles est en rapport avec la construction du Grand Canal menée de 1668 à 1672. C’est l’axe essentiel de la perspective des jardins avec des proportions grandioses, avec 1 800 m de long et 62 m de large. En outre il a été nécessaire de construire un réseau étendu de canalisations pour acheminer l’eau dans cette plaine marécageuse. Il a fallu un nombre important d’ouvriers et de soldats et tout cela a coûté fort cher.

Les archives de la Maison du roi, conservées aux Archives nationales, en particulier les comptes et les inventaires, sont notre source principale pour la connaissance de cette flotte ; il y a ensuite les dépêches des ambassadeurs et envoyés diplomatiques français et étrangers en poste en France, la correspondance du secrétaire d’Etat de la Marine et des intendants des ports ; les témoignages et mémoires des contemporains, dont le marquis de Dangeau et le duc de Luynes. La difficulté est la rareté des sources iconographiques et en particulier celle des plans, à l’exception des dessins de Philippe Caffiéri conservés au département Marine du Service historique de la Défense.

Il s’agit de rassembler différents types de bateaux, comme l’explique l’ambassadeur de Venise dans une dépêche adressée au Grand Conseil en novembre 1671 : « Une des œuvres les plus merveilleuses, ornement de cette magnifique création (Versailles), c’est le grand canal, très large et long d’une lieue, que le roi m’a dit vouloir border à droite et à gauche de petits pavillons charmants. Son intention serait de réunir là toutes sortes de constructions navales, des felouques des Tartares, des barques napolitaines et de Provence, des frégates et des hollandaises. »

Il y a dans cette flottille un assez grand nombre de bateaux de plaisance comme canots, chaloupes, gondoles. Colbert commande aux chantiers du Havre six chaloupes en 1669 (une rouge, une verte et blanche, une bleue, une jaune, une verte et une petite barge) et six autres en 1676 (une jaune, une noire, trois rouges, une verte). Il introduit une chaloupe biscayenne en 1669. On compte environ quatorze gondoles durant le règne : deux gondoles d’apparat sont offertes par la République de Venise en 1674 ; les autres sont des « gondoles de suite » noires et dépouillées. Les gondoles sont appréciées : en 1685, deux charpentiers vénitiens sont engagés et installés à Versailles pour en renouveler la flotte. Il y a encore un yacht du roi d’Angleterre, construit par Sir Anthony Deane à Portsmouth en 1675, et envoyé à Versailles avec l’accord du souverain britannique, comme le mentionne la revue navale anglaise de cette même année : « The King came hither at one this morning, has been very well treated by our Governor, and much pleased in seeing the new ship, the Royal James, as also in seeing one of the yachts, built here for the French King at Versailles. »

On trouve encore sur le grand canal des modèles de navires marchands et de guerre (ayant entre 12 et 15 m de long et 1,20 m de tirant d’eau maximum). Un brigantin est mentionné en 1669, une galiote et un vaisseau en 1670. En 1680, le ministre Colbert ordonne de faire bâtir par expérience un nouveau modèle de vaisseau à Rochefort et de l’expédier à Versailles. Il écrit à l’intendant du port ; « Sa Majesté approuve qu’il fasse passer par mer le modèle qu’il a fait faire de la manière dont les vaisseaux doivent être bâtis, mais il doit observer que ce modèle doit être porté à Versailles, et qu’aussi il faut le démonter sur la rivière (la Seine). Et comme Sa Majesté sera bien aise de le voir monter devant elle, sur le canal de Versailles, il doit prendre ses mesures là-dessus pour exécuter en cela ce qui est des intentions de Sa Majesté. Il sera bon que le maître charpentier napolitain (Blaise Pangalo, passé au service de la France) s’embarque sur ce petit bâtiment et, comme le Sr. Chevalier de Tourville a pris soin de la construction de ce vaisseau, il ne serait pas mal de proposer qu’il le conduise lui-même à Brest et au Havre pour examiner avec les officiers de ces deux ports la différence des proportions de ce vaisseau avec ceux qui ont été bâtis jusqu’à présent et en dresser procès-verbal, et avoir l’avis de tous les officiers sur ce sujet. C’est sur quoi elle fait écrire au Sr. Chevalier. » Il adresse ensuite des ordres à Tourville : « Lorsqu’il sera à St. Cloud pour être porté jusqu’ici et le remonter sur le canal en présence de Sa Majesté, il vaut bien mieux se servir des pièces de ce vaisseau qui sont entièrement achevées pour pouvoir les faire remonter devant Sa Majesté… A quoi j’ajouterai que ce sera un moyen favorable de faire votre cour à Sa Majesté que de faire monter ce vaisseau sur le canal en sa présence. »

Et, en 1681, Colbert écrit à l’intendant de Toulon : « Vous savez qu’il y a présentement sur le canal de Versailles la plupart des différentes espèces de bâtiments dont on se sert à la mer, et comme il n’y a point eu encore de galère, j’estimerais à propos d’en faire bâtir une de 40 (13 m) à 45 (15 m) pieds de long. » Construite sous la direction de Jean-Baptiste Chabert, elle navigue sur le Grand canal à partir de 1685.

Il faut du personnel pour conduire ces embarcations et Colbert fait engager des matelots. Ainsi écrit-il à l’intendant du Havre en 1670 : « Le roi a fait venir six chaloupes du Havre et, les ayant fait mettre sur son canal de Versailles, il est nécessaire que vous m’envoyiez promptement six bons matelots pour les pouvoir bien mener et que vous conveniez avec eu de la solde qu’il faudra leur donner par mois. Surtout diligentez de me les envoyer et prenez garde que ce soit de bons hommes et qui puissent bien servir Sa Majesté… ». Ils sont logés dans une caserne – « la petite Venise » – construite à leur usage et située au voisinage du canal (elle est conservée). En service ils portent une tenue somptueuse : habit bleu et rouge à boutons d’or, bas de soie cramoisi, cravate de mousseline blanche, les cheveux sont noués avec des rubans. Ces couleurs sont choisies en harmonie avec celles des rideaux, tendelets, coussins, pavillons.

Cette flottille est surtout utilisée pour la promenade sur l’eau pendant les chaudes journées d’été et avec accompagnement de musique. Il y a aussi parfois un repas. Ainsi, selon Dangeau le 26 juin 1684 : « Le Roi se promena sur le canal avec Madame la Dauphine et les dames ; ils soupèrent dans le bateau où il y avait eu musique ».

C’est aussi une manière de recevoir dignement des souverains ou des ambassadeurs étrangers, comme les ambassadeurs du Siam en 1686 selon Le Mercure Galant : « Avant de monter sur le canal, ils virent le bassin d’Apollon qui est au bout de la grande allée qui y conduit. Ils montèrent dans la galère qui est sur le canal. Toutes les gondoles et autres bâtiments les accompagnèrent avec tous leurs ornements et agrès, et ces bâtiments étaient remplis de timbaliers, de trompettes et de divers instruments qui ne cessèrent point de jouer tant que les ambassadeurs furent sur le canal. Les matelots avaient des habits fort propres, rouges ou bleus. » Et encore, le roi et la reine d’Angleterre en 1691 : « … le roi les mena sur le canal où était toute la musique ; toutes les dames suivaient dans des gondoles et des chaloupes ; ils allèrent aborder à Trianon qui était fort éclairé. »




1 « La flottille du Grand Canal de Versailles à l’époque de Louis XIV : diversité, technicité et prestige », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles. Articles et études, 20 septembre 2010, http://crvc/revues.org/10312

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