Voyages d'étude et visites

Visites en région parisienne

C&M 3 2004-2005

Du 31-05-2005 au 01-06-2005

Extrait du BM n°9 de juin 2005

Le voyage d’études que l’Académie de marine effectue en France était programmé cette année par le président Jean-Louis Guibert à…Paris dans un double souci : prendre la mesure de ce que représente la navigation fluviale dans l’économie des transports d’aujourd’hui et, sur un tout autre plan, s’informer sur le Service historique de la Défense dans lequel s’intègre le département Marine, nouvelle appellation du Service historique de la marine. C’est l’amiral Jean-Pierre Beauvois, secrétaire général et lui-même ancien directeur de ce service qui rend compte de l’après-midi passée à Vincennes.
Les trois autres demi-journées ont donc été dévolues au fleuve et à son histoire ainsi qu’au port de Paris. « Paris, port de mer » était déjà un slogan dans les années trente. C’est devenu une réalité du fait que le Port autonome de Paris (PAP), avec ses différents sites, est un prolongement des ports de Rouen et du Havre et que la navigation fluviale a une composante fluvio-maritime qui est loin d’être négligeable.

- Le transport fluvial aujourd’hui
Le lundi 31 mai au matin, le groupe, composé à parts égales de membres de l’Académie et d’invités permanents, s’est retrouvé à l’Institut océanographique, où il a été accueilli par le président Jean Chapon, pour entendre un exposé de M. Dalaise, président du PAP, sur cet établissement et la navigation fluviale en général, y compris le projet de liaison Seine-Nord. En introduction, M. Chapon a souligné la complémentarité de la voie d’eau et de la mer puisque les voies navigables constituent une desserte naturelle des ports maritimes au point qu’on peut voir dans le port de Paris un véritable port maritime intérieur. De son côté, Mme Marie Anne Bacot, directeur du PAP, a dit toute sa satisfaction du fait que le groupe pourrait voir le même jour ce qu’est le port de Gennevilliers.
L’idée de la synergie du fluvial et des ports maritimes a été reprise d’emblée par M. Dalaise car si la voie d’eau est en concurrence avec le rail, la route et l’oléoduc, elle est complémentaire du maritime. Au XIXe siècle, la France a eu une politique fluviale avec le réseau Freycinet (limitant la capacité d’emport à 350 tonnes). Aujourd’hui, on est devant un projet (Seine-Escaut) alors qu’on en a abandonné d’autres, ce qui fait un cruel contraste avec l’Europe du Nord et l’Europe centrale. La flotte fluviale moderne est composée d’automoteurs (jusqu’à 3000 t) et d’unités poussées dont la jonction peut permettre des transports de l’ordre de 5000 t. Sur le Rhin, on va jusqu’à 12000 en assemblant des barges. On voit tout de suite le problème que pose l’inadéquation des gabarits. Un autre, très grave, est l’absence d’interconnexion entre les voies françaises à gabarit suffisant et il est doublé par le manque d’interconnexion avec le réseau européen. De ce point de vue, un auditoire maritime ne peut manquer d’être frappé par le handicap des exploitants de matériel fluvial : l’absence de connexion fait que l’outil est captif du réseau où il est mis en service.
Quant aux navires fluvio-maritimes, ils visent aux économies en évitant les ruptures de charge mais les paramètres à prendre en compte (à commencer par la capacité limitée à 2000 t) sont nombreux et variables. Du coup, le développement de cette technique marque le pas en France : on en est à quelque 500 000 tonnes à Paris et à 600 000 tonnes sur le Rhône ; on fait mieux sur le Rhin grâce à un hinterland plus riche. Un autre paramètre est celui du tirant d’air et il concerne au premier chef le transport des conteneurs parce qu’il faut empiler trois couches pour atteindre la rentabilité. C’est ce qui explique que ce transport fluvial conteneurisé est limité à l’aval de Paris. On voit par là combien les infrastructures conditionnent l’économie d’un transport dont les avantages sont pourtant évidents.
Un autre aspect des propos de M. Dalaise doit être souligné et retenu. Pour connaître un renouveau, le transport fluvial a dû attendre qu’on passe (ce fut fait en 1980) de l’économie administrée à l’économie de marché et qu’on en finisse avec des tarifs fixés par l’administration, ce qui ôtait la liberté de choix aux chargeurs. Cette libération du marché et la création de VNF (Voies navigables de France), dont le premier président a été M. Jean Chapon, a débouché sur une remontée du trafic fluvial qui avait été durement touché par les chocs pétroliers. Il atteint aujourd’hui 7 milliards de tonnes/kilomètres et 60 millions de tonnes avec une croissance annuelle de plus de 6%. Des investissements sont notés. La nature des trafics a changé avec l’émergence des produits chimiques et manufacturés et l’affranchissement d’une dépendance accusée vis à vis des matériaux de construction. Tout le monde a entendu parler des transports par eau des éléments d’Ariane ou d’Airbus… Bref, la reprise est structurelle cependant que force est bien de constater, sans pour autant s’en réjouir, la baisse du transport ferroviaire du fret, en France comme en Europe.
L’ennui est que le réseau français est ce qu’il est, avec une conséquence dont M. Dalaise, qui est aussi le président des armateurs fluviaux, doit convenir : ils sont en quelque sorte des transporteurs régionaux dans un marché aux dimensions de l’Europe élargie. On sait ce qu’a représenté la faute (le mot est faible) de l’abandon du projet de liaison Rhin-Rhône dont le financement était assuré. Le projet Seine-Moselle est en sommeil. On étudie (mollement ?) le projet Moselle-Saône. Reste le Seine-Nord qui est prioritaire à l’échelle européenne, dont le tracé est arrêté et dont VNF est maître d’ouvrage et dont on escompte la déclaration d’utilité publique pour 2007. Sera-t-il réalisé en 2012/2014 ? Techniquement, la réalisation est possible en quatre ans.
Avec un argumentaire économiquement convaincant, la voie d’eau peut démontrer qu’elle est en phase avec son temps. Le prix de transport peut être séduisant si on sait répondre aux attentes des chargeurs (0,015 euro la t/km sur le grand gabarit) ; l’économie d’énergie est patente ; l’infrastructure n’est pas saturée ; la pénétration urbaine est un atout si on ne s’y oppose pas par des affectations des berges inconsidérées ; les problèmes de sécurité sont dominés. Le transport fluvial pourrait donc bien être le transport du XXIe siècle, affirme M. Dalaise. Encore faut-il qu’il obtienne le support politique qui lui a manqué en France et qu’il ne rencontre pas des oppositions incompréhensibles de certains défenseurs de l’environnement dont les motivations sont obscures. Au terme de son exposé, le président du PAP a exprimé publiquement la reconnaissance de la profession au président Chapon qui, tout au long de sa carrière, s’est d’une certaine façon singularisé par une vision saine et un soutien effectif des possibilités de la voie d’eau.
Plusieurs questions ont été posées à propos de la liaison Rhin-Main-Danube qui est maintenant pratiquement réalisée et dont les perspectives sont très positives même si son utilisation peut être perturbée par les désordres balkaniques et ce qui s’ensuit. Quant à la liaison Rhin-Rhône, on a pu faire le point sur le sinistre qu’a représenté sa mise au rancart pour des raisons purement politiques. D’un point de vue technique, on a dû constater l’impossibilité de transposer au transport maritime la technique du poussage si efficace sur la voie d’eau.
En remerciant vivement M. Dalaise, le président Guibert s’est dit convaincu que l’Académie devra revenir sur le sujet afin de mieux cerner encore le rôle et les possibilités du transport fluvial et fluvio-maritime dont le port de Paris est une illustration éloquente comme on allait le voir le jour même.

