La bibliothèque de l’Académie de Marine


Par Catherine Junges
Conservateur du patrimoine
Service historique de la défense,
département Marine.

Que reste-t-il, aujourd’hui, de l’activité déployée par l’Académie de marine à Brest de 1752 à 1793 ? Une centaine de registres manuscrits (registres de séances, correspondance, mémoire des académiciens), actuellement en dépôt au service historique de la marine à Vincennes ; quelques instruments scientifiques et modèles de machines, au musée de la marine à Paris ; et l’essentiel de sa bibliothèque, à savoir 1 436 ouvrages représentant 3 683 volumes, que les hasards de l’histoire n’ont pas réussi à arracher à Brest et sur lesquels veille le service historique de la défense de cette ville. Ce fonds serait aujourd’hui fort mal connu si M. Rémi Le Page, aujourd’hui décédé, n’avait consacré bénévolement de longues heures à le décrire, permettant ainsi à ceux qui le désirent d’accéder aux richesses qu’il recèle.

Dès sa fondation, en 1752, la jeune Académie de marine attache une grande importance à la constitution d’une bibliothèque. Le règlement prévoit déjà qu’une des salles constituant ses locaux sera consacrée au « dépôt des livres, registres et mémoires », et précise que la somme de 6000 livres attribuée par le Roi (abaissée à 3000 au bout de 5 ans, puis portée à 4000 à partir de 1769) sera notamment affectée à l’achat de livres. Ces derniers sont en effet indispensables aux travaux des académiciens brestois, comme le sont d’ailleurs les instruments scientifiques et les modèles réduits de bâtiments ou de machines, que l’Académie mettra tout autant d’opiniâtreté à réunir au cours des années. En un an, 187 ouvrages sont acquis, parmi lesquels les mathématiques et la physique se taillent la meilleure part. Cependant, l’Académie ne sera pas en mesure de poursuivre cet effort les années suivantes, et 35 ouvrages seulement seront acquis entre 1754 et 1761.

Tombée en léthargie après 1761, l’Académie est refondée en 1769. Elle multiplie alors les travaux dans tous les domaines, et son dynamisme se traduit notamment par l’enrichissement raisonné de ses collections. Les décisions d’achat sont prises par les académiciens réunis en séance et ils veillent à combler les lacunes. C’est ainsi que Courcelles, docteur en médecine, se charge en 1773 de dresser la liste des meilleurs livres de chimie, de minéralogie, de médecine et de physique nécessaires à la bibliothèque. En 1780, durant la guerre d’Indépendance américaine, on décide de compléter les collections en ce qui concerne les affaires de l’Angleterre et de l’Amérique. Dès la première année, l’Académie consacre 474 livres 14 sols à l’achat d’ouvrages de référence, tels que les Leçons de physique de l’abbé Nollet, l’Ordonnance de la marine de 1765, l’ Optique de Smith, ou le Traité de calcul intégral de Bougainville. En 1770, elle pense à traiter avec un libraire parisien pour la fourniture de livres, étrangers notamment, mais se rallie à la proposition du libraire brestois Malassis, qui devient son fournisseur habituel et auquel elle passera des commandes annuelles qui, dans les années 1780, tourneront couramment autour d’une somme de 3 000 livres. Pour compléter ses collections, l’Académie ne néglige aucune occasion : en 1773, elle acquiert 30 volumes lors de la vente après décès de la bibliothèque d’Amédée-François Frézier, directeur des fortifications de Bretagne et membre de l’Académie depuis 1752. En 1775, elle se porte encore acquéreur d’une partie de la bibliothèque de Charles-François-Philippe de Charnières, quand cet officier de marine, académicien depuis 1769, s’en défait au moment de quitter le service pour raison de santé. L’Académie profite également des largesses de ses membres, tels Duhamel du Monceau, Kerguelen, Bougainville ou Bellin, qui ont pris l’excellente habitude de lui faire don de leurs propres œuvres. Elle met à contribution ses lointains correspondants, demandant par exemple, en 1776, au commissaire à la marine en Corse Régnier du Tillet, de lui fournir nombre de documents sur la marine en Méditerranée, qu’elle le prie en outre de bien vouloir accompagner…d’une livre de truffes de l’île de Monte-Cristo !

