Conférences

Intervention de l’amiral de Bonnaventure

Hervé Denys de Bonnaventure
Conseiller Marine au cabinet de Mme Florence Parly

Le 14-10-2019

Je suis particulièrement heureux de vous retrouver cet après-midi pour cette séance solennelle de rentrée avec la cérémonie de remise des prix de l’Académie de marine.

Avant de dévoiler le lauréat du Grand prix de l’Académie, quelques mots sur le rôle essentiel de l’Académie, vu de la Marine.

Le premier rôle, sans doute le plus connu, est un rôle de recherche. La somme de connaissances accumulées au gré de vos expériences est considérable. Le fond documentaire dont vous disposez est inépuisable. Le réseau de connaissances, d’universitaires, de spécialistes que vous entretenez est remarquable. Chaque année, nous recevons des études, sur des sujets aussi divers que l’attractivité de nos carrières, la maritimisation de notre économie ou la défense d’un groupe aéronaval, qui nourrissent et influencent très directement les décisions que prend l’état-major pour commander la Marine d’aujourd’hui et construire la Marine de demain.

Le deuxième rôle est un rôle de rayonnement. J’ai évoqué votre réseau. Un réseau, ça fonctionne à double sens. Dans notre vieux pays continental, plaider sans relâche, à bon niveau, auprès des penseurs, des décideurs, des informateurs, la cause de la maritimisation, les richesses – et les vulnérabilités – de notre domaine maritime, les opportunités et les menaces qui se jouent parfois à des milliers de nautiques de nos côtes, cette plaidoirie n’est jamais inutile, jamais superflue. Pour paraphraser Victor Hugo, « Sonnez, sonnez toujours, clairons de la maritimisation … »

Troisième rôle, le moins connu, mais très précieux néanmoins : le recul. Parce que vous n’êtes pas absorbés par la dictature du quotidien et du court terme ; parce que les problèmes que nous rencontrons, vous les avez peut-être déjà rencontrés il y a vingt ou trente ans, ou peut-être étudiés en détail ; parce que, simplement, vous êtes libres et indépendants, vous êtes en quelque sorte notre conscience, le chat sur l’épaule du commandant Wilsdorff, des lanceurs d’alerte bienveillants mais vigilants qui nous diront, avec le ton juste d’un officier de manœuvre, « Commandant, je crois que vous vous trompez ».

Ce triple rôle de recherche, de rayonnement, de recul, vous l’exercez bénévolement. Vous donnez de votre temps, de votre travail, et nous, marins d’active, nous vous en sommes profondément reconnaissants.

J’en viens au Grand prix de l’Académie.

Jusqu’à cet été, j’étais le directeur adjoint de la Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie, qui a été créé en janvier 2015 d’une sorte de fusion de la DAS et d’une partie des directions internationales de l’état-major des Armées (EMA) et de la Direction générale de l’armement (DGA), et placée directement sous les ordres de la Ministre.

Dans ce poste, j’ai pu assister aux premières loges à l’irruption sur le devant de la scène stratégique occidentale de l’océan Pacifique ou, plus exactement, du concept plus englobant, de l’Indo-Pacifique.
Le Pacifique, pour un officier de ma génération, c’étaient les campagnes hydrographiques à Bora-Bora à bord des chaloupes de La Jeanne d’Arc ; c’était la promesse d’une affectation de jeune enseigne à bord d’un vieux dragueur du plan Marshall, à apporter le courrier ou des bulletins de vote aux Marquises ; c’étaient les dernières années du Centre d’Essais du Pacifique.

En quelques années seulement, tout a changé.

Aujourd’hui, l’Indo-Pacifique, c’est d’abord l’extraordinaire montée en puissance de la marine chinoise, qui investit selon certaines estimations plus de la moitié de son budget de défense dans sa marine, et qui construit en particulier une frégate tous les mois et un sous-marin tous les trimestres, ce qui fait une vingtaine de bâtiments de combat par an (soit l’équivalent de la marine nationale tous les quatre ans), avec un, puis deux, maintenant trois porte-avions, avec des avions furtifs, et bien sûr des sous-marins nucléaires

L’Indo-Pacifique, c’est, en réaction à ce redressement stratégique de la Chine, un réarmement massif de tous ses voisins, Australie, Japon bien sûr, mais aussi Taïwan, Vietnam, Indonésie, Malaisie… et une bascule d’effort sans précédent des Américains vers leur côte Ouest.

L’Indo-Pacifique, c’est une remise en cause profonde de l’architecture de sécurité fondée sur le droit international et le multilatéralisme, que ce soit le droit maritime, comme en mer de Chine méridionale avec la politique du fait accompli, ou comme en Corée du Nord avec la prolifération nucléaire.

Et enfin, bien sûr, l’Indo-Pacifique, de La Réunion à Clipperton, de Djibouti à Tahiti, c’est 93 % de nos ZEE, 70 % de notre commerce extérieur en valeur, 1,5 million de ressortissants français dans nos territoires, 150 000 expatriés et 7 000 entreprises françaises dans les pays de la zone.

Quand j’en parle autour de moi, souvent, j’ai l’impression que nous découvrons cette zone, ses caractéristiques géographiques, son histoire, les peuples qui la bordent, leurs cultures, leurs priorités, leurs obsessions, leurs rivalités…

Mais, comme je le disais à l’instant, heureusement il y a des gens qui ont le temps, la culture, le recul, la profondeur historique de nous rappeler qu’à d’autres époques, le Pacifique a déjà eu une importance déterminante pour les pays d’Europe de l’Ouest.

Je voudrais maintenant appeler Monsieur Bernard Lavallé.

Le professeur Bernard Lavallé, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un spécialiste de la civilisation hispano-américaine.

Dans Pacifique, à la croisée des empires, Monsieur le professeur, vous nous racontez les explorations, les interactions, les chassés-croisés, les rivalités stratégiques entre grandes puissances dans le Pacifique entre le XVIème et le XIXème siècles, en passant par Magellan et Vasco de Gama, la rivalité hispano-portugaise, les compagnies des Indes hollandaises, britanniques et françaises, et pour finir à la fin du XIXème siècle par l’entrée en jeu des Etats-Unis et du Japon, qui préfigurent les grands conflits mondiaux du XXème siècle.

Ce que j’ai particulièrement apprécié, Monsieur le professeur, c’est que grâce à votre vision hispano-centrée, originale pour nous autres Français, vous reliez déjà à travers le Pacifique l’Extrême-Orient et l’Amérique latine apportant ainsi une profondeur historique au concept de l’Indo-Pacifique, alors que ce sont pour nous trop souvent deux théâtres distincts et séparés par le plus grand des océans, rarement « pacifique » comme le savent les lecteurs d’Hugo Pratt.

Monsieur le professeur, je vous remercie pour vos travaux.

Je souhaite qu’ils soient lus par le plus grand nombre, et qu’ils enrichissent notre vision stratégique de la zone Indo-Pacifique.

Monsieur le professeur, au nom de l’amiral Christophe Prazuck, chef-d’état-major de la Marine, j’ai l’honneur et le plaisir de vous remettre le Grand prix de l’Académie de marine.

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