- Le port de Gennevilliers
L’après-midi, le groupe s’est donc rendu au port de Gennevilliers où il a été accueilli par M. Pierre Pelatan, directeur adjoint qui a proposé un exposé introductif avant une visite commentée des installations. C’est alors que les propos de M. Dalaise ont pris tout leur sens.
Gennevilliers est l’une des cinq agences du PAP dont il assure la moitié du chiffre d’affaires. Avec quelque quatre cents hectares, il occupe le tiers de la commune du même nom. Il est ouvert en continu et traite actuellement un trafic total (entrées et sorties cumulées) de vingt millions de tonnes en manipulant notamment 90 000 conteneurs (dont le nombre de mouvements aux entrées et aux sorties doit donc être multiplié par deux conformément aux statistiques portuaires). Dessiné en 1920 par Fulgence Bienvenüe, il comporte six darses desservies par trois chenaux, le tout formant une sorte d’espace clos qui n’engendre aucune nuisance grâce aux échangeurs autoroutiers tout proches. Considéré comme une porte ouverte sur Le Havre, le site est caractérisé par une desserte pentamodale : fluviale, fluvio-maritime, routière et ferroviaire à quoi s’ajoute le tuyau de l’oléoduc. L’accueil fait aux transporteurs routiers, outre qu’il est incontournable, n’exclut pas le pari d’en voir certains se tourner vers le fluvio-maritime. On y trouve quatre départs de barges par semaine et l’image du dynamisme et de la modernité est le trafic de conteneurs, géré par la société Paris Terminal, dont les visiteurs ont pu évaluer la réalité puisqu’ils avaient sous les yeux le parc de stockage où on pouvait voir les logos des plus grands armements internationaux cependant qu’une barge était en cours de chargement non loin d’un train prêt au départ.
M. Pelatan a répondu a de nombreuses questions et a été amené à préciser que le port ne s’est jamais vu imposer le recours à des dockers du type maritime (ce qui n’est pas étranger à son succès…), qu’on y poursuit un gros effort de respect de l’environnement (avec une sorte de « coulée verte » en cours de réalisation), que le dessin très réussi d’origine permet d’éviter pratiquement les dragages. Il a ajouté encore que la zone sous douane facilite au mieux les opérations et que la Région (tout comme la Ville de Paris) est présente au conseil d’administration et apporte une aide financière à l’occasion et aussi en ce qui concerne le plan d’aménagement. Enfin, la complémentarité dont il avait été question le matin est illustrés par le fait que le port de Rouen, absent au départ, a adhéré à Paris Terminal dont le traitement des conteneurs donne tout son prix au site en aval de Paris et donc affranchi des contraintes que connaissent les autres agences comme Limay ou Bonneuil.
Pour sa part, M. Jean Chapon a donné d’intéressantes précisions sur les ressemblances et les différences entre le PAP et les ports autonomes maritimes en soulignant que l’établissement est condamné à l’équilibre, pratiquement sans subventions. On retiendra surtout qu’il n’y a pas de droits de port à Paris et que les recettes sont essentiellement domaniales (terrains et locaux) et que s’y ajoutent celles venant de la mise à disposition de l’outillage.
La visite détaillée du site, dont dépendent 8 000 emplois liés aux activités qui s’y pratiquent et quelque 10 000 emplois indirects a laissé une impression réconfortante d’un ensemble complet qui fonctionne à l’instar d’un site portuaire dont Gennevilliers est une sorte de réduction avec les activités industrielles et logistiques qui conditionnent l’image des ports d’aujourd’hui, des plus petits aux plus grands.
Le Paris portuaire gagne à être mieux connu des parisiens et des franciliens car il contribue de façon décisive à leur prospérité et à leur qualité de vie.

