Voyages d'étude et visites

Cherbourg et Cotentin

C&M 3 2012-2013

Du 11-06-2013 au 14-06-2013

Compte rendu rédigé par le contre-amiral Jacques Petit, secrétaire général de l’Académie.

Mardi 11 juin

Au début de la matinée le groupe de l’Académie est reçu par le vice-amiral d’escadre Bruno Nielly, préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord.

Après quelques mots de bienvenue l’amiral Nielly présente brièvement sa fonction de préfet. Celle-ci relève de trois autorités : le chef d’état-major des armées, dont il reçoit par délégation le contrôle opérationnel de la zone Manche et mer du Nord ; le chef d’état-major de la marine, pour le commandement militaire et l’organisation de l’arrondissement couvrant la même zone ; et enfin le Premier ministre, qui lui confie l’autorité civile pour des tâches variées en relation avec les activités maritimes.

C’est une organisation efficace, voulue par Bonaparte pour remédier aux conflits incessants entre « la plume » et « l’épée », unique en Europe, mais appréciée par d’autres puissances. Les préfets maritimes de la première moitié du XIXe siècle sont surtout des commandants de rade. Après 1850 leurs activités sont progressivement élargies et couvrent actuellement quatre domaines : la sauvegarde des personnes et des biens à la suite d’accidents en mer ; le maintien et le contrôle des approches ; la lutte contre les activités illicites (ainsi le trafic de drogue et les migrants clandestins) ; la protection du milieu maritime avec tout récemment le développement des installations de production d’énergie pour une économie durable (en particulier les éoliennes).

L’amiral Nielly donne ensuite quelques indications sur la zone maritime dont il a le commandement. C'est une « autoroute » par laquelle transite un quart du trafic maritime mondial ; elle est empruntée chaque jour par 600 navires, dont 60 % portent des hydrocarbures, navires auxquels s’ajoutent 130 « traversiers ». Le préfet a la surveillance des abords des centrales nucléaires de Flamanville et Gravelines, refroidies à l’eau de mer, et pour lesquelles on peut redouter un acte de malveillance à partir du large ; il doit veiller à l’exploitation des gisements halieutiques et au bon fonctionnement des câbles sous-marins menacés par les filets des pêcheurs ; il doit arbitrer en concertation avec les pêcheurs les implantations des éoliennes marines et des hydroliennes en expérimentation dans le ras Blanchard ; il doit aussi faire procéder à la sauvegarde de la faune et de la flore dans le parc naturel marin de la côte d’Opale et dans l’espace « normand-breton » récemment créé en relation avec les îles anglo-normandes.

Il poursuit en relatant l’accident du porte-conteneurs Flamina, de 6 700 EVP, sous pavillon allemand, en transit entre Charleston, Le Havre et Anvers. Le 14 juillet 2012, en plein Atlantique, une explosion suivie d’un violent incendie survient dans un conteneur, blessant grièvement trois marins ; une seconde explosion, accompagnée d’un incendie, survient quatre jours plus tard et le sinistre n’est maîtrisé que cinq jours plus tard seulement. Le navire prend alors une gîte de 11°. L’armateur envoie trois remorqueurs appartenant à une société hollandaise et cherche un site de refuge ; l’Allemagne accepte le navire à Wilhelmshaven sous condition d’une inspection de sécurité préalable. Pour le transit par la Manche le préfet maritime de Cherbourg pose quatre conditions : que l’incendie soit maîtrisé ; que le navire soit remis dans ses lignes d’eau ; qu’une société de certification évalue le risque de rupture de la poutre-navire ; et enfin que la destination finale soit confirmée. Le Flaminia, toujours tiré par trois remorqueurs, entre dans la Manche le 31 août et passe devant Cherbourg le 6 septembre, toujours fumant, alors que plus de mille conteneurs ont fondu. Cet incident montre les difficultés de la coopération internationale et pose beaucoup d’interrogations : quel était le contenu exact de la cargaison ? Comment avait-il été chargé à Charleston, port parmi les plus contrôlés du monde ? Est-il possible d’évaluer les risques du transport des produits chimiques ?

