Éloge

Séance du 1er juin 2016

Éloge du CV La Prairie

Cet éloge est prononcé par l’Ingénieur général de l’Armement (2s) Yves Desnoës, successeur d’Yves La Prairie dans la section Navigation et océanologie. Yves La Prairie, annonce-t-il d’emblée est un personnage passionnant, écrivain après avoir été marin, puis atomiste, puis océanologue, mais toujours fidèle à lui-même, à ses engagements et à ses amitiés, malgré la diversité des domaines dans lesquels il a agi.

Né en 1923 dans une famille de serviteurs de l’Etat (en particulier un père officier de cavalerie), il en reçoit droiture et sens du devoir avec une bonne dose de patriotisme. Ses vacances en Bretagne forgent sa vocation de marin, et il choisit la Marine nationale. En 1938 la famille s’installe à Brest après la retraite du père et Yves entre en préparation à l’Ecole navale. Tout se passe bien jusqu’au désastre de 1940 qui interrompt le concours ; malgré son jeune âge Yves La Prairie tente de gagner l’Angleterre. Il n’y parvient pas et reprend la préparation, puis, en 1942, après le succès au concours, il suit la scolarité de l’Ecole, transférée à Toulon. Tout s’effondre avec le sabordage de la flotte auquel il assiste avec tristesse et qui lui donne la détermination de poursuivre le combat. Il entre alors dans un réseau de résistance et l’Ecole navale le fait inscrire à Sciences-Po Paris ; il profite de ses déplacements pour transporter des courriers et des messages à destination des organes parisiens de son réseau, avec les dangers que l’on sait et frôlés de très près.

Son objectif reste de se battre pour contribuer à la libération de la France et pour cela il veut rejoindre l’Ecole navale de la France libre. Il finit par trouver une filière de passage à travers les Pyrénées et gagne l’Espagne dans des conditions éprouvantes, puis Casablanca après d’autres aventures. Embarqué sur La Découverte le 11 novembre 1944, date symbolique, il fait des escortes de cargos et participe à la réduction de la poche de Royan, puis il effectue huit embarquements, dont deux commandements, pour des destinations lointaines, en particulier l’Indochine puis le Japon. Affecté à Brest puis Cherbourg il retourne à Dakar, cette fois à terre. Dans les anecdotes de ses embarquements on note un dragage de mines effectué avec un équipage allemand avec lequel il est tout étonné de se sentir en sympathie malgré les années d’hostilité. En juillet 1947 il épouse Chantal Roucher, dont il aura six enfants.

En 1958, peut-être par volonté de renouveler ses connaissances professionnelles ou bien pour être plus disponible pour sa famille, il demande et obtient un poste au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) alors en plein développement. Après une initiation à la physique nucléaire, il est adjoint au directeur de la physique et des piles atomiques. En outre il attire au CEA l’amiral Rosset, oncle éloigné du côté de sa mère (et futur président de l’Académie), récemment retiré du service ; celui-ci est chargé de coordonner les relations entre les atomistes et les marins pour le développement des réacteurs destinés aux sous-marins, fonction dont il s’acquitte avec plein succès. A la fin de 1962 l’administrateur général du CEA le désigne pour le cabinet du ministre de la recherche de l’époque, Gaston Palewski, avec le titre de « conseiller pour les affaires atomiques », fonction dans laquelle il rencontre de nombreuses hautes personnalités, dont le général de Gaulle, André Malraux et bien d’autres, relations qui lui seront utiles lorsqu’il cherchera les ressources nécessaires aux projets ambitieux de l’océanologie française.

En 1965, il retourne au CEA sur sa demande, mais Alain Peyrefitte, alors ministre de la Recherche, qui ne l’a pas oublié, lui commande un rapport sur la situation de l’océanographie française pour répondre aux ambitions océaniques du général de Gaulle. Yves La Prairie s’acquitte de cette mission avec enthousiasme et préconise la création d’un établissement public ; ses conclusions sont retenues et aboutissent en 1967 à la création du Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO), dont il reçoit la direction générale. Par son activité débordante durant les onze années de son mandat il donne une impulsion durable à la recherche océanographique française et à ses activités associées, démontrant l’existence de la tectonique des plaques, faisant progresser la connaissance des dorsales, mettant en évidence la présence des sulfures polymétalliques.

Retiré en 1978, il se consacre à la littérature et à la poésie, publiant des « Chroniques océanes » dans le Télégramme de Brest, écrivant au moins dix-sept ouvrages, parmi lesquels cinq volumes de poésie, sans doute son genre préféré, et un roman. Sa notoriété le fait entrer dans plusieurs académies, parmi lesquelles notre compagnie, dont il assure la présidence en 1983 et 1984 ; il est par ailleurs membre de l’Académie des sciences d’outre-mer et de plusieurs associations parmi lesquelles les écrivains de marine et les amis de Pierre Loti.

C’est une vie de conviction et d’action dédiée à l’accomplissement de grandes missions, celle aussi d’un homme dévoué à sa famille, à ses amis et à ses collaborateurs, avec un sens moral irréprochable et une vive imagination.

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