Conférences

Actualités des Pôles

Michel Rocard

Le 09-04-2014

M. Michel Rocard, ancien Premier ministre et ambassadeur en charge des négociations internationales sur les pôles, a fait devant l’Académie en 2003 un tableau de la situation internationale des pôles ; il a bien voulu prononcer aujourd’hui une mise au point sur l’évolution des mêmes régions depuis dix ans.

Il y a peu de changements car en ce début du XXIe siècle on assiste ici comme ailleurs à un « gel » de la diplomatie et des négociations mondiales. Toutes les tentatives de coopération internationale échouent en raison de la méfiance croissante entre les Etats, conséquence de la difficulté à mettre de l’ordre dans les affaires économiques et financières du monde ainsi que dans les affaires de sécurité.

Cependant, alors qu’il n’y a pas d’accord international pour l’Arctique, le continent antarctique (où M. Rocard s’est rendu il y a moins de deux ans sur la base Dumont d’Urville, puis sur des bases des Etats-Unis et de l’Italie, avant de survoler le pôle sud) est engagé dans un ensemble de traités. Il convient donc de traiter séparément chacun des pôles.

Pour l’Antarctique, M. Rocard distingue sept « signaux ».

Le premier est la poursuite du réchauffement climatique. Il est à craindre que la 21e conférence des Nations Unies sur l’environnement prévue pour 2015 à Paris apporte peu de changements pour limiter les émissions de CO2 car le système des attributions de quotas est abandonné, et l’idée de la taxation des émetteurs de gaz carbonique est oubliée. Il reste le projet privé, avancé avec l’appui de M. Rocard en 2011, de la création de comptes privés avec un crédit d’impôt pour récompenser les acheteurs de véhicules peu polluants ou de consommateurs attachés à l’isolation de leurs appartements, de façon à leur permettre de faire d’autres aménagements. Il faut considérer que les émissions de gaz carbonique se poursuivront, donc la fonte de la banquise continuera et le niveau de la mer s’élèvera.

Le second « signal » est la recherche du maintien du statut de l’Antarctique. Le traité de démilitarisation signé en 1959 est une initiative d’Eisenhower, cependant acceptée, dans une période de tension internationale, par Khrouchtchev. Celui-ci annonce la volonté de « noyer la guerre froide dans les glaces de l’Antarctique ». Le protocole de Madrid entré en vigueur en 1991 fait de ce pôle une terre de science et une réserve naturelle avec interdiction de toute exploitation minérale (et donc le rejet de CO2) pour cinquante ans ; l’accord est donc maintenu jusqu’en 2048 et il a été approuvé par 38 nations. Cependant des publications privées envisagent de ne pas renouveler celui-ci et les premiers ministres de l’Australie, de France et de Belgique ont pris une initiative internationale pour augmenter le nombre des signataires de l’accord. Il a eu du succès, en particulier auprès de Cuba (mais la ratification des accords internationaux dans ce régime est longue et compliquée), chef de file de l’association de 43 petits Etats insulaires (AOSIS) dont près de la moitié sont menacés par la montée des eaux, parmi lesquels le Kiribati dont les 12 000 habitants ne savent trop où aller s’ils doivent quitter l’archipel.

Le troisième « signal » est la recherche d’un accord international sur les pratiques de la recherche scientifique. Lors de la signature du traité de 1959 il y avait une trentaine de bases sur l’Antarctique, maintenant il y en a plus de quatre-vingts appartenant à cinquante Etats et chacune est gérée de manière nationale. Il n’y a pas de suspicion militaire, grâce au traité, et les scientifiques s’entendent, mais toute la logistique est nationale avec un ravitaillement aérien (qui dégage du CO2) et une absence totale de mutualisation des secours en cas d’accident. Un groupe de travail présidé par le Chili travaille à établir un tableau de la situation sur ces deux points. Il est souhaitable que les Français puissent introduire la dimension internationale dans leurs programmes de recherches scientifiques.

