Conférences

Financement du commerce maritime

Fernand Bozzoni
Président de la Société d’armement et de transport (SOCATRA)

Le 17-12-2014

Mme Françoise Odier, présidente de la section Marine marchande, pêche et plaisance, présente M. Fernand Bozzoni, président de la Société d’armement et de transport (SOCATRA) spécialisée dans le transport de produits pétroliers, et vice-président du Comité des armateurs de France, qui a bien voulu exposer devant l’Académie quelques réflexions tirées de son expérience personnelle.
Le financement des navires est une opération capitale pour la marine marchande dont elle commande le développement. La première interrogation posée par les détenteurs de capitaux est de savoir si la navigation commerciale est un secteur rentable et un marché porteur.
Pour répondre à cette interrogation il convient de faire un état des lieux. Le marché de la navigation commerciale a beaucoup augmenté avec la mondialisation ; son mouvement a été multiplié par cinq au cours des dix dernières années pour atteindre à ce jour le montant de 1 500 milliards d’euros, et on prévoit un doublement d’ici 2020. Pourtant la situation actuelle n’est pas bonne : le nombre des titres boursiers a fortement décliné en 2014 ; le marché des frets est déprimé avec un déclin de la demande depuis 2008, alors que le tonnage disponible augmente en raison de la livraison des nombreuses commandes passées avant 2007. Ainsi est-on passé d’un coût moyen de 160 M$ par tonne en 2008 à 100 M$ par tonne en 2013. Toutefois, la perspective d’évolution à dix ans n’est pas mauvaise avec un taux prévisible d’augmentation de la flotte à 70 % et un développement rapide de la capacité d’emport des conteneurs.
La principale difficulté du moment est le désengagement des banques par une réaction de prudence à la suite de la forte diminution du prix du fret. Les armateurs ont besoin de moyens financiers (sauf pour ceux, en particulier les Grecs, qui spéculent sur les prix des bâtiments et vendent à haut prix pour acheter à bas coût). Comment peuvent-ils les trouver ? Il est possible de lancer un appel public à l’épargne, mais l’introduction boursière est une opération difficile dont le coût est élevé et le risque important, car il faut proposer les valeurs à un prix inférieur à la réalité en espérant pouvoir jouer sur une forte augmentation de la flotte ; il faut aussi avoir une envergure significative ; il faut enfin savoir profiter d’un contexte social favorable. Ainsi faut-il bien mesurer le risque de l’entrée en bourse et procéder à une bonne étude préliminaire ; or les banques, tout en acceptant parfois d’accompagner l’armateur, ne sont jamais « chef de file ».
A côté du financement boursier traditionnel il y a des nouveaux prêteurs apparus depuis quelques années sur le marché : ainsi des caisses de retraite, des familles, des sociétés spécialisées, des compagnies d’assurances… Mais ils ont une faible importance en capital alors que, pour parvenir à continuer leurs activités, les armateurs français ont besoin d’un milliard d’euros durant les trois prochaines années. Où pourront-ils trouver ces fonds ? La flotte marchande française est au-delà du trentième rang dans le monde et, avec moins de 180 navires en 2014, elle continue à décliner, bien qu’elle occupe la première place pour la sécurité en raison de la qualité de ses navigants et des investissements en matériels performants consentis par les armateurs. Il faudrait parvenir à créer un fonds dédié et travailler à une amélioration de l’image de l’armement français. Ainsi, conclut M. Bozzoni : venez nous rejoindre ! Le métier d’armateur est le plus beau du monde !
Débat : Alain Grill. – Le risque de taux d’intérêt a disparu par comparaison avec 1985 où il était de 10 % ; s’il n’y a plus de « chef de file bancaire », c’est-à-dire un banquier qui réunit 80 % des fonds, n’est-il pas possible de former un « pool » bancaire ? F. Bozzoni. – Il n’y a plus de crédit sans « pool » bancaire, car il faut partager le risque. Le taux d’intérêt est bas, mais il est trimestriel et donc ajusté quatre fois par an ; le taux fixe est rare et avec une marge élevée.
Didier Salomon (invité permanent et banquier). – L’existence de « pool » trop large avec des non-spécialistes rend la gestion difficile. Pour comprendre la diminution des prêts il faut tenir compte des grosses difficultés des banques et de l’obligation à laquelle elles sont soumises de s’aligner sur une réglementation contraignante pour les prêts en dollars. F. Bozzoni. – Le risque en dollars est très réduit ; il faudrait que les banques réfléchissent aux moyens de suivre une entreprise et mesurer l’évolution d’une situation avec de bonnes perspectives.
Marc Chevalier (armateur). – L’armement français est en grand danger car, sur les 180 bâtiments mentionnés par M. Bozzoni, beaucoup vont disparaître. Le transport maritime mondial se développe et il serait vraiment dommage que l’armement français ne suive pas ce mouvement.

C&M 1 2014-2015

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