Conférences

Le gaz naturel, composante de la transition écologique, de la géopolitique aux carburants marins

Jérôme Ferrier
Président d’honneur de l’Union internationale de l’industrie du gaz

Le 27-03-2019

L’amiral Oudot de Dainville, membre de la section Marine militaire, présente M. Jérôme Ferrier, président d’honneur de l’Union internationale de l’industrie du gaz, qui a bien voulu accepter de faire une communication devant l’Académie.

M. Ferrier développe trois points : l’utilisation du gaz naturel, énergie fossile ; la composante géostratégique de la répartition et de la distribution du gaz ; le gaz naturel liquéfié, carburant marin.

I. Emissions polluantes comparées

Dans le monde, la pollution provenant de l’utilisation du gaz naturel est bien inférieure à celle résultant de la combustion du charbon et des hydrocarbures. En 2015, les émissions de particules s’élevaient à 31 Mt, celles des oxydes de soufre à 79 Mt, celles du gaz carbonique à 108 Mt, celles de dioxyde de carbone à 32 Gt. En comparaison, les émissions de méthane sont estimées à 570 Mt, dont 20 % provenant de l’utilisation des sources d’énergie précédemment mentionnées, 30 % des marécages, 24 % de l’activité agricole.

La demande de gaz augmente rapidement à la suite de la prise de conscience de l’effet négatif du charbon. Ainsi aux Etats-Unis où la consommation de gaz naturel qui était de 3,5 % des sources d’énergie en 1990 est passée à 15,5 % en 2015 ; de même en Chine où les quatre centrales électriques à charbon qui alimentaient la ville de Pékin sont remplacées par des centrales à gaz utilisant une énergie importée.

Les prévisions de consommation d’énergie dans le monde pour la période 2016-2040 hésitent entre deux scénarios : soit la poursuite de la situation actuelle avec 1 300 Mt de charbon, 1 100 Mt d’hydrocarbures, 1 700 Mt de gaz, 1 500 Mt pour le nucléaire et les énergies renouvelables ; soit une politique respectueuse de l’environnement avec 200 Mt de charbon, 400 Mt d’hydrocarbures, 1 300 Mt de gaz, 1 800 Mt pour le nucléaire et les énergies renouvelables. Dans toutes les situations, la consommation de gaz devrait augmenter fortement et particulièrement si la politique actuelle est continuée.

2. Le gaz naturel dans le monde et la géopolitique du gaz

Les réserves régionales de gaz naturel sont très inégalement réparties dans le monde. Le Moyen-Orient occupe la première place avec 40,5 % (dont 15,8 % en Iran et 13,5 % au Qatar), suivi par la Russie avec 23,9 %. Les autres réserves régionales sont bien inférieures, soit 7,9 % pour le golfe de Guinée, 7,3 % en Insulinde, 7 % en Asie centrale, 5,3 % en Amérique du Nord, 4,0 % en Amérique du Sud et Centrale et 2,9 % en Europe. La Russie domine parmi les producteurs (598 Mt), suivie par les Etats-Unis (528 Mt) et le Canada (186 Mt) qui exploitent leurs gisements de gaz de schiste.

Le déséquilibre entre les producteurs et les consommateurs est partiellement compensé par le réseau des gazoducs ; celui-ci donne naissance à une nouvelle géopolitique. L’Europe, grande consommatrice, est un « marché captif » car elle est ravitaillée essentiellement par le gisement russe de Yamal-Nemets en Sibérie et la diminution du transit par l’Ukraine est un signal inquiétant. Il manque une liaison directe avec l’Iran. En Asie centrale la construction du gazoduc Tapi reliant le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde est lancée depuis février 2018 en dépit de la rivalité conflictuelle entre ces Etats.

La liquéfaction du gaz et son transport par voie maritime autorise l’ouverture de nouveaux marchés. Pour l’Europe, les gisements gaziers en Méditerranée orientale sont importants. Ils sont partagés entre l’Egypte (où le gisement de Zohr est exploité), Israël, le Liban (où des recherches sont entreprises par un consortium Total, ENI et la société russe Novatek), Chypre (Sud et Nord) et peut-être la Syrie. Dans l’océan Indien le gisement marin au nord-ouest de l’Australie est en exploitation par l’unité flottante de gaz liquéfié Prelude et l’usine de liquéfaction de Balhaf sur le littoral du Yémen est active malgré le conflit local. La Russie examine le projet Yamal de navigation de méthaniers par la route du Nord, soit par l’Est en été, vers les ports du Japon et de la Chine, soit par l’Ouest en hiver vers les terminaux de l’Europe ou ceux de l’océan Indien par la route de Suez.

