Conférences

Granville. La trajectoire singulière d’une ville portuaire maritime normande

Michel Aumont
Docteur en histoire

Le 01-02-2017

M. Michel Aumont, docteur en histoire, chargé de cours à l’Université de Caen et vice-président de la Société française d’histoire maritime, est présenté par PhilippeHenrat, président de la section Histoire, lettres et arts.

La modeste cité de Granville, située sur une presqu’île rocheuse de 40 m d’altitude, dispose d’un port bien protégé des vents du nord, soumis à des vents d’ouest dominants et ouvrant au sud, dont l’accès est souvent assez difficile en raison d’un marnage important (14 m) et de courants violents qui évoluent rapidement. Ce port éloigné des voies fluviales est parvenu à se développer en tirant parti du voisinage de l’archipel de Chausey et des îles Anglo-normandes, ainsi que du port de Saint-Malo. L’objet de la communication de M. Aumont est d’essayer de préciser comment les habitants de Granville ont su tirer parti des ressources de la mer pour multiplier leurs activités.

Granville est mentionné en 1113 comme un site de pèlerinage à la Vierge « … où sont advenus et adviennent souvent de beaux et apparents miracles » ; quelques abris de pêcheurs sont construits au voisinage de l’église Notre-Dame du cap Lihou. En 1439, les Anglais, ne parvenant pas à s’emparer du mont Saint-Michel qui leur barre la route vers la Bretagne, décident de fortifier la presqu’île pour protéger leurs domaines de Normandie et pouvoir disposer d’un point de départ pour leurs opérations. Ils construisent une enceinte autour du point le plus élevé, coupent l’isthme reliant la presqu’île à la côte par la « tranchée aux Anglais », offrent une installation à des nouveaux habitants. Lorsque Charles VII installe l’autorité des Bourbons dans la région il donne ordre de poursuivre l’amélioration des défenses de cette « clef de Normandie ».

Le port de Granville poursuit son développement durant l’époque moderne. En 1520, ses morutiers sont mentionnés sur le banc de Terre-Neuve. Au même moment les habitants construisent une jetée de blocs de granit pour améliorer la rade et une cour d’Amirauté est établie dans la ville. Les habitants bénéficient de l’appui des Goyon de Matignon, ducs de Valentinois, puis de Grimaldi, lieutenants généraux en Normandie, gouverneurs de Granville, de Cherbourg et de l’île Chausey. Les activités maritimes sont essentielles : « Le total de la ville et des faubourgs monte à 3 768 personnes de tous âges et de tous sexes, parmi lesquelles il y a quelques vingt familles de marchands de quelque considération qui font vivre tous les autres, écrit Vauban en 1686. Le reste sont matelots, n’y ayant que fort peu d’artisans. »

Quelles sont ces activités ? D’abord la « petite pêche », soit pêche à pied avec des treillis disposés sur le littoral, soit pêche en mer sur la côte, soit prélèvement des huîtres en baie. Une partie de ces huîtres est consommée localement, le reste est « mariné » avec une technique de conservation consistant à les « parquer » pour leur apprendre à garder leur eau puis à les expédier vers les villes, en particulier vers Paris. Il y a un petit commerce pour le cabotage, mais très peu de grand commerce car le port de Granville, au contraire de celui de Saint-Malo, n’est pas autorisé à faire des armements pour les colonies malgré une demande instante en 1737. L’essentiel est la grande pêche à la morue, soit « morue verte », avec retour direct au port, soit « morue sèche », salée, avec retour vers d’autres ports et chargement d’un autre fret pour rentrer dans le port d’armement. C’est la grande réussite de Granville qui bénéficie de la densité de la population de l’arrière-pays pour son recrutement, de l’orientation du port du Havre vers les activités coloniales plus rentables au détriment du trafic de Terre-Neuve, de l’absence d’ensablement de son port au contraire de ceux de ses voisins.

Durant les périodes de guerre, Granville pratique la guerre de course avec un taux de réussite d’environ 20 % des armements. Au cours du XVIIIe siècle c’est le troisième port en France après Saint-Malo et Dunkerque tant pour le nombre des prises que pour leur valeur. Chaque conflit a ses héros : Jean Beaubriand-Lévesque et François Lair dans les guerres de la fin du règne de Louis XIV ; Mathieu Delarue, dit « Face d’argent », pendant le conflit de la Succession d’Autriche ; Pléville-Le Pelley, durant les guerres de la Révolution avant d’être ministre de la Marine sous le Directoire. A la fin du XVIIIe siècle la ville, bombardée à deux reprises, pourrait devenir la base d’un débarquement aux îles anglo-normandes, projet abandonné.

Au XIXe et XXe siècles l’activité navale de Granville décline. La pêche à la morue est de moins en moins active, ici comme ailleurs ; elle est arrêtée en 1933. La faible profondeur du port asséchant empêche l’entrée des navires dont le tirant d’eau augmente et la construction d’un bassin à flot ne permet pas de remédier à cette difficulté. La Compagnie générale maritime des frères Pereire s’installe à Granville en 1855 mais son activité est insuffisante si bien qu’elle est réorganisée pour devenir la Compagnie générale Transatlantique en 1861 avec les têtes des lignes établies au Havre.

La nouvelle ressource est le tourisme balnéaire, facilité par la liaison ferroviaire avec Paris ; c’est maintenant la principale source des revenus. Avec l’installation de retraités ce tourisme balnéaire permet l’augmentation de la population.

Il y a aussi une activité de pêche locale adaptée aux nouvelles demandes : Granville est le premier port coquiller français (en raison de ses fortes marées) et le sixième port de pêche.
Il faut encore mentionner quelques industries nouvelles, en particulier l’usine de transformation d’engrais naturels, principalement à partir du guano, installée en 1870 par la famille Dior, originaire de la région.

C’est donc une histoire singulière au fil des siècles avec une alternance de succès et de difficultés, rencontre entre des conditions naturelles originales et l’esprit d’entreprise.

Discussion :

Ph. Henrat : Le taux de réussite des corsaires, autour de 20 %, est analogue à celui de Dunkerque et de Saint-Malo. Le projet de l’installation d’une usine marémotrice pour produire de l’énergie dans la région est abandonné.
Ph. Le Moult, conservateur du musée Dior installé dans l’ancienne villa de la famille où naquit le couturier, précise les activités de cette institution en relation avec les activités maritimes.
J. Delhemmes insiste sur l’importance des marais de Carentan qui interrompent la circulation au centre du Cotentin, si bien que la relation entre Granville et Cherbourg est difficile, alors que le premier port a un bassin de recrutement relativement important, ce qui n’est pas le cas du second.
R. Litalien rappelle l’importance de l’œuvre de Maurice Denis, originaire de la région et « peintre de la mer ».

C&M 2 2016-2017

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