A l’issue de cette présentation, et après une discussion animée, le président Ravier remercie chaleureusement l’amiral Nielly tant pour cette conférence que pour celle qu’il avait bien voulu prononcer devant l’Académie en décembre dernier, au cours de laquelle il avait fait part de son expérience d’Alindien, en préparation du voyage d’étude aux Emirats Arabes Unis et dans le sultanat d’Oman.

Au début de l’après-midi, la délégation de l’Académie se rend dans une salle gracieusement mise à sa disposition à l’Hôtel de Ville de Cherbourg pour écouter la conférence historique prononcée par M. Gilles Désiré dit Gosset. Cette communication est résumée ci-dessus.

Le groupe gagne ensuite le domaine des Ravalet, propriété de la ville de Cherbourg, puis visite, sous la direction de M. Thierry Barreau, chargé de mission culturelle, le château construit au XVIe siècle sur les ruines d’une forteresse médiévale (célèbre par le souvenir de la rencontre incestueuse de Julien et Marguerite de Ravalet, racontée de manière dramatique par Barbey d’Aurevilly dans Une page d’histoire) et le beau parc aménagé au cours du XIXe siècle.

La journée se poursuit par la visite du chantier des Constructions mécaniques de Normandie (CMN) où notre groupe est accueilli par le directeur, M. Pierre Balmer, successeur de M. André Ravier. La société CMN, fondée en 1948 par Félix Amiot, auparavant actif dans l’aéronautique, construit des bâtiments militaires légers, rapides et puissamment armés, ainsi que des yachts. Elle conserve la mémoire des « Vedettes de Cherbourg », commandées par l’armée israélienne en 1965, placées sous embargo par le gouvernement français en 1967 à la suite de la Guerre des Six Jours, arrivées en Méditerranée orientale en 1970 après un appareillage subreptice le 25 décembre 1969. Une publicité inespérée pour ce chantier ! Après le décès du fondateur en 1974, la société connaît des difficultés ; à la suite d’un dépôt de bilan elle est confiée à M. Ravier en 1990 avec la mission de redresser le chantier. Après quelques contrats et une remise en ordre, elle est rachetée par l’homme d’affaires Iskandar Sofia, d’origine libanaise, qui apporte sa crédibilité financière. M. Ravier reçoit la présidence et la société renoue avec les bénéfices à partir de 1993. Elle tire sa renommée des vedettes de classe Combattante (navires rapides de combat) et des patrouilleurs de classe Vigilante (navires de surveillance).

En quarante ans, les CMN ont construit quelque 130 patrouilleurs et corvettes pour une vingtaine de marines. La perspective actuelle la plus porteuse est un contrat avec la Libye pour quatre patrouilleurs de type Vigilante, dont la négociation est en cours. En raison d’un plan de charge très court l’entreprise tente aussi de se placer sur les marchés des mâtures pour les éoliennes et des assemblages des turbines pour les hydroliennes.

Mercredi 12 juin

La délégation de l’Académie se rend en début de matinée à bord du remorqueur Abeille Liberté, ancré dans l’avant-port de l’arsenal. En service depuis 2005, ce bâtiment est équipé de quatre moteurs développant une puissance de plus de 21 000 chevaux et peut atteindre une vitesse de 19,5 nœuds. Il dispose de deux embarcations de sauvetage et de deux zones d’hélitreuillage, ainsi que d’une grue de onze mètres de flèche. Pour le remorquage il est équipé d’un double treuil ayant une résistance de 500 t et chaque tambour est équipé d’une remorque d’une longueur de 1 600 m et de 80 mm de diamètre.