A ce rythme, le nombre de livres s’accroît rapidement, et lorsque l’Académie publie le premier catalogue de ses collections en 1781, elle peut s’enorgueillir de 1018 ouvrages. Sept ans plus tard, le second catalogue en recense 870 de plus. L’analyse de la répartition thématique de ces 1888 ouvrages, comme celle des 1436 subsistants encore aujourd’hui, laisse voir la place prépondérante accordée aux sciences et techniques, un résultat qui ne saurait surprendre eu égard à la raison d’être de l’Académie. De même, il n’est guère étonnant, en ce siècle de découverte et dans une telle institution, de trouver 128 ouvrages concernant les voyages et la géographie. Mais on constate également que les intérêts des académiciens se sont progressivement diversifiés. En effet, les ouvrages relatifs à l’histoire représentent environ 18% des collections et les ouvrages de philosophie, 6,7%. L’Académie n’hésite pas, en 1782, à souscrire pour une édition en 70 volumes des œuvres complètes de Voltaire. Soucieux de constituer un fonds de référence, les académiciens sont à l’affût des raretés que constituent certains ouvrages anciens : la bibliothèque compte encore aujourd’hui deux éditions de Platon datant du XVIe siècle, le célèbre De Re metallica d’Agricola (1556), l’Histoire des poissons de Rondelet (1558), ou les œuvres complètes d’Archimède (1544).

Si le règlement de l’Académie prévoit, en 1752 comme en 1769, que les livres seront du ressort du secrétaire, la nécessité d’un bibliothécaire se fait assez rapidement sentir. Dès 1766, le jeune abbé Rochon, astronome de grand talent qui rejoindra les rangs des académiciens en 1769, occupe cette fonction. Mais sa participation à des expéditions scientifiques successives lui laisse peu de temps à y consacrer. En 1771, l’Académie refondée nomme donc pour garde-bibliothécaire un certain Vincent, avec des appointements de 800 livres par an. Satisfaite de ses services et voulant l’employer à plein temps, elle sollicite en 1774 le ministre de bien vouloir lui accorder un brevet. Cela n’est cependant possible qu’à condition que Rochon se démette de sa charge, renonçant par là-même aux 1200 livres de pension qu’elle lui rapporte. L’abbé s’y refuse, fait mine de se décider à exercer réellement ses fonctions même s’il lui faudrait pour cela venir s’installer à Brest, lui qui réside habituellement –lorsqu’il n’est pas en expédition- à Morlaix. L’un et l’autre parti, après moult démarches auprès du ministre, consentent à un arrangement : Rochon désigne Vincent comme son remplaçant, et lui délègue sur sa pension 400 livres pour compléter ses appointements.

A vrai dire, on sait peu de choses du travail quotidien de Vincent, si ce n’est qu’il est chargé d’accueillir le public à partir de 1771, date à laquelle l’Académie autorise la consultation sur place de ses ouvrages (sans formalités pour les officiers civils et militaires de la marine, sur autorisation du directeur pour les autres) trois fois par semaine, puis tous les jours, de deux heures à quatre heures au printemps et en été, et jusqu’à cinq heures en automne et en hiver.

L’Académie de marine est supprimée en 1793 et le sort de sa bibliothèque reste incertain jusqu’au 15 février 1794, date d’un décret portant que les bibliothèques relatives à la marine resteront dans les ports où elles avaient été rassemblées, sous la garde des agents préposés à leur conservation. Devenant le premier conservateur de la bibliothèque du port de Brest, Vincent continue donc à officier jusqu’à son départ en retraite en 1812. La bibliothèque de l’Académie de marine constitue aujourd’hui le noyau et le plus beau fleuron des collections du service historique de la défense à Brest.

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Sources et bibliographie

Rémi Le Page.- « La bibliothèque de l’Académie de Marine », dans La mer au siècle des encyclopédies, 1987.
Décrit de façon synthétique l’état et la composition de ce qui subsiste aujourd’hui de cette bibliothèque.

Alfred Doneaud du Plan.- « Histoire de l’Académie de Marine », dans Revue maritime et coloniale, 1878-1882.
Dans cette série d’articles, l’auteur retrace année par année l’histoire de l’Académie, à partir des archives de cette dernière.

Service historique de la défense, département Marine à Vincennes. Manuscrits de l’Académie de marine, 64 à 110.


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