Conférences

Une cartothèque nationale à l’heure des cartes numériques : le Département des Cartes et Plans de la Bibliothèque nationale de France et sa collection de cartes marines

Mme Hélène Richard
Membre de la section Histoire, lettres et arts

Le 07-06-2017

Mme Hélène Richard, membre de la section Histoire, lettres et arts, inspectrice générale des bibliothèques, et directrice du Département des cartes et plans de la
BnF, a bien voulu nous présenter quelques aspects de cette institution.


On sait que Charles V avait réuni une bibliothèque importante dans laquelle se trouvait un Atlas nautique, toujours conservé, bien que les livres aient été dispersés après la mort du roi. Il faut attendre Louis XI et ses successeurs, en particulier François I er, pour que la collection devienne pérenne. La création du dépôt légal, c’est-à-dire l’obligation pour les éditeurs de déposer auprès de l’administration un exemplaire de chaque ouvrage imprimé, lui donne un essor considérable. La Révolution, en mettant « sous la main de la nation » les bibliothèques de grandes institutions ecclésiastiques et des émigrés, augmente encore la collection. Au début du XIX e siècle elle est répartie en quatre départements selon la nature physique des documents : manuscrits, imprimés, estampes, médailles.

Dans cette organisation la création d’un département des « cartes géographiques et plans » en novembre 1828 apparaît comme incongrue, avec l’idée d’un regroupement disciplinaire, et elle est mal accueillie par les conservateurs. C’est qu’il s’agit d’une initiative ministérielle au profit d’une personnalité influente, Edme-François Jomard, qui avait accompagné Bonaparte en Egypte puis assuré la publication de la Description de l’Egypte.

Jomard avait une ambition très claire pour ce nouveau département : « Aujourd’hui, le progrès des lumières et de la civilisation dépend autant de l’avancement de la Géographie que celui-ci dépend lui-même du progrès des connaissances. Deux causes nuisent en France au progrès de la géographie : d’abord elle est enseignée d’une manière imparfaite… Une autre cause de l’imperfection de la science est qu’on ne troupe pas en France un dépôt général des productions géographiques. » (Le Moniteur, 16 mai 1828) Il organise le nouveau département selon trois axes : réunir la documentation cartographique nécessaire pour les commerçants et les voyageurs, par achat ou par échange avec des partenaires étrangers, ainsi pour les cartes nautiques avec l’Amirauté britannique ; conserver les cartes appartenant à la Nation, c’est-à-dire la production reçue par le dépôt légal et les cartes appartenant à des institutions nationales dont celles-ci n’ont plus l’usage, ainsi les collections anciennes du SHOM et celles du Bureau hydrographique international (qui conserve uniquement la dernière édition des cartes reçues des services hydrographiques des différents pays) ; conserver une collection cohérente, qui permette de mesurer les progrès de la connaissance géographique, et à ce titre il porte un intérêt particulier aux portulans, cartes nautiques sur parchemin réalisées à la fin du Moyen-Age et au début de l’époque moderne. Il fait l’acquisition de 52 de ces cartes portulans parmi lesquelles la Carte pisane, peut-être le plus ancien document nautique parvenu jusqu’à nous, puisque datée approximativement de 1290.

A l’actif de l’action de Jomard il faut porter non seulement la création de la première cartothèque publique ayant existé, mais encore d’avoir su lui donner des assises solides qui marquent encore son fonctionnement actuel : une politique pour la constitution des collections et un fonds remarquable qui justifient qu’elle soit encore considérée comme la plus riche cartothèque du monde, non par le volume des collections, mais par la qualité et l’équilibre des fonds. Jomard l’a aussi insérée dans un réseau de recherche et a su nouer des relations de qualité avec les producteurs, lui qui était également cartographe.

En ce début du XXI e siècle, les missions de la bibliothèque nationale et de son département des cartes et plans n’ont pas été bouleversées, mais la nature des collections, leur environnement et par conséquent leur usage ont changé. Les collections ont considérablement augmenté. Pour les collections patrimoniales, on peut comparer les 500 portulans de notre époque aux 52 de l’époque de Jomard ; pour les cartes isolées, on évoque le nombre de 800 000, et il faut y ajouter les grandes séries cartographiques du XIX e et du XX e siècles, les atlas (10 000 volumes), les globes (200 montés et beaucoup conservés à plat, sous forme de fuseaux) … Dans ce fonds, quelle est l’importance des cartes nautiques ? Pour le Dépôt légal, environ un dixième de la production nationale (160 sur 1 600 notices en 2016) ; pour les acquisitions le don régulier du Bureau hydrographique international constitue un accroissement considérable (entre 500 et 1 500 cartes par an) ; pour le fonds ancien et précieux on peut proposer un dixième des collections de cartes et atlas nautiques, mais la valeur et l’intérêt qu’ils suscitent sont beaucoup plus grands. L’arrivée de la production de cartes numériques ne supprime pas la collecte des documents produits sur papier.

Toutes ces collections n’ont de sens que si elles sont accessibles, c’est-à-dire si on peut les retrouver et les consulter. L’accès le plus ancien est le classement géographique ; avec l’accroissement des collections il est devenu nécessaire d’utiliser un classement par format et par ordre d’entrée. Une cote numérique permet de faire correspondre la description, que l’on trouve au catalogue, et le document. Les catalogues permettent aussi de plus en plus souvent d’avoir un lien avec la reproduction numérique des cartes concernées (seulement si elles sont dans le domaine public) permettant d’ouvrir la consultation à un large public. Cette reproduction sous forme numérique est largement utilisée par le Département des Cartes et Plans de la BnF, y compris pour des cartes marines. La notoriété du Département en est accrue : comment peut-on résister à la vue d’un beau portulan ? Avec l’archivage de l’Internet, soumis au dépôt légal depuis 2006, d’autres problèmes sont apparus, en particulier pour les cartes marines car elles sont construites avec des formats particuliers, image ou vecteur, utilisant des systèmes propriétaires, comme c’est le cas du SHOM ; le mode opératoire prévu par la BnF pour ses livres ou autres documents numériques collectés automatiquement ne peut alors s’appliquer directement. Il importe donc de passer un accord avec l’éditeur pour pouvoir accueillir et conserver cette production numérique. La BnF l’a déjà fait avec l’IGN et un accord est en cours de négociation avec le SHOM.

En conclusion, il faut évoquer l’usage de ces documents et en particulier des collections de cartes marines. Les historiens et les géographes constituent un public traditionnel, ainsi que les iconographes. Les personnes ou les entreprises cherchant des informations scientifiques ou techniques sur l’évolution des zones côtières d’une région, sur l’évolution des traits de côte, sont de plus en plus nombreuses. Les cartes marines anciennes sont également sollicitées pour prouver des droits sur telle ou telle île, ainsi récemment entre les Japonais et les Coréens, puis entre les Chiliens et les Péruviens. Certains chercheurs d’épaves (et de trésors !) utilisent aussi ces documents qui permettent une localisation précise.

Les collections cartographiques anciennes suscitent aussi l’intérêt du grand public comme le montre le succès de l’exposition de la collection des portulans organisée par la BnF en 2013 et dont le catalogue a reçu le grand prix de l’Académie.

C&M 3 2016-2017

  Retour  

Copyright © 2011 Académie de marine. Tous droits réservés.