Conférences

Protection et valorisation du patrimoine des phares

Jean-Christophe Fichou

Vincent Guigueno

Grand prix de l’Académie de marineen 2007, docteur en histoire
Ingénieur général des Ponts et Chaussées

Le 16-12-2015

Patrick Geistdoerfer, secrétaire de la section Navigation et océanologie, présente les conférenciers de ce jour : Jean-Christophe Fichou, grand prix de l’Académie en 2007, professeur agrégé de géographie en classes préparatoires et docteur en histoire ; VincentGuigueno, ancien élève de l’école Polytechnique, ingénieur général des Ponts et Chaussées, successivement enseignant chercheur à l’Ecole des Ponts, chargé de mission pour la conservation des phares à la Direction des affaires maritimes et, depuis septembre dernier, conservateur du patrimoine au Musée national de la marine.


M. Fichou dresse un tableau de l’histoire des phares français et présente une vingtaine de clichés. Le plus ancien phare de France encore en activité est la tour de Cordouan à l’embouchure de la Gironde, dont la construction sur le site actuel est achevée en 1611. Le monument est classé et protégé ; une présence humaine est organisée afin d’éviter des actes de vandalisme. Le phare du Stiff, sur l’île d’Ouessant, construction destinée à faciliter l’entrée dans la rade de Brest pour les vaisseaux du roi, est achevé vers 1700. Le phare du cap Fréhel, construit par l’ingénieur Garengeau sous l’autorité de Vauban, fonctionne à partir de 1702. C’est aussi un monument historique classé.


En 1792 l’Assemblée nationale se préoccupe de la surveillance des phares et pose le principe d’une intervention de l’Etat pour la construction et l’entretien de ces installations ; en 1811 est créée une « commission des phares » avec les contributions de l’administration des Ponts et Chaussées, de la Marine et de l’Institut. Les membres de cette commission élaborent un projet de système général d’éclairage des côtes de France présenté en 1825 et accepté par la puissance publique. La réalisation progressive du réseau de 51 phares est facilitée par les travaux de l’hydrographe Beautemps-Beaupré. Elle est poursuivie par des ingénieurs polytechniciens, soucieux à la fois d’économie et d’efficacité, ainsi Rossel conseillé par Fresnel, puis Reynaud qui demeure pendant plus de quarante ans à la direction du service des phares.


Le phare de Batz, achevé en 1836 et présentant une tour en maçonnerie de pierre de taille de 40 m de haut sur un corps de logis carré de deux étages, est jugé particulièrement réussi et sert de modèle pour les autres constructions, ainsi pour le phare de Penmarc’h édifié par Fresnel. Reynaud apporte quelques légères modifications, ainsi dans la construction entre 1849 et 1853 d’une tour octogonale au phare des Baleines à l’île de Ré, mais il conserve la pierre de taille et l’édification sur un corps de logis de 50 m de hauteur. Le plan d’éclairage des côtes de France comprend aussi neuf phares en mer, tous identiques ; 120 maisons-phares fournissant des feux de jalonnement et 130 tourelles.


Une autre technique de construction apparaît au milieu du XIXe siècle avec la tour métallique, à l’instar du phare Amédée dont les pièces sont usinées à Paris, puis transportées et montées en Nouvelle-Calédonie. Ce phare, allumé en 1865, est toujours en service.


La dernière grande réalisation de Reynaud est le phare d’Ar-Men destiné à éclairer la chaussée de Sein et dont la construction se poursuit durant plus de quatorze ans dans des conditions particulièrement difficiles ; il est achevé en 1881, un an après la mort de son promoteur.



A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle les phares suscitent l’intérêt de l’opinion publique et plusieurs constructions sont réalisées avec des dons privés comme le phare d’Eckmühl à Penmarc’h avec un legs de 300 000 francs par la famille Davout, le phare de Kéréon sur l’île d’Ouessant avec un autre legs de 500 000 francs.

En même temps, les architectes innovent ; ainsi le phare de Saint-Pol, construit en 1937 à l’extrémité de la jetée ouest de Dunkerque, présente une étonnante architecture Art Déco, celui des Roches-Douvres, situé au N.-E. de Bréhat, et dont la reconstruction est achevée en 1954, avec en particulier une tour en granit rose haute de 65 m, témoigne d’une évidente recherche esthétique avec des formes arrondies et, dans la partie d’habitation, une galerie à œils-de-bœuf évoquant la passerelle d’un navire. Le béton apparaît dans quelques réalisations contemporaines ainsi à l’Armandèche en Vendée, allumé en 1968.


M. Guigueno traite ensuite des mutations du patrimoine des phares et il en distingue trois principales. La première est technologique, marquée par l’automatisation des phares, ainsi ceux de la mer d’Iroise entre 1990 et 2004 ; la seconde est d’ordre administratif avec une « discrétion » croissante des organes de gestion, ainsi la direction des phares disparaît-elle du ministère de l’Equipement en 1992 pour être remplacée par un bureau dans le service des Affaires maritimes ; la dernière est surtout culturelle, avec l’apparition d’un sentiment de péril pour les phares et en conséquence un débat sur la poursuite de leur existence.