- Le musée de la batellerie de Conflans-Sainte-Honorine
La matinée du 1er juin a été consacrée à une visite du musée de la batellerie et des voies navigables de Conflans Sainte Honorine qui fut pour la plupart des membres du groupe une découverte et leur a laissé une vive impression. L’enthousiasme et la conviction de son conservateur, M. Roblin, y furent pour beaucoup tant il a su, avec une érudition sans faille, faire apparaître la richesse technique et sociale d’une histoire qui se confond avec celle du pays dans ses différentes phases de développement économique et industriel.
Géré par la ville de Conflans et par VNF, le musée doit beaucoup à son créateur, François Bodin, qui est connu pour son action en faveur du patrimoine maritime et fluvial. M. Roblin a pris le relais et a présenté le musée tel qu’il va être puisque la visite des l’Académie de marine se situait à quelques jours de l’ouverture de nouveaux aménagements. Bénéficiant de l’apport de l’ancien musée des travaux publics, celui de Conflans qui est classé d’intérêt public national regorge de documents, de maquettes et d’objets qui font de son parcours une incursion dans un monde dont la variété vaut bien celle de la mer. Son objet est de témoigner pour toute la navigation fluviale du pays cependant que son installation à Conflans (dont la toponymie est particulièrement parlante puisqu’elle marque la rencontre de la Seine et de l’Oise) bénéficie d’un site et d’un bâtiment exceptionnel. Depuis la seconde moitié du XXe siècle qui vit l’émergence de nouvelles techniques de traction sur les voies d’eau liées à l’industrialisation, Conflans est la capitale de la batellerie parce que ce fut le lieu de concentration des bateaux, des hommes, des activités et des institutions sociales propres à ce secteur économique trop méconnu qui, depuis bien longtemps, associe des artisans indépendants et des sociétés dynamiques et inventives. Le musée est d’ailleurs doublé d’une exposition permanente d’unités représentatives à contempler depuis les berges du fleuve qui ont gardé plus que les traces d’un charme auquel les peintres les plus séduisants ont su donner comme une garantie d’éternité.
Il faut espérer que les moyens de cet attachant établissement permettront, en renouvelant les présentations grâce aux réserves accumulées, de proposer aux amateurs et aux curieux l’occasion d’un regard sur une activité qui garde les traits spécifiques d’un vieux métier toujours capable de se renouveler au gré des changements du monde.

