Voyages d'étude et visites

Monaco, Villefranche-sur-Mer et Sophia Antipolis

C&M 2 2013-2014

Du 25-03-2014 au 27-03-2014

Mardi 25 mars

En début de matinée le groupe s’est rendu au musée naval de Monaco, situé sur les terrasses de Fontvieille, où il a été accueilli par le professeur Claude Pallanca, fondateur et directeur de cette institution sans doute unique au monde. C’est une immense collection internationale de modèles finement exécutés de toutes les marines depuis l’époque antique jusqu’à nos jours. C’est aussi une véritable encyclopédie maritime permettant d’envisager l’évolution historique des caractères techniques des navires, un plaisir pour l’intelligence comme pour les yeux.

La visite se poursuit au Musée et à l’Institut océanographique de la Principauté où le groupe commence par une visite guidée de l’aquarium tropical, organisé autour du bassin aux requins (auxquels le public peut faire de « gros calins ») avec des réalisations uniques et propres à cette institution, ainsi la culture du corail. Au premier étage du bâtiment (construit entre 1889 et 1910) le cabinet de travail d’Albert Ier à bord de l’un de ses bâtiments océanographiques retient l’attention et le conservateur insiste sur la description du choc anaphylactique et la découverte des agents allergènes responsables de celui-ci qui résultent des travaux poursuivis autour du Prince.

Une séance publique de l’Académie, avec une conférence de son vice-président, le recteur Henri Legohérel, Les princes de Monaco et la tradition maritime de la Principauté, se tient ensuite dans la grande salle de l’Institut. Son contenu est résumé dans les premières pages de ce bulletin.

A l’issue de cette conférence, le Prince Albert II, membre associé, prononce quelques mots de remerciements adressés au recteur Legohérel en particulier et à l’Académie en général. La présence de celle-ci à Monaco témoigne de l’intérêt essentiel que la Principauté et la famille Grimaldi portent à la mer. Albert Ier a fondé le Musée et l’Institut océanographiques pour mieux faire connaître l’environnement marin, avancer les travaux de recherche et en diffuser les résultats ; lui-même entend poursuivre dans la même direction et il exprime son intérêt pour la défense des océans et pour toutes les occasions d’illustrer l’importance de ceux-ci, instruments des relations entre les hommes et les nations. Chaque nation à la responsabilité de la conservation des ressources à l’usage de tous.

Un cocktail réunit ensuite les participants (à l’occasion de celui-ci le Prince exprime son intérêt pour la nouvelle cravate de l’Académie et en demande un modèle).

Mercredi 26 mars

Notre confrère, l’ingénieur général de l’Armement Gilles Bessero, membre de la section Navigation et océanologie, nous accueille au siège de l’Organisation hydrographique internationale (OHI) dont il est l’un des directeurs.

L’hydrographie est une nécessité, affirme-t-il en introduction, et il propose une définition de cette science : c’est la mesure et la description des éléments physiques des océans, des mers, des zones côtières, des lacs et des fleuves […] essentiellement dans l’intérêt de la sécurité de la navigation et à l’appui de toutes les autres activités maritimes, incluant le développement économique, la sécurité et la défense, la recherche scientifique et la protection de l’environnement. Elle fournit l’arrière-plan fondamental de pratiquement tout ce qui se passe dans, sur ou sous la mer. Sans hydrographie, il n’y a pas de navigation possible, pas d’aménagement portuaire, pas de réalisation d’infrastructure en mer, pas de programme environnemental, pas de gestion des zones côtières, pas de sauvetage en mer, pas de délimitation des frontières maritimes. Le travail de l’hydrographe, continue-t-il, se décline en trois volets : il recueille des données géo-référencées ; il traite les informations et les intègre dans des bases de données ; il produit, diffuse et met à jour des publications et des services.