La visite est suivie d’un embarquement pour une visite de la rade (la plus grande rade artificielle du monde !), de la digue et des forts, principalement celui de l’île Pelée, situé à l’est de la digue, inauguré par Louis XVI et garni alors de 108 canons, puis celui de Querqueville, sur le musoir ouest, défendant la passe principale.

Dans l’après-midi le groupe se rend à l’île de Tatihou, en rade de Saint-Vaast-la-Hougue. Située à environ un kilomètre de la côte, propriété du Conservatoire du littoral, elle comprend plusieurs installations : le fort et la tour Vauban, construit en 1694 après la bataille de la Hougue pour défendre l’entrée de ce port, et dont les fortifications ont été renforcées à plusieurs reprises au XVIIIe puis au XIXe siècle ; l’ancien lazaret, construit en 1720 et transformé depuis quelques années en musée archéologique pour recevoir les pièces archéologiques provenant des recherches sur le site de la bataille de la Hougue de 1692, avec des témoignages émouvants sur la vie quotidienne des matelots et des soldats embarqués ; un jardin botanique ; et enfin une réserve ornithologique.

Après un apéritif convivial organisé par notre confrère Jean Pépin-Lehalleur dans sa maison de Saint-Vaast, le groupe gagne Cherbourg avec un crochet par le phare de Gatteville puis par Barfleur, port d’embarquement de Guillaume le Conquérant en 1066. Le recteur Legohérel rappelle le souvenir du naufrage de la Blanche-Nef en 1120 au voisinage du port et la mort de Guillaume Adelin, petit-fils du Conquérant, héritier de la couronne d’Angleterre.

Jeudi 13 juin

Cette journée commence par la visite de la Cité de la Mer, ancienne gare maritime transatlantique avec sa magnifique salle des bagages développée en Arts Décos. Le groupe visite successivement le SNLE Le Redoutable ; le pôle océan avec dix-sept aquariums thématiques, dont l’aquarium abyssal avec une faille de dix mètres de profondeur ; la galerie des engins et des hommes avec onze appareils de plongée profonde ; l’animation virtuelle « On a marché sous la mer » ; l’espace Titanic (le paquebot fit escale à Cherbourg en avril 1912) dans un espace reconstitué et organisé autour de trois thèmes, la traversée, la collision et le naufrage.

Au cours du déjeuner pris dans l’ancienne salle à manger de la gare, la délégation de l’Académie reçoit la visite de M. Bernard Cazeneuve, ministre du Budget et ancien député-maire de Cherbourg.

Au début de l’après-midi, le groupe se rend à l’Ecole des fourriers où il est accueilli par son directeur, M. Patrick Henry, qui donne quelques indications sur le fonctionnement de ce centre interarmées où plus de 200 instructeurs forment 5 000 stagiaires chaque année. M. Henry cède la parole à M. Jean-Pascal Devis, directeur du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) de Jobourg. M. Devis développe les missions attribuées à ce centre, principalement axées sur la surveillance de la navigation, à savoir : le maintien du dispositif de séparation du trafic pour éviter la collision des traversiers et des pêcheurs avec les 180 navires qui passent chaque jour dans le « rail » ; les sauvetages en mer en association avec la SNSM (667 sauvetages ont été réalisés à l’initiative du CROSS de Jobourg en 2012) ; la détection d’éventuelles pollutions ; la surveillance des pêches (chaque bâtiment dispose d’une balise) ; la diffusion de renseignements de sécurité maritime, en particulier des bulletins météorologiques ; la sûreté des navires de commerce contre une éventuelle attaque de terroristes ou de pirates.

