Conférences

William Sidney Smith, l’anti-Nelson

Philippe Henrat
Archiviste-paléographe, ancien conservateur des archives de la Marine aux Archives nationales, membre de la section Histoire, lettres et arts

Le 19-11-2014

Sir Sidney Smith, né en 1764, quasi contemporain de Nelson (né en 1758), effectue comme celui-ci une carrière éclatante dans la Marine anglaise avec, cependant, une personnalité totalement différente. Nelson, fils de pasteur, troisième d’une famille de onze enfants, a une enfance pauvre (protégé cependant par Sir Horace Walpole) ; Smith, dont le père est officier dans la garde royale et le grand-père capitaine dans la marine de guerre, appartient à une famille fortunée. Nelson est gravement blessé à plusieurs reprises tandis que Smith est atteint de manière superficielle ; le premier parle seulement l’anglais alors que le second connaît cinq langues, parmi lesquelles le français qu’il parle couramment. Nelson obéit à ses chefs (sauf dans quelques circonstances) tandis que Smith refuse la discipline. Smith est généreux, hardi, courageux, avec un esprit vif et actif (mais très imbu de lui-même), un comportement très humain tant vis-à-vis de ses équipages que des ennemis.

Entré dans la Navy en 1777, il participe dès 1778 à un combat sur la côte de l’Amérique du Nord au cours duquel il s’empare d’une frégate armée par les insurgents ; un peu plus tard il participe à la destruction de trois bâtiments français en rade de Cancale. Embarqué sous l’amiral Rodney en 1780, il est engagé dans toutes les rencontres importantes de la guerre d’Indépendance des Etats-Unis depuis le cap Saint-Vincent, la Dominique, la Chesapeake, Saint-Christophe et aux Saintes.

Promu lieutenant de vaisseau en 1783 (à l’âge de 16 ans), il rentre en Angleterre et, lors de la proclamation de la paix, il est placé en demi-solde. Il profite de sa liberté pour voyager, surtout en Normandie où il passe près de trois ans (il pratique la langue française et devient francophile), puis il se rend à Gibraltar et au Maroc (où il est horrifié par le sort des esclaves). En 1789, il voyage en Suède, pays engagé alors dans une guerre avec la Russie ; son gouvernement lui ayant refusé l’autorisation de servir dans l’armée suédoise il passe outre et se distingue dans un engagement victorieux en juillet 1790. L’année suivante il se rend à Istanbul auprès de son frère, en poste à l’ambassade britannique dans cette ville. Informé de la guerre entre la France et l’Angleterre, il cherche à regagner sa patrie et il achète et arme à ses frais une goélette à Smyrne, recrute un équipage parmi des transfuges britanniques et rejoint la Navy à Toulon. Il est chargé d’incendier l’arsenal lorsque l’escadre quitte le port en décembre 1793.

En 1794 et 1795, il reçoit le commandement d’une frégate chargée d’interrompre le trafic sur la côte de Normandie et prend le contrôle des îles Saint-Marcouf. Capturé devant Le Havre lors de l’attaque du corsaire Le Vengeur, il est transféré à la prison du Temple à Paris (où il occupe l’ancien appartement de Louis XVI), car le gouvernement français refuse de l’échanger contre d’autres prisonniers. Il s’évade en avril 1798 avec l’aide des royalistes Hyde de Neuville et Phélippeaux et parvient à gagner Londres.

Commandant le vaisseau Tiger, il est envoyé à Istanbul en octobre 1798 pour une mission diplomatique et se trouve engagé dans les opérations de la campagne d’Egypte lorsque Bonaparte entreprend de rentrer en Europe par la voie terrestre. En mars 1799, il capture les pièces de siège préparées par les Français pour le siège d’Acre, puis il organise la défense de cette citadelle de telle façon que les assaillants sont contraints de rentrer en Egypte. Plus tard il tentera vainement de négocier une convention généreuse pour faciliter le retour des vaincus vers l’Europe.

Revenu en Angleterre en novembre 1801, élu temporairement au Parlement, il s’intéresse aux inventions de Robert Fulton ainsi qu’aux mines et torpilles destinées à empêcher un débarquement des Français sur les îles.

Contre-amiral en novembre 1805, il est envoyé l’année suivante avec le Pompée de 74 canons en Italie du Sud pour appuyer les opérations de reconquête de Naples, qui échouent ; puis il participe au forcement des Dardanelles, qui réussit, et se rend à Lisbonne en novembre 1807 pour transporter au Brésil la famille royale, menacée par les opérations des Français.

Accusé de mener une diplomatie indépendante, il est rappelé à la demande de l’ambassadeur britannique mais, parvenu à Londres en juillet 1810 il est promu vice-amiral. Après une campagne en Méditerranée, il rentre à Londres en mars 1814 et gagne la France pour se reposer. L’année suivante il accompagne Louis XVIII à Gand et assiste à la bataille de Waterloo en juin 1815. Promu amiral en juillet 1821, il se retire du service et vit à Paris où il tente de créer une Société pour la libération des esclaves chrétiens prisonniers des Barbaresques et propose différentes améliorations pour la sauvegarde des hommes embarqués lors d’un naufrage.

Il meurt le 26 mai 1840 et est inhumé au cimetière du Père Lachaise.

C&M 1 2014-2015

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