Conférences

Groupe Bourbon, situation et perspectives de l’activité de services maritimes offshore

Christian Lefèvre
Directeur général et administrateur du groupe Bourbon

Le 14-12-2016

M. Christian Lefèvre, conférencier de ce jour, est présenté par Edouard Berlet, président de la section Droit et économie. M. Lefèvre, diplômé de l’Ecole de la Marine marchande, a fait toute sa carrière chez Bourbon où il a été successivement officier, chef mécanicien et capitaine de navire offshore, chef des agences du Gabon puis du Cameroun. Par la suite il a occupé des postes de direction des services de Bourbon offshore surf, avant d’être promu directeur général et administrateur.

Le groupe Bourbon, né à l’île de la Réunion en 1948, accru par achat de la compagnie de remorquage portuaire Chambon active à Marseille depuis 1873, a un chiffre d’affaires pour 2015 de 1,437 milliards d’euros. Il emploie 9 998 collaborateurs appartenant à 88 nationalités et relevant de 34 filiales opérationnelles ; il dispose de 512 navires dont la moyenne d’âge est de 7,3 ans. D’abord spécialisé dans le transport des produits agro-alimentaires, il est devenu à partir de 2000 un conglomérat de trois activités, l’agro-alimentaire (21 %), la distribution (52 %) et les services maritimes (27 %), et depuis 2005, troisième évolution majeure, il est spécialisé dans les services maritimes à l’offshore pétrolier avec une division en deux départements. Le premier est la gestion de la marine de service avec le ravitaillement, le remorquage, l’ancrage et le positionnement des installations, ainsi que le transport du personnel. Le second assure les activités sous-marines, c’est-à-dire l’inspection, la maintenance et la réparation des infrastructures.

Une installation pétrolière offshore est active pendant une trentaine d’années en moyenne et fait appel successivement à divers métiers. La période d’exploration par sismique puis par forage d’exploration se poursuit durant un ou deux ans ; elle est suivie par une période de forage des puits de production et d’injection d’eau ou de gaz accompagnée de la construction d’installations sous-marines et de surface de trois à cinq ans. Les premiers forages ont été effectués entre 150 et 200 mètres avec des installations posées sur la plate-forme continentale, puis on est passé entre 1 000 et 1 500 m avec des appareils ancrés, et maintenant autour de 3 000 m avec un positionnement dynamique. La même évolution est suivie par les appareils de production dont l’activité et la maintenance sont assurés durant une période de 20 à 25 ans. La déconstruction, surtout pratiquée en mer du Nord, demande à peu près une année.

Bourbon dispose de navires spécialisés pour rendre les services nécessaires à ces installations, soit une centaine de bâtiments pour le ravitaillement des installations offshore (44 continental ; 56 profond) et une autre centaine pour l’aide aux plates-formes ; 14 pour l’assistance aux tankers enleveurs sur terminaux ; 31 pour le transport rapide (20 nœuds) de personnes et de matériel ; 237 pour les transports non urgents ; 22 remorqueurs d’assistance et de sauvetage dont 4 avec des grues. Pour le développement de cette flotte, le groupe a mis en oeuvre une stratégie d’investissement rigoureuse en s’attachant à la standardisation pour obtenir des séries et des coûts compétitifs tout en s’attachant à l’économie d’énergie et à la bonne manœuvrabilité.

Essentiellement africaine (Cameroun, Gabon, Congo, Angola) et aussi Brésil il y a quinze ans, l’implantation de Bourbon est aujourd’hui mondiale comme le montre la répartition de sa flotte de 512 navires, soit 322 en Afrique de l’Ouest ; 65 en Amérique ; autant en Asie du Sud-Est ; 44 en Méditerranée, Moyen-Orient, Inde ; 9 en mer du Nord et 7 en France.

Quels sont les projets de l’avenir du groupe ? L’environnement du marché est fluctuant. Le cours du pétrole a diminué de 50 % entre juin 2014 et janvier 2016, entraînant une diminution marquée des investissements des compagnies pétrolières ; depuis le mois de janvier 2016 on assiste à une reprise. Par ailleurs la demande mondiale de pétrole continue d’augmenter de façon constante y compris durant les périodes de récession ; il pourrait en résulter un défaut d’approvisionnement des marchés et un choc pétrolier en 2020, comme l’a décrit l’Agence internationale de l’énergie en novembre dernier : « Trois années de baisse des investissements… une situation unique dans l’histoire de l’industrie ». De même, Patrick Pouyanné, PDG de Total, a évalué de 5 à 10 millions de barils par jour la part de la demande que la production ne suffirait plus à combler en 2020 : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation où nous n’investissons pas assez… Sans investissement, l’industrie pétrolière ne pourra compenser la baisse naturelle des gisements de 5 % et satisfaire une croissance de la demande, même de 1 % ».

