Conférences

Données et enjeux de la négociation de l’accord sur la Haute mer

Serge Ségura
Ambassadeur chargé des océans

Le 23-01-2019

M. Serge Ségura, présenté par notre confrère Edouard Berlet, président de la section Droit et économie, est entré au Ministère des Affaires étrangères en 1980. Après avoir occupé des postes dans des ambassades en Europe et en Afrique, il a été Ambassadeur au Mozambique de 2012 à 2015. Il s’est par ailleurs spécialisé en droit international de la mer et en droit polaire au cours de deux séjours à la Direction des affaires juridiques du Ministère des Affaires étrangères où il a occupé en particulier les fonctions de sous-directeur du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles. Depuis 2015, il occupe la fonction nouvellement créée d’Ambassadeur chargé des océans et, à ce titre, il représente la France dans les négociations du nouvel accord sur la Haute mer, négociations dont il fait un tableau très vivant.

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ou Convention de Montego Bay) est entrée en vigueur en 1984. Elle crée un régime juridique de la haute mer et proclame la liberté de la navigation, de la recherche scientifique et d’utilisations à visées internationales comme la pose de câbles sous-marins. Elle assure une protection « douce », toujours d’actualité, du milieu marin. Elle ouvre la possibilité de recherches sur la protection de la biodiversité (art. 192), sur les « pollutions telluriques » (art. 213), sur les pollutions d’origine atmosphérique (art. 212), d’une coopération internationale pour empêcher l’extension des espèces « invasives » (art. 196), et elle conserve donc une grande actualité.

Depuis 1984, cependant, deux nouveaux éléments sont intervenus ; d’abord de nouvelles connaissances sur le milieu marin, ainsi la découverte des « cheminées sulfurées » en 1976-1977 et l’existence d’une vie à de grandes profondeurs, ensuite le développement de techniques nouvelles dans beaucoup de domaines. Il devient donc nécessaire d’élaborer un statut juridique adapté tout en maintenant la liberté.

Aussi, en 2004, l’Assemblée générale de l’ONU, représentant la communauté des nations, adopte une résolution en ce sens et charge son Secrétaire général de la mettre en œuvre. L’année suivante, il est créé un groupe ad hoc, un « groupe de travail spécial, officieux, à composition non limitée, chargé d’étudier les questions relatives à la conservation et à l’exploitation de la biodiversité marine au-delà des aires sous juridiction ». Au fil des réunions annuelles, le groupe de travail ressent la nécessité d’élaborer un droit pour éviter la destruction de la biodiversité par les activités humaines (ainsi les changements climatiques, …) mais les tensions sont vives entre les participants et elles aboutissent en 2011 à un constat de crise. Pour résoudre celle-ci l’Union Européenne s’allie avec le « groupe des 77 » (groupe intergouvernemental composé en très grande majorité de pays en développement, qui compte aujourd’hui 130 Etats) pour élaborer un accord contre les Etats hostiles à celui-ci. Ce projet comprend quatre chapitres :

1. L’élaboration d’outils de protection de l’environnement ; en particulier pour les aires marines protégées.

2. L’évaluation des impacts environnementaux.

3. L’exploitation des ressources de la génétique marine avec le respect de la notion de partage des avantages.

4. Le renforcement des capacités d’exploitation avec le développement d’accords d’échanges de technologie.

En 2015, les Nations-Unies reprennent ce projet et créent un « comité préparatoire » avec des rencontres au cours desquelles chaque Etat donne son opinion. On constate l’absence de consensus mais aussi la nécessité d’une négociation et la Russie, qui refuse celle-ci, n’ose pas s’y opposer. En 2017, l’Assemblée générale adopte une résolution en ce sens et lance la négociation pour élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur les questions identifiées en 2011 et conforme à la convention sur le droit de la mer, avec une adoption éventuelle à la majorité des deux tiers si l’unanimité n’est pas possible. Au cours des réunions suivantes les Etats se partagent en trois groupes : 1. Favorables à la protection : l’Union Européenne, les Etats en développement et des petits Etats régionaux ayant accès à la mer. 2. Sceptiques et inquiets (« Vers où va-t-on ? ») : Japon, Corée, Norvège, Canada, Australie, Etats-Unis. 3. Opposés : Islande, Russie.

La négociation est en cours et M. Segura précise quelques-uns des thèmes abordés (les documents sont disponibles sur le site internet des Nations-Unies). Sur les outils de protection, les conventions maritimes régionales (Atlantique Nord et Est, Méditerranée, autour du continent arctique) interviennent bien qu’elles ne soient pas compétentes et les Français n’ont pas encore élaboré leur réflexion alors qu’il faudrait prendre des décisions. Sur la question de la durée de la protection des aires marines protégées, les scientifiques assurent qu’il ne faut pas mettre de durée car le travail effectué deviendrait caduc à la clôture. Sur l’extension de ces mêmes aires les scientifiques assurent qu’il faut des aires très étendues pour parvenir à protéger aussi les régions extérieures. Sur la question du contrôle scientifique, le rôle des Etats côtiers n’est pas encore précisé (ex. une aire marine protégée au voisinage de la mer d’Iroise serait rejetée par la France). Sur les ressources génétiques marines : en théorie les pêcheurs ne sont pas concernés mais ils pourraient l’être indirectement ; il faudra une renégociation sur la propriété intellectuelle (brevets) ; il faut améliorer l’organisation établie sous le principe « premier arrivé, premier servi » et trouver un principe permettant à la fois la liberté de la recherche et les Etats en développement qui souhaitent une gestion en commun, ce qui est refusé par les autres. Sur le renforcement des capacités de transfert de technologie il y a des coopérations possibles mais les fonds manquent.

Conclusion. Le rôle de la convention de Montego Bay demeure essentiel ; il faudra prévoir une organisation de coopération internationale nécessairement coûteuse ; délai d’aboutissement, avec peut-être point d’étape en 2020 et décision en 2022. La France à un rôle à jouer à la fois à Bruxelles et à New York.


Débat

Xavier La Roche. Quelle est la composition de la délégation française ? R./ Une représentation ministérielle (Affaires étrangères, Environnement, Défense Marine) et une représentation scientifique.

Jacques Trorial. Quelle est l’articulation entre les négociations des Nations Unies et le conseil de l’Arctique ? R./ La gestion par ce conseil est difficile. Il y a un accord sur la non-pêche en attendant davantage de connaissances scientifiques. Un accord est toujours possible comme le montre l’aboutissement en un an, après des années de contentieux, du traité de partage de la mer de Barents entre la Norvège et la Russie.

Edouard Berlet. Avez-vous des relations avec les ONG françaises et étrangères ? R/ Les relations sont bonnes car le Quai d’Orsay a un discours global sur les océans et une vision en faveur de la biodiversité grâce à sa marine. Par ailleurs le littoral de la France est atteint par la dégradation de la biodiversité.

Jean-Marc Schindler. Quelles sont vos relations avec les industriels de la mer ? R./ Ils sont représentés par le cluster maritime français. La difficulté est que nous avons des zones trop grandes. Il y a beaucoup de contacts mais un manque d’intérêt pour la haute mer.

A venir

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