3. Les débouchés du gaz naturel liquéfié carburant marin

L’utilisation du GNL pour le transport maritime est engagée. Après le ferry estonien Megastar alimenté en GNL, transportant 2 800 passagers à une vitesse de 27 nœuds, livré en janvier 2017, le trans-Manche Honfleur fonctionnant au GNL sera livré à la compagnie Britanny Ferries au mois de juin prochain. Le Costa Smeralda, navire de croisière alimenté en GNL, pouvant transporter 6 600 passagers, sera opérationnel à partir d’octobre 2019. La CMA CGM vient de passer commande de neuf porte-conteneurs au GNL pour une capacité de 22 000 EVP, livrables depuis la fin de 2019 jusqu’en 2022.

Peut-on avancer une date pour le remplacement du gas oil par le GNL pour la propulsion des navires militaires ? Peut-être 2050, d’autant que le gaz liquéfié a plusieurs avantages pour les navires militaires car il provoque moins de bruit et moins de vibrations. En tout cas les principaux chefs d’Etat ont exprimé leur accord par une déclaration au G20 de Hangzhhou (en Chine) en 2016 : « Nous renforcerons notre coopération avec l’industrie du gaz, la moins émettrice des énergies fossiles. »

Conclusions : En réponse aux trois points posés en introduction M. Ferrier pose trois conclusions : 1. Le gaz est le meilleur allié des énergies renouvelables. 2. Il constitue une partie de la solution à la transition écologique pour un développement durable. 3. Les perspectives de développement du gaz naturel liquéfié dans le domaine du transport maritime sont considérables.


Débat :

Q. Quel est l’encombrement du gaz ? R. Il est sans doute supérieur à celui du pétrole, mais le pouvoir calorifique du GNL est plus élevé que celui du pétrole, environ 2,5 fois.

Q. Serait-il possible de concevoir un aéronef propulsé au GNL ? R. C’est réalisé, mais l’exploitation commerciale n’est pas envisagée.

Q. Comment la sécurité est-elle réalisée ? A terre le branchement électrique est possible mais il ne l’est pas à la mer. R. L’entrée des méthaniers dans le port de Boston situé en pleine ville, est refusée en raison du risque d’explosion. Au Yémen, lorsqu’un méthanier a été touché par un missile, celui-ci n’a pas fait explosion car il a été étouffé par le gaz à -162°, mais le gaz brutalement réchauffé a formé une nuée hautement inflammable.

Q. Peut-il se produire des variations du prix du gaz ? R. C’est peu probable car les producteurs sont unis et la présence de multiples terminaux permet de varier les approvisionnements.

Q. Existe-t-il des variétés de GNL ? R. Non, c’est du méthane. Le passage à -162° est possible seulement avec un produit pur. Certains producteurs livrent un mélange de méthane et d’éthanol car ils n’ont pas les installations nécessaires pour purifier le gaz, mais ce produit est vendu à plus bas prix et doit subir un nouveau raffinage.

Q. Quelle est la situation de l’Ukraine vis-à-vis de la livraison du gaz russe ? R. Le contrat se termine à la fin de 2019. Les Russes ont communiqué des chiffres selon lesquels ils pourraient continuer leurs livraisons en Europe sans passer par le « tube » ukrainien ; il y a aussi le tarif préférentiel consenti à l’Ukraine. L’Ukraine appelle les Européens au secours et l’Europe a une position « dure » car elle pense que la Russie a un intérêt majeur à continuer ses livraisons.

Q. Le prix du gaz pourrait-il être annoncé en euros ? R. Actuellement il est annoncé en dollars comme le gas oil mais, pour la Chine, les transactions se font en yuans.

Q. Serait-il possible de faire des recherches à des grandes profondeurs ? R. Il y a des contraintes supérieures, mais la raréfaction pourrait la rendre intéressante et les techniques nécessaires existent.

Q. Quelle est la situation de la Syrie ? R. La Syrie est un modeste producteur de gaz terrestre mais elle est riveraine d’un espace maritime qui pourrait être intéressant. La traversée de son territoire par un gazoduc est envisagée par le Qatar, l’Arabie Saoudite et l’Iran pour ravitailler le marché de la Turquie et celui de l’Europe mais il n’y a aucun accord pour le moment.

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