Pour répondre à cet environnement incertain le groupe Bourbon s’est d’abord attaché à l’excellence opérationnelle en s’attachant au respect de la sécurité (le taux des accidents par millions d’heures travaillées est actuellement de 0,15 en baisse régulière depuis dix ans), à la bonne fiabilité technique de la flotte (le taux de disponibilité de 96,4 % en 2015 a progressé à 97,6 % en 2016), à la diversification équilibrée des revenus entre les activités et les régions du monde. Il a cherché à maintenir un portefeuille clients équilibré et diversifié (45 % de super-majors ; 24 % de compagnies nationales, telles que Petronas, Pemex et Petrobras ; 16 % de services au contrat avec Schlumberger et Technip ; 15 % de sociétés internationales comme Murphy et Hess). Il s’est attaché à disposer de partenaires locaux afin de pouvoir accéder plus aisément aux marchés. Il a cherché à conserver un actionnariat familial stable. Enfin il a fait face à la baisse du marché en réduisant ses investissements et en ayant peu de navires en commande, tout en maintenant sa flotte – outil solide de préservation de la trésorerie – dans le meilleur état possible.

A l’exemple de ses clients dont la plupart ont su s’organiser pour vivre avec un prix du baril de pétrole de 50 à 70 $ et être rentables, Bourbon s’est attaché au respect de quatre principes : simplifier ce qui était devenu extrêmement complexe et coûteux dans la développement et la production de projets ; être prêt à investir lorsqu’un retour rapide à la croissance peut être sécurisé ; tirer le meilleur parti de la révolution numérique en tant que nouveau moteur d’innovation ; rechercher de nouvelles zones de croissance par la diversification.

La place du groupe Bourbon sur le marché est originale. En dix ans, sur la base d’une stratégie claire et dans un secteur en croissance, ce conglomérat est devenu un acteur mondial. Il est en bonne place pour parvenir à bénéficier d’une reprise de la croissance économique mondiale.


Débats :

René Tyl, capitaine au long cours et invité permanent : Quelles sont vos mesures de protection contre les pirates ? /R. C.L. : Ces mesures sont nécessaires dans le golfe de Guinée, surtout à proximité du littoral du Nigéria où la piraterie est pratiquée par les habitants des bayous jusqu’à 200 milles au large. En 7 ans, il y a eu 4 ou 5 attaques accompagnées d’enlèvements de personnes. La protection des convois est assurée par des navires armés, l’un en avant et l’autre en arrière ; des navires armés patrouillent aussi sur les champs. La protection des bâtiments est assurée par des grillages et des barbelés posés sur les bords ainsi que par la « pratique de la citadelle » c’est-à-dire que, en cas d’attaque, les hommes se réfugient à l’intérieur du navire, soudent les portes et attendent l’arrivée des secours.

Jean Pépin-Lehalleur : Pour le recrutement de votre personnel spécialisé trouvez-vous les ressources nécessaires dans les écoles ? /R. C.L. : Oui. En 2008-2009, le groupe a éprouvé des difficultés en raison d’un recrutement massif ; depuis cette période le shipping est moins actif et le personnel est réduit de 20 %, alors que les écoles continuent à former un personnel compétent.

Hervé Baudu : Faites-vous construire en Chine ? /R. C.L. : La société Sino-Pacific est actionnaire de Bourbon et une centaine de bâtiments ont été construits sur ses chantiers aux normes des autres navires du groupe.

Jacques Dhellemmes : Vous pariez sur une augmentation du prix du pétrole, mais le baril pourrait rester à 50 $, car l’exploitation du gaz de schiste est très réactive et de nouveaux champs sont mis en exploitation. Que ferez-vous si cette situation se présente ? /R. C.L. : L’augmentation est prévue par l’Institut d’analyse de la production pétrolière pour la fin de 2017 pour atteindre 60 à 70 $ par baril. Certes, il est possible d’augmenter rapidement la production du gaz de schiste mais la fragmentation de la roche demande un personnel technique spécialisé qui est en faible nombre et la production des Etats-Unis est limitée à un niveau ne pouvant perturber la production. Enfin, les quantités disponibles sur les champs en exploitation continuent de diminuer alors que la demande augmente régulièrement.

Jean-Noël Gard : Vous employez 10 000 personnes. Combien y-t-il de Français ? /R. C.L. : 1 700 dont 1 200 navigants et 300 sédentaires au siège à Marseille.

Bernard Datcharry : Quelle est la place de la Sapmer, active à l’île Maurice ? /R. C.L. : C’est une entreprise familiale de pêche. Elle est hors du groupe.

Alain Coldefy : Quels sont les rapports entre Bourbon et Exxon ? /R. C.L. : Les négociations s’effectuent avec le directeur des achats, non avec le président du groupe Exxon. Par contre Bourbon est proche de la direction de Total, car Elf a aidé au développement du groupe de façon à pouvoir disposer d’une filière française.

Jean-Louis Fillon : Le Conseil interministériel de la mer a prévu il y a un mois le prochain lancement d’un appel d’offre pour remplacer les remorqueurs Abeille. Votre groupe est-il intéressé ? /R. C.L. Il faut attendre les spécifications lorsqu’elles seront établies par la Marine. Le président du groupe est intéressé par toute extension de la chaîne de valeur.

C&M 1 2016-2017

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