L’activité de l’hydrographe relève d’obligations internationales. La première est l’emport de cartes marines à bord des navires ; cette obligation est rappelée dans plusieurs articles de la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), en particulier l’article V/19 : « Tous les navires, quelles que soient leurs dimensions, doivent être pourvus… de cartes marines et de publications nautiques permettant de planifier et d’afficher la route pour le voyage prévu et d’indiquer la position et de la surveiller tout au long du voyage ». Et encore l’article V/27 : « Les cartes marines et les publications nautiques, telles que les instructions nautiques, les livres des phares, les avis aux navigateurs, les annuaires des marées et toutes autres publications nautiques qui peuvent être nécessaires au cours du voyage prévu, doivent être appropriés et tenues à jour. » Les Etats côtiers ont par ailleurs l’obligation d’accomplir des relevés hydrographiques, de publier des cartes marines et de diffuser des avertissements de navigation lorsqu’ils ont connaissance d’un danger. La responsabilité de veiller à ce que chaque service hydrographique national respecte ces obligations incombe toujours à son gouvernement.

Une organisation hydrographique internationale spécialisée, dont la nécessité est reconnue dès la fin du XIXe siècle, est établie en 1921 pour « rendre la navigation plus facile et plus sûre à travers le monde ». Elle doit assurer une coopération active entre les Etats côtiers, et, à l’invitation du Prince Albert Ier, elle est installée à Monaco où elle demeure toujours aujourd’hui. Elle groupe actuellement 82 Etats, et il faut en ajouter sept autres dont l’adhésion est en cours de ratification. Le Bureau hydrographique international, fondé en 1970, est l’organe exécutif de l’OHI avec dix-huit personnes et trois directeurs élus (dont G. Bessero) ; il assure la coordination régionale et la poursuite des travaux techniques afin de promouvoir l’utilisation de l’hydrographie, améliorer la disponibilité et la qualité des données, organiser le développement de normes internationales, donner des conseils et accroître la coopération des activités hydrographiques entre les Etats.

Le principal défi est le manque de connaissances : moins de 10 % des fonds marins sont cartographiés. L’OHI tente de sensibiliser les Etats au développement de l’hydrographie avec la création d’une « Journée mondiale de l’hydrographie » (le 21 juin, adopté par l’ONU en 2005), la promotion de technologies alternatives comme la reconnaissance bathymétrique par satellite, et surtout le développement des capacités pour recueillir et diffuser les informations nautiques.

G. Bessero conclut avec quelques remarques sur le rôle de la France dans l’OHI : elle a eu un rôle déterminant dans sa création et elle participe à la plupart de ses organes ; le français est l’une de ses deux langues officielles et les Français sont nombreux dans son personnel.

A la suite de cet exposé et dans les mêmes locaux, M. Jean-Charles Sacotte, président du conseil d’administration de l’Institut du droit économique de la mer (INDEMER), présente rapidement cette institution, créée en 1985, sur la volonté du Prince Rainier III. C’est une petite structure (trois personnes y compris M. Sacotte) mais elle a des correspondants dans le monde entier.

Son objet est d’examiner les difficultés soulevées par l’exploitation du milieu marin. L’INDEMER publie chaque année en langue française un Annuaire du droit de la mer avec des chroniques régulières, ainsi le droit de la pêche ; l’Union européenne ; défense et sécurité ; les accords bilatéraux ; les organisations internationales ; les fonds marins ; la jurisprudence ; des documents de référence ; des varia avec des informations d’actualités ; une ou plusieurs études détaillées sur un point d’actualité, par exemple une convention internationale. L’ouvrage donne aussi une bibliographie systématique avec parfois des recensions. En outre l’INDEMER assure la publication de thèses distinguées (un prix est affecté à la publication d’une thèse en langue française) ou d’actes de colloques. L’Institut organise encore des colloques internationaux (le dernier avait pour thème : l’Union européenne et le droit de la mer) et des tables rondes ; il dispose d’un site internet (indemer.org) ; il a une activité de conseil pour les délimitations maritimes entre les Etats.

La discussion porte sur les deux exposés.

André Ravier. – Quels sont les moyens financiers d’INDEMER ? L’Institut reçoit chaque année 98 000 euros du gouvernement monégasque ainsi qu’un pourcentage sur le produit des ventes. Pourquoi le Panama et le Libéria sont-ils absents de l’OHI ? Ils paient une subvention globale sur les pavillons pour recevoir les informations hydrographiques. La difficulté est que dans beaucoup d’Etats la flotte commerciale est indépendante du gouvernement.