La discussion est particulièrement vive en Bretagne puisque la moitié des 130 phares des littoraux de la métropole (il faut y ajouter 20 phares outremer) sont édifiés sur les côtes de cette province, dont les plus nombreux (23) sur les rivages du département du Finistère.


En 2009 le « Grenelle de la mer » a retenu trois principes : 1. Les phares fonctionnent toujours ; 2. Ils restent un bien public (avec toutefois la possibilité d’un transfert) ; 3. Les bâtiments doivent être utilisés au mieux selon des « usages alternatifs ».


Que faut-il entendre par « usages alternatifs » ? Il peut s’agir d’hôtels de luxe (solution retenue en Italie) ou plus généralement de locations. Il y a 200 phares à louer dans le monde dont 25 en France. Plus fréquemment aussi les phares sont ouverts pour des visites, souvent avec l’accord avec des collectivités territoriales. En France, une trentaine de phares sont ainsi accessibles et reçoivent environ 750 000 visiteurs chaque année. Il peut être envisagé conjointement un usage scientifique, comme au phare de l’île Lavezzi en Corse du Sud qui est à la fois un laboratoire et le siège du conservatoire du parc marin des Bouches de Bonifacio.


Quels sont les acteurs de cette conversion des phares ? Malgré la disparition de la direction centralisée depuis 1980, l’Etat conserve un rôle essentiel. Le ministère de l’Ecologie est le principal affectataire des phares et doit maintenir la capacité opérationnelle de 6 400 établissements de sécurité maritime malgré un budget et des effectifs en baisse continue. Le ministère de la Culture gère un monument historique, le phare de Cordouan (classé en 1862), et 90 phares protégés, dont 34 sont classés, parmi lesquels le « bateau-feu » Sandettie ancré dans un bassin du port de Dunkerque. Cette protection couvre à peu près la moitié du patrimoine. Le ministère des Finances joue un rôle accru dans la gestion des phares en raison des fréquents transferts à France domaine. Sans doute une telle dévolution entraîne un risque de vente, par exemple sur le modèle du Canada : toutefois l’acheteur doit s’engager à maintenir le fonctionnement du phare.


L’établissement public du Conservatoire du littoral exerce un contrôle croissant et il assure que 60 phares situés sur des caps et des îles pourraient lui être transférés. Il dispose déjà de huit phares (dont Stiff et Senetosa) et l’éventualité d’un transfert est ouverte pour neuf autres dont Créac’h et les Îles aux moutons.


Les collectivités territoriales (régions, département, communautés de communes et communes) peuvent aussi être intéressées. De même, des partenaires privés comme des associations, même pour des phares en mer : ainsi la Société nationale pour le patrimoine des phares bénéficie-t-elle d’une autorisation temporaire de dix ans, octroyée par l’Etat, sur le site de Tévennec (Finistère) pour mettre en œuvre un projet de résidence pour artistes.


A côté de la transition domaniale une autre préoccupation du bureau des phares est la transmission et la conservation de l’histoire. Le Musée des phares, situé à Ouessant, conserve la collection nationale et reçoit environ 17 500 visiteurs par an ; le Musée de Douarnenez expose le baliseur Roi Gradlon ; le Musée national de la Marine a organisé l’exposition Phares en 2012 ; des « Journées des phares » sont organisées depuis 2010. Le ministère de la Culture a réalisé un modèle 3D de Cordouan sur la construction de 161wwwwww.cordouan.culture.fr), tandis que les registres de la Commission des phares, déposés aux Archives de France, sont en cours de numérisation. Il faut aussi signaler une bibliothèque numérique (WWW.bibliothèquedesphares.fr) et le site du réseau du patrimoine culturel des phares (www.pharesdefrance.fr).




Discussion :


H. Legohérel. Les phares sont-ils encore utiles ?

V. G. Ils peuvent remplacer le GPS si celui-ci était arrêté. La lumière des phares est un bien gratuit ; certains en suggèrent l’extinction mais les plaisanciers souhaitent les conserver. Il y a donc une discussion pour ou contre l’utilité.



J.-N. Gard. Il faudrait garder la mémoire des gardiens des phares, sujets d’œuvres de fiction.

V. G. Le gardien de phare est devenu un héros d’ouvrages littéraires et de films à partir de la fin du XIXe siècle. Cette mémoire est conservée par le Parc marin de l’Iroise. L’Ecole des gardiens à Brest recueille des témoignages oraux, mais il n’y a pas de collecte systématique et il conviendrait de l’effectuer.



J. Pépin-Lehalleur. Quel est le coût des phares ?

V. G. C’est une ligne du budget Phares et balises affectée aux bâtis. Pour le phare du Stiff le coût de la restauration est d’un million d’euros hors musée ; pour Cordouan, les frais de la réfection sont de huit millions d’euros avec une affectation de 500 000 à 1 million d’euros par an. La politique actuelle est d’ouvrir les phares à la visite pour en assurer l’entretien. Il faudrait aussi un partage entre plusieurs ministères et des collectivités territoriales.

C&M 1 2015-2016

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