- Visite de l’Académie au Service Historique de la Défense.
Le « Voyage à Paris » de l’Académie de marine s’est achevé le mercredi 1er juin après-midi par une visite au nouveau Service Historique de la Défense où elle a été reçue par le vice-amiral d’escadre de Contenson, nommé à la tête du Service le 28 février 2005. Le décret de création du SHD est en date du 17 janvier 2005.
Outre un souci d’économie tant de moyens que de personnels, l’objectif de la réorganisation des Services Historiques est d’harmoniser les méthodes de travail des différents services, de les préparer à affronter en commun les défis informatiques auxquels sont confrontées les archives de la Défense et de mettre en place une politique dynamique de communication.
Le SHD regroupe sous une seule autorité les quatre Services Historiques d’Armées, celui de la DGA, et les centres d’Archives des personnels. Géographiquement, il est concentré principalement sur les sites de Vincennes et Châtellerault, quelques centres secondaires demeurant en région parisienne, en province, et dans les ports pour la marine.
Pour mener à bien la mission qui lui a été confiée l’amiral a défini les cinq « métiers » de son service :
- Gestion des archives, historiques et contemporaines. Ce métier est entre les mains des spécialistes que sont les Conservateurs du patrimoine, actuellement au nombre de 18 pour l’ensemble du Service, nombre que l’amiral espère pouvoir porter à 23.
- Gestion des bibliothèques et de la documentation. Riche de plus d’un million de volumes les fonds de la Défense se placent au deuxième rang des bibliothèques nationales. Il sera à terme nécessaire de traiter le problème de la documentation en liaison avec le grand centre de documentation en projet à l’Ecole militaire.
- Recherche et enseignement de l’histoire militaire tant au sein des armées que dans les milieux universitaire. A cet égard, une réflexion est entreprise sur le bien fondé du maintien du CEHD (Centre d’Etudes Historique de la Défense) établi dans l’enceinte du château de Vincennes.
- Tradition. Les armées sont viscéralement attachées aux traditions et possèdent un très riche patrimoine ayant trait à la symbolique militaire.
- Valorisation. Ce terme regroupe tout ce qui a trait à l’accueil du public, à la sauvegarde des collections et à leur enrichissement, aux publications (en particulier la Revue Historique de la Défense), aux colloques et expositions, ainsi qu’à un site Internet.
Assisté par un Conservateur général du Patrimoine (Mme Oudin), l’amiral dispose d’un important Service général, administratif et financier (qui gère un budget de 17 M€ pour les RCS et de l’ordre de 3 M€ pour le fonctionnement), de cinq Départements : Terre, Air, Marine, Gendarmerie, Armement, issus des anciens Services Historiques, et de trois nouveaux Départements : Ministériel et Interarmées, Innovation et Technologies nouvelles, Public et Valorisation. Cette organisation repose sur 500 personnels (350 civils et 150 militaires).
Dans son exposé, l’amiral souligne combien est immense la tâche qui lui est confiée, tant sont fortes les résistances à modifier des comportements et des organisations propres à chaque armée, et tant les armées ont négligé, au fil des ans, les besoins exprimés (ou non) par leurs Services Historiques. A cet égard, il s’est néanmoins plu à souligner que la marine avait été la plus « vertueuse ». Le tableau ainsi dressé est pour le moins très sombre et a laissé les assistants perplexes.
Plus réconfortante, la visite qui a suivi au pavillon de la Reine, siège du département marine, a permis aux participants de découvrir un certain nombre de trésors conservés dans ce département et, en particulier, des documents de notre Compagnie dont les archives sont conservées à Vincennes, (la bibliothèque historique de l’Académie étant quant à elle conservée à Brest). Ils ont pu également apprécier l’enthousiasme des jeunes conservateurs qui les ont guidé dans leur visite, et constaté, en cheminant à travers les locaux que le sombre tableau qui leur avait été présenté comporte néanmoins quelques exceptions !
La visite s’est achevée autour d’un rafraîchissement offert par l’amiral qui s’est attaché à répondre aux questions que les participants lui ont posées.

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