Xavier La Roche. – Quel est l’avenir des cartes sur papier ? L’avenir est analogue à celui des livres ; on continue à utiliser des cartes sur papier à côté des cartes électroniques. La vente des cartes sur papier ne diminue pas. Quel est l’état des zones économiques exclusives (ZEE) en Méditerranée ? Il n’y a plus de zones de haute-mer en Méditerranée occidentale dont tout l’espace est partagé entre les ZEE ; il n’y a pas de ZEE en Méditerranée orientale en raison des difficultés entre les Etats, ainsi entre la Grèce et la Turquie, entre le nord et le sud de l’île de Chypre, entre la Palestine et Israël.

François Bellec. – L’OHI s’est-elle préoccupée de l’Arctique ? Il a été créé une commission régionale pour établir la cartographie de cette région avant son ouverture à la navigation.

Arnaud Réglat-Boireau. – Les ZEE gênent-elles les opérations hydrographiques ? Les Etats-Unis estiment que les relevés peuvent être effectués partout. La France estime qu’il faut consulter l’Etat de la ZEE.

Michel Voelckel. – Est-il possible d’envisager une fusion entre l’INDEMER et l’OHI ? L’INDEMER est de droit monégasque et l’OHI est de droit international.

Au début de l’après-midi le groupe se déplace vers la digue semi-flottante édifiée à l’entrée du port d’Hercule et il est accueilli par M. René Bouchet, ingénieur chargé de sa réalisation.

L’aménagement du port était devenu une nécessité en raison du manque de place et de la médiocre protection offerte contre la houle et les vents d’est ; la difficulté est la profondeur importante (50 m avec 10 m de vase) et la construction d’une digue sur remblai aurait nécessité un ouvrage de 250 m de large. La solution adoptée est l’installation de caissons permettant d’arrêter l’énergie des vagues à la surface, selon une technique inspirée de celle de l’offshore pétrolier, avec une digue flottante de 350 m de long et une contre-jetée sur l’autre rive du port. La digue est amarrée au rivage par une rotule (à – 8 m) permettant un déplacement de plus ou moins 3° et elle est ancrée de manière classique sur le fond. Le tirant d’eau est de 16 m et elle émerge de 3 m ; la difficulté est l’orientation imposée, aussi la digue est-elle équipée d’instruments assurant une surveillance permanente. Les travaux ont débutés en 2000 et la digue, construite à Algésiras, a été posée durant l’été 2002 sous la direction de Doris Engineering, maître d’œuvre. Le coût final s’établit à 120 millions d’euros, soit 300 000 € par mètre linéaire, moitié moins que pour un remblai.

Ces travaux ont permis de doubler la capacité d’ancrage du port d’Hercule, annonce M. Jean-Baptiste Dorea, directeur des ports de Monaco. Ce port dispose maintenant de 750 places, dont un quai pour la petite plaisance locale, tandis que les bâtiments de croisière peuvent s’abriter derrière la digue. Le port de Fontvieille, à l’ouest du Rocher, a 350 places pour des embarcations de 35 m.

A l’issue de cette visite le groupe gagne le palais princier, construit à la fin du XVIe siècle à l’emplacement de l’ancienne citadelle. Sous la conduite de M. Thomas Fouilleron, conservateur des archives, il parcourt la cour d’honneur, construite sur une vaste citerne de 1 700 000 litres, creusée dans le roc après un siège par les Génois en 1506-1507. Les murs entourant cette cour sont ornés de fresques réalisées à l’époque de la construction et représentant des divinités marines ; sur la façade ouest une chapelle palatine est surmontée d’un dôme. Par un escalier inspiré de celui de Fontainebleau les visiteurs gagnent la salle du trône ornée de beaux portraits des princes de Monaco réalisés par des artistes français des XVIIe et XVIIIe siècles.

