Conférences

Réduction d’effectifs au ministère de la Défense, enjeux et perspectives

Jean Casabianca
VAE, Adjoint du directeur à la direction des ressources humaines du ministère de la Défense

Le 28-01-2015

Le VAE Jean Casabianca, présenté par l’amiral Desclèves (qui fut son chef d’escouade à l’Ecole navale), exerce depuis 2013, après une carrière opérationnelle riche et diverse, la fonction d’adjoint du directeur à la direction des ressources humaines du ministère de la Défense, et il a bien voulu accepter de présenter devant l’Académie les enjeux et les perspectives de l’actuelle politique de réduction des effectifs conduite par ce ministère.
Il rappelle d’abord la chronologie et le contenu des quatre dernières lois de programmation militaire. La période 1997 à 2002 est marquée par la suspension de la conscription et par une diminution du personnel du ministère de la Défense (hors Gendarmerie) ramené à 338 500 en effectif total avec une diminution marquée du personnel civil. De 2003 à 2008, la professionnalisation est consolidée, l’interarmées monte en puissance, l’intégration dans des structures multinationales (OTAN et UE) est engagée, le passage dans la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) est réalisé. La loi de programmation 2009-2014, préparée par le Livre blanc de la défense et de la sécurité élaboré en 2008, rattache la Gendarmerie au ministère de l’Intérieur, place les forces françaises dans les structures intégrées de l’OTAN et développe l’interarmées, en particulier dans les bases de défense et dans la structure du Commissariat interarmées. Pour 2014-2019, l’effectif de la Défense est ramené à 250 000 en 2019 (sous réserve de modifications à la suite des récents attentats) ; les pouvoirs internes entre les états-majors et l’administration centrale sont rééquilibrés ; l’autorité fonctionnelle de deux directions du ministère, ressources humaines et affaires financières, est renforcée ; il est prévu la création d’une direction générale des relations internationales et de la stratégie.
La mise en œuvre de ces décisions a pour conséquence une modification en quantité et en qualité du personnel de la Défense, donc de la conduite du recrutement. Tout en respectant les contraintes salariales de maîtrise des crédits, il faut définir une politique de flux de manière à pouvoir conserver une place importante pour les jeunes et il faut en même temps assurer le renouvellement des générations sans ruptures, afin de parvenir au maintien des compétences.
Il est prévu de recruter 15 000 militaires et 1 500 civils par an, ce qui n’est pas aisé, malgré un chômage important, car le secteur civil recherche aussi des bons spécialistes dans des « micro-filières » à effectifs réduits, avec une formation longue. La chaîne et les outils de recrutement sont donc en cours de révision : il faut une grande vigilance dans la qualité des recruteurs ; il faut élaborer des outils adaptés, en faisant appel aux nouvelles technologies de l’information et de la communication ; il faut faire appel aux réservistes ; il faut développer l’apprentissage (il est prévu de recruter 10 000 apprentis sur cinq ans) ; il faut développer les primes et les indemnités selon les préconisations du Haut comité d’évaluation de la condition militaire. Tout cela coûte cher et il faut prévoir plusieurs centaines de millions d’euros pour ce poste.
L’évolution vers une armée professionnelle conduit à définir des formations et des parcours. Il faut veiller à une bonne intégration sociale et se donner les moyens pour améliorer les performances. Il faut aussi tenir compte de la réduction des effectifs en intégrant une logique d’interarmées et de compétence partagée. Le plus important est d’obtenir la « fidélisation » du personnel (les dénonciations des contrats de recrutement pour la première année dans l’armée de Terre, se sont élevées à 30 % en 2009 ; 23 % en 2013) en suivant une pratique définie par le document « Politique Ressources humaines 2025 ». Il faut d’abord avoir la maîtrise du mouvement des départs car « il est moins coûteux de garder un bon personnel que d’en recruter et former un nouveau ». Par quels moyens ? Il faut améliorer l’attraction et la visibilité des parcours de carrière ; il faut s’attacher à préserver les valeurs fortes de l’institution ; il faut veiller au maintien du bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle ; il faut développer une politique sociale avec une reconnaissance des sujétions accompagnée de l’octroi de compensations ; il faut adapter la grille des indemnités aux évolutions de la condition du personnel.
Il faut encore réfléchir aux reconversions. C’est un devoir de l’Etat et un retour sur investissement pour la nation ; c’est aussi un facteur de rayonnement pour la Défense. Actuellement 6 000 civils et militaires sont au chômage après avoir quitté les armées. Pour remédier à cette difficulté il faut améliorer la professionnalisation de la Défense en développant l’agence de reconversion appuyée sur un réseau territorial dense et en installant une offre internet. Il faut aussi adapter l’offre de service en développant le « coaching », en insistant sur la formation professionnelle pour les sous-officiers et les hommes du rang, en développant des aides à la création ou à la reprise d’entreprise ou de franchise, en facilitant les reconversions dans les fonctions publiques territoriales et d’Etat.
Cette politique n’est pas sans risques : après plusieurs années de déflation des effectifs, il pourrait arriver que le recrutement ne puisse être fait dans de bonnes conditions. Le premier danger est une éventuelle perte des compétences à la suite d’une faible sélection qualitative des départs. Second péril : si le personnel de la Défense est moins nombreux et plus concentré, le lien entre les armées et la nation pourrait se distendre. Et surtout, le plus grave danger est une banalisation de l’état militaire ayant des incidences sur le statut particulier des armées.
C’est un risque majeur, insiste l’amiral Casabianca. Actuellement le personnel de la Défense dispose d’un statut dérogatoire de la fonction publique en raison de contraintes particulières : esprit de sacrifice pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. Ces obligations sont compensées par des dispositions statutaires, financières, de soutien et d’accompagnement spécifiques. C’est un ensemble cohérent, mais à l’équilibre fragile au regard des évolutions possibles, et les armées atteignent maintenant un seuil critique.


Débat : Amiral Lacoste, apprécie la hauteur de vue de cet exposé et regrette la suppression de la fonction Direction des ressources humaines pour la Marine.
J. C. : La direction des ressources humaines de la Marine n’a pas perdu tous ses moyens, en particulier elle conserve la maîtrise de la définition des services ; la réduction des effectifs n’est jamais facile à conduire et il est préférable de disposer d’une direction des ressources humaines interarmées.
Alain Grill : Les diplômes sont-ils acceptés par l’Education nationale ? Existe-t-il des liens avec les organisations patronales et régionales pour aider aux reconversions ? J. C. : La formation est en relation avec la certification universitaire. Pour les reconversions il y a des relations avec le MEDEF et avec d’autres organisations.
Amiral d’Arbonneau : Pour les difficultés rencontrées dans le recrutement et la fidélisation la rémunération n’est pas en cause, la difficulté est le commandement et la discipline qui fait penser à la tyrannie des petits cadres dans les banlieues.

C&M 2 2014-2015

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