Le quatrième « signal » est l’apparition de difficultés dans la gestion des protocoles d’accord sur l’application du traité de 1959. Le premier, signé en 1972, prévoit la protection des phoques ; il est plus ou moins bien appliqué. Le second, en vigueur depuis 1980, porte sur la protection de la flore et de la faune antarctique, en relation avec la création d’aires marines protégées. La négociation sur ces aires marines, engagée en 2012, a totalement échoué. Les nations ont présenté des projets divers : l’un, franco-australien, prévoit sept aires marines ; un autre est américano-néo-zélandais ; un autre encore vient de la Roumanie. Surtout, trois nations, la Chine, la Russie et l’Ukraine, ont refusé les aires marines protégées n’importe où dans le monde. C’est une situation catastrophique et sur ce point la diplomatie internationale est totalement paralysée ; de plus une tentative de sauvetage de l’accord, engagée six mois après le premier échec, a été sans effet.

Cinquième « signal » : les Etats prennent de plus en plus conscience de l’importance stratégique de l’Antarctique. La Chine vient de déposer une demande afin d’obtenir une quatrième base scientifique.

Sixième « signal ». Pour la pêche, l’Antarctique est mieux protégé que la région subarctique. Il y a une douzaine de zones de pêche, mais l’exploitation illégale tend à se développer sauf dans la zone française, autour de Crozet, Kerguelen, Saint-Paul, Amsterdam et La Réunion, où la Marine veille au respect de la réglementation. Il faudrait parvenir à doter les traités internationaux de nouveaux moyens juridiques et militaires.

Dernier « signal ». Pour la pêche à la baleine, il y a une activité illégale poursuivie par des bâtiments japonais qui ont capturés 650 à 700 cétacés en 2013 en arguant de la pêche scientifique.

Il y a donc une réflexion continue sur l’avenir de l’Antarctique avec quelques décisions internationales.

En Arctique, au contraire, rien ne bouge en raison de la puissance des egos nationaux. Le Canada affirme sa souveraineté sur le Grand Nord et l’exprime en y effectuant des manœuvres militaires et en y faisant circuler son unique brise-glace et ses deux navires à double coque renforcée. Il est probable que le chenal du Grand Nord (le passage du Nord-Ouest) ne deviendra jamais une grande route commerciale car des hauts fonds gênent la navigation, le passage des détroits est difficile (il faut contourner quinze à dix-sept îles) et il demeure des icebergs, même en été. L’affirmation canadienne de souveraineté n’est pas contestée actuellement, mais c’est un conflit latent. La Russie veut conserver la maîtrise (avec dix-sept brise-glace dont quatre à propulsion nucléaire) de sa grande route maritime du nord (le passage du Nord-Est) et accepte à grand peine la coopération internationale pour la recherche et le sauvetage.

Les hydrocarbures constituent une ressource importante et reconnue avec 13 à 14 % du pétrole et 30 % du gaz du monde. La Russie et la Norvège, après une discussion sur les limites de la zone d’exploitation, se sont accordées sur un partage à moitié, mais Gazprom a renoncé pour le moment à poursuivre la mise en valeur en raison de la médiocre fiabilité des moyens utilisés et Total, associé au même projet, a une attitude semblable. Les puissances voisines, en particulier le Groenland qui a des ambitions pétrolière et gazière, ne se sont pas prononcées. Chacun sera-t-il libre ? Ou bien faut-il prévoir un accord international ? Il n’y a pas d’entente ; on se regarde et on attend !

Le tourisme se développe, mais la navigation dans la zone arctique est dangereuse, en raison de la présence d’icebergs, même en été, alors que les moyens de sauvetage et d’intervention sont éloignés. L’Organisation maritime internationale (OMI) réfléchit à l’élaboration d’un code polaire mais les discussions sont longues et le Conseil de l’Arctique ne parvient pas à inscrire cette question à l’ordre du jour de ses discussions.

La pêche est une ressource importante. La moitié du poisson consommé en Europe vient de l’extrême nord Atlantique et de la portion de l’océan arctique voisine de la Russie et ouverte à la navigation en toute saison. La ressource diminue et, sous la pression des marchés, il est envisagé d’exploiter les quatre millions de km2 libres en été, mais le Conseil de l’Arctique (dans lequel la France, le Royaume-Uni et l’Espagne disposent de sièges d’observateurs) ne parvient pas à élaborer un accord. Il faudrait faire appel à l’opinion publique pour que soit engagée une négociation.

C&M 2013-2014 n° 3

  Retour  

Copyright © 2011 Académie de marine. Tous droits réservés.