Jeudi 27 mars

La journée commence par une visite de Villefranche-sur-Mer. La moitié du groupe se dirige vers l’imposante citadelle construite sous l’autorité du duc de Savoie au milieu du XVIe siècle. Les fortifications, dessinées par des ingénieurs italiens, répondent au développement de l’artillerie avec des épais remparts de terre et un tracé bastionné évitant les angles morts, donc les tirs croisés ; le fort du mont Alban édifié sur une hauteur voisine dissuade l’approche des ennemis. A l’usage cette construction formidable se révèle fragile et la citadelle capitule à plusieurs reprises car le poste du mont Alban est trop petit pour pouvoir résister longtemps et les défenses ne répondent plus à l’amélioration de l’artillerie. Achetée par la municipalité et restaurée, elle abrite aujourd’hui plusieurs œuvres d’art, parmi lesquelles plusieurs très belles sculptures de femmes par Volti, suiveur de Maillol et Rodin. La chapelle Saint-Pierre, située en contrebas de la citadelle, près du port, a été décorée par Jean Cocteau avec des fresques évoquant le travail des pêcheurs, en particulier le marché aux poissons, et des épisodes de la vie de Saint Pierre, surtout un très beau panneau du reniement. La vieille ville, bien fortifiée par Charles d’Anjou à la fin du XIIIe siècle, avec trois lignes de fortifications, est particulièrement pittoresque avec des escaliers et des passages couverts laissant entrevoir la mer ou le port, et des maisons colorées de jaune, d’ocre ou de rose, avec des volets verts ou bleus.

L’autre groupe gagne l’Observatoire océanologique de Villefranche, placé sous l’autorité de l’Université Pierre et Marie Curie et centre important, avec les installations de Roscoff, des recherches en sciences de la mer. Il dispose de deux laboratoires reconnus par le CNRS dont les travaux portent pour l’un sur la biologie cellulaire et pour l’autre sur l’océanologie pélagique, biologique, biochimique et physique. Il effectue des mesures systématiques et régulières dans le milieu littoral (site de la rade de Villefranche) et en haute mer (à 28 milles du cap Ferrat). Il participe aussi au développement de nouvelles techniques d’observation, en particulier les planeurs sous-marins ou gliders et il reçoit en stage des étudiants inscrits en master d’océanographie ou de géologie.

L’après-midi est consacrée à la visite du site de Sophia Antipolis, premier parc technologique européen, créé en 1970 sur une pinède de 2 400 hectares, au nord-ouest de Nice, à l’initiative de Pierre Laffitte, alors directeur de l’Ecole des Mines de Paris, pour y « décentraliser » plusieurs laboratoires et y établir des entreprises maîtrisant des techniques évoluées.

Le groupe se rend d’abord à la Fondation Sophia chargée de l’animation culturelle et scientifique du parc, de son développement et de ses orientations futures. En 40 ans plus de 1 400 entreprises s’y sont installées et ont créé 30 000 emplois dans les technologies de l’information et de la communication, du multimédia, de la médecine et biochimie, de l’énergie, de la gestion de l’eau et des risques, du développement durable. Il y a aussi plus de 5 000 étudiants inscrits à l’Université de Nice et dans des grandes écoles d’ingénieurs ; plus de 500 doctorants travaillent dans des laboratoires dont la plupart en lien avec l’industrie.

Puis le groupe se divise en deux. La moitié des participants gagne le siège du groupe ACRI-IN où il est accueilli par M. Bruno Delage, directeur du pôle Méditerranée. ACRI-IN est un bureau d’étude spécialisé dans la conception et la maîtrise d’œuvre d’ouvrages de protection du littoral, de dispositifs d’amarrage, de moyens de mesure et de surveillance à la côte, ainsi que dans les études scientifiques en mécanique des fluides. Il emploie 22 personnes. Ses activités couvrent les simulations numériques, le développement de logiciels, la conception et le dimensionnement de structures maritimes et portuaires, la réalisation de campagnes d’essais en canal sur modèle réduit, des études expérimentales d’hydrodynamique dans le même canal, l’établissement de plans et pièces écrites, le suivi de travaux. Ses réalisations dans la région PACA sont nombreuses ; parmi celles-ci on note la maîtrise d’œuvre pour la restructuration des bassins du port d’Hercule à Monaco, à la suite de la construction de la digue flottante. La visite s’achève dans le laboratoire d’essais hydrauliques avec le mode de fonctionnement du canal d’une longueur de 31 m.

L’autre moitié des participants se rend sur le site de Thales Underwater systems, filiale du groupe Thales spécialisée dans la fabrication d’équipements d’aide à la navigation et second employeur de la technopole (780 personnes). Leader mondial en matière de lutte anti-sous-marine, Thales développe de nouvelles techniques dans le traitement du signal, de l’acoustique sous-marine, de l’électronique, de la mécanique et des concepts à venir de la lutte sous la mer. Le centre de Sophia s’occupe plus particulièrement du développement logiciel et du traitement du signal avec des recherches sur de nouveaux algorithmes.

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