A l’issue de cet exposé, la délégation est divisée en trois groupes avec des visites alternées. Un premier groupe visite la salle des opérations du CROSS, point d’aboutissement des renseignements fournis par les moyens de surveillance et de détection. Un second groupe se rend à la station des Sauveteurs bénévoles en mer (SNSM) de Goury La Hague, à proximité du raz Blanchard et de son puissant courant marin. Le canot insubmersible, équipé de deux moteurs, est posé sur une plaque tournante permettant d’utiliser l’un ou l’autre des deux rails de descente à la mer, l’un à marée basse, l’autre à marée haute ; il peut donc intervenir à tout moment. Un troisième groupe visite le jardin botanique de Vauville, aménagé dans un site protégé, bénéficiant d’un climat avec de faibles différences de température, permettant la croissance des palmiers, des rhododendrons, des azalées et de nombreuses plantes exotiques à l’acclimatation difficile ailleurs en Europe. Les trois groupes se réunissent ensuite pour un dîner à l’auberge des Grottes située dans un site exceptionnel à l’extrémité du Nez de Jobourg.

Vendredi 14 juin

La journée commence par une visite à Cherbourg de la division des sous-marins de la société DCNS où la délégation de l’Académie est accueillie par M. Jean-Paul Person, directeur technique, et M. Frédéric Germain, chargé de la communication, donne quelques indications générales sur la situation de l’entreprise DCNS avant de préciser les activités de celle-ci à Cherbourg. Lointaine héritière des chantiers royaux créés à partir de 1631 à l’initiative de Richelieu, DCNS est devenue, après bien des avatars, société de droit privé en 2007, l’Etat demeurant actionnaire majoritaire (64 %). Son activité principale est la construction navale de défense, navires de surface et sous-marins, ainsi que les services y afférents (60 % conception-construction et 30 % maintenance). Elle développe depuis plusieurs années des innovations dans l’énergie, en particulier dans la chaudronnerie pour l’énergie nucléaire civile et dans les éoliennes et hydroliennes pour les énergies marines renouvelables. Elle dispose actuellement de 14 milliards d’euros de commandes pour les cinq années à venir et elle exerce un tiers de son activité à l’international.

Pour la construction des sous-marins, DCNS envisage de doubler son chiffre d’affaires dans les dix prochaines années dans un marché en pleine mutation. Actuellement l’Europe domine avec vingt-trois chantiers dédiés à cette activité mais les Etats-Unis, dont la construction est réservée aux forces nationales, veulent pénétrer sur le marché international ; il en est de même de la Russie, dont la construction connaît un nouvel essor, tandis que la Corée du Sud et la Chine ont de grandes ambitions. Le Japon envisage de construire des sous-marins à moteur diesel, tandis que l’Union Indienne voudrait à terme pouvoir disposer de dix-huit sous-marins nucléaires avec la volonté de maîtriser cette technique ; le Brésil est aussi sur les rangs.

Le site de Cherbourg est principalement affecté à la réalisation de sous-marins à propulsion nucléaire, SNA et SNLE, et de sous-marins conventionnels de classe Scorpène. La production est actuellement à 70 % destinée à la Marine nationale (SNLE type Le Triomphant et SNA type Barracuda) et à 30 % à l’exportation (sous-marins à propulsion diesel-électrique de type Scorpène). DCNS emploie 2 400 personnes sur le site, auxquelles il faut ajouter 900 à 1 000 chez les sociétés sous-traitantes.

Après avoir revêtu une tenue adaptée, le groupe procède à une visite des ateliers, coque et structures, puis, sur le chantier Laubeuf, à celle des nefs de construction du programme Barracuda avec des aménagements pré-positionnés installés à l’intérieur des berceaux.

La délégation se rend ensuite à l’Hôtel de ville où elle est reçue, dans le « Salon de l’Impératrice » décoré des portraits en pied de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, par M. Jean-Michel Houlgate, maire de Cherbourg. Celui-ci, après un bref rappel de l’histoire de la ville depuis le XVIIe siècle, insiste sur la modernisation et le développement récent de la ville autour de quelques activités : la construction navale, les techniques d’ingénierie, l’industrie agro-alimentaire, les énergies marines. « Notre communauté prend en main son destin », conclut-il.

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