Voyages d'étude et visites

Le Havre

C&M 3 2005-2006

Du 09-06-2006 au 09-06-2006

Extrait du BM n°9 de juin 2006

Pour parachever la prise de conscience de ce qu’est le trafic conteneurisé intercontinental et la part qu’y prend l’Asie (et notamment la Chine, destination du voyage à l’étranger de l’année dernière) et pour prendre l’exacte mesure de la place (la troisième) qu’y occupe la CMA CGM dont la stratégie a été présentée en séance publique en janvier dernier (voir le Bulletin mensuel N° 4), une délégation de l’Académie de marine s’est- rendue au Havre le 9 juin pour une visite du porte-conteneurs Otello en opération au nouveau quai de Port 2000, tout récemment inauguré.
Accueillis à bord par M. Tristan Vieljeux, lui-même membre de la section Marine marchande, pêche et plaisance, les quelque vingt participants ont eu le privilège d’une « leçon de choses » administrée d’abord par la vision d’un navire impressionnant par ses dimensions : 334 mètres de long, 42 de large, 14 de tirant d’eau, 61 de tirant d’air, capable d’emporter 8488 EVP à une vitesse de 26 nœuds grâce à un appareil propulsif d’une puissance de 100 000 CV. Ils ont pu aussi assister en direct aux opérations de manutention par les portiques qui sont la propriété de la Compagnie, suivant un parti entraînant un investissement important mais qui lui assure la pleine maîtrise des escales dont la régularité et la brièveté (un jour) sont des éléments déterminants d’une exploitation rentable. Ces équipements avaient fait la preuve de leur efficacité la veille à l’occasion de l’escale du Medea qui emporte un peu moins de 10 000 boîtes et qui avait été « opéré » par les six portiques à raison de 100 conteneurs à l’heure.
Grâce aux explications de MM. Tristan Vieljeux et Espinosa ainsi que de leurs collaborateurs et à celles des commandants (le premier relevant le second à l’escale), il a été possible aux uns et aux autres d’avoir des lumières sur différents points caractéristiques des problèmes propres aux opérations des navires de ce type. M. Tristan Vieljeux, dont on sait quel est le rôle à la CMA CGM, a d’ailleurs fourni quelques éléments significatifs en montrant combien les contraintes techniques et financières doivent être intégrées quotidiennement dans la gestion de l’outil naval et aussi combien le métier d’armateur exige de réactivité. L’Otello est un des huit navires que la CMA CGM a commandés en Corée au bon moment dans de bonnes conditions ; on paie aujourd’hui de 120 à 130 millions de dollars une unité qu’on avait il y a quelques années pour 80 millions. Le navire est sous pavillon français sous immatriculation Kerguelen avant de passer bientôt sous le régime RIF. Les problèmes d’exploitation d’un porte-conteneurs de cette taille sont de trois ordres : il faut le remplir…ce qui est fait actuellement de façon satisfaisante ; il faut tout autant assurer la régularité de ces rotations en évitant à tout prix de rater les « fenêtres » disponibles dans les terminaux portuaires. C’est ce qui explique la commande de huit navires pour une rotation complète de 56 jours. On voit aussi l’effet dévastateur que peuvent avoir les grèves sur la bonne gestion de l’armateur et l’intérêt qu’il a de maîtriser les opérations portuaires, d’où le choix fait par la CMA CGM à Port 2000. Le troisième problème sur lequel s’est étendu M. Vieljeux n’est pas le moindre aujourd’hui : il est posé par le coût du combustible dont le prix à la tonne est passé de 60 à 300 dollars. Or la consommation de l’Otello est de 250 tonnes par jour, soit 10 tonnes par heure. De telles consommations se traduisent pour la Compagnie par 6 millions de tonnes l’an pour une dépense de 1,8 milliard de dollars. M. Jacques Saadé s’occupe personnellement de ce poste de dépenses. Il y faut une gestion attentive : achat à Rotterdam où on économise 10 dollars à la tonne par rapport à Singapour ; régulation de la vitesse pour économiser le combustible, ce qui implique fortement les commandants ; arbitrage au niveau des chargements avec une répartition judicieuse des conteneurs vides pour gagner sur le poids. On est au cœur du métier d’armateur, un métier que la CMA CGM n’a pas fini de développer sur de nouveaux secteurs du monde en saisissant les opportunités qu’offrent l’Inde, le Vietnam et le Brésil. C’est l’esprit et la logique de la mondialisation, c’est-à-dire du shipping.
Pour qui a suivi depuis son apparition le phénomène de la conteneurisation dans ses aspects techniques, industriels et financiers, l’impression est que le système est parvenu à son complet aboutissement sur tous les plans. On retiendra, pour s’en féliciter, qu’il n’a pas éliminé l’homme et son savoir-faire, ni à bord ni sur le quai, comme on avait pu le croire ou le craindre. Si la composition du chargement d’un navire comme l’Otello est bien faite par ordinateur depuis le siège de la Compagnie, son affinement requiert l’intervention humaine qui vient compléter, voire corriger, le logiciel. De même, chaque boîte est inspectée par un homme à son passage sur le quai, sans rupture de charge évidemment, à l’embarquement comme au débarquement.
Avant de quitter le bord, le président Jean-Louis Guibert a dit au nom de tous l’intérêt d’une telle visite et il a remercié Tristan Vieljeux pour la courtoisie de son accueil ainsi que tous ceux qui avaient contribué avec énormément de disponibilité à l’information des membres de l’Académie. Suivant une tradition, renouvelée pour l’occasion, il a remis la médaille de l’Académie de marine au navire lui-même où elle demeurera en témoignage du fait qu’il y a toujours a apprendre et à réfléchir à propos de la vie maritime.
La délégation a aussi bénéficié des attentions du Port autonome du Havre et, en dépit d’un désagrément d’horaire du à une défaillance de la SNCF, a pu se faire une idée des travaux et des projets d’un port qui doit lui aussi relever le défi international en un temps où, comme l’a démontré Me Quimbert dans sa conférence sur la gouvernance des ports (voir le Bulletin mensuel N° 5), les ports perdent leur pouvoir de domination et ne sont plus des acteurs dominants dans les chaînes de transport et doivent désormais agir comme des grandes entreprises et comme des multinationales.
Cette année académique 2005-2006 se sera donc conclue par un déplacement d’études particulièrement instructif dans le prolongement de plusieurs interventions au cours des séances publiques conformément à l’activité fondamentale de la Compagnie.

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