Conférences

Un regard « marin » sur la récente prospective océan-atmosphère coordonnée par le CNRS-INSU

Bruno Blanke
Météorologue et directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences de l’Univers pour le domaine Océan-Atmosphère

Le 29-11-2017

Notre confrère Bruno Voituriez, président de la section Navigation et océanologie, présente M. Bruno Blanke, météorologue et directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences de l’Univers pour le domaine Océan-Atmosphère.

Depuis le début de l’année 2016, annonce M. Blanke, la communauté nationale océan-glace-atmosphère-climat s’est mobilisée pour définir les orientations qu’elle souhaitait donner à ses thèmes de recherche pour la prochaine décennie. Chercheurs, ingénieurs et techniciens du CNES, du CNRS, de l’Ifremer, de l’Institut de Recherche pour le Développement, de Météo-France, du Muséum National d’Histoire Naturelle, de grandes écoles scientifiques et d’universités (pour ne citer que les organismes les plus visibles par leur implication dans les unités mixtes « marines » du CNRS-INSU) ont répondu présent à l’appel de la Commission spécialisée Océan-Atmosphère (CSOA) pour cet exercice.

La réflexion s’est organisée autour d’ateliers pilotés par la CSOA et d’une consultation élargie portée par un forum participatif mettant en exergue certains thèmes choisis. Le colloque de synthèse, qui s’est tenu à Toulouse du 15 au 17 novembre 2016, a rassemblé la communauté, a dressé un bilan de l’activité scientifique des quatre années écoulées et a permis de discuter puis d’établir les lignes de force du nouveau document de prospective du domaine.

La densité et la qualité du travail réalisé dotent aujourd’hui la communauté de nouveaux repères fiables pour mettre sur pied les projets scientifiques qui lui tiennent à cœur, dont l’analyse circonstanciée des forces et faiblesses auxquelles cette science est confrontée. C’est un sérieux atout pour guider la prospection, puis la mise en place du soutien et des financements indispensables à son succès.

La stratégie nationale des infrastructures de recherche, pilotée par le ministère de la Recherche et mise en œuvre par différents organismes, offre un cadre cohérent pour l’inscription dans la durée de nombreux défis scientifiques qui concernent aussi bien l’observation, l’expérimentation et la modélisation. La communauté Océan est particulièrement concernée par la construction sur le plan national et européen de telles infrastructures. Qu’elles soient dédiées aux instruments et technologies, aux observations, à la modélisation ou encore au stockage et au partage de données, ces infrastructures de recherche occupent désormais une place centrale dans le paysage de la recherche.

La direction adjointe scientifique Océan Atmosphère de l’Institut National des Sciences de l’Univers et ses équivalents dans les organismes partenaires vont s’appuyer sur ce document de prospective pour promouvoir et organiser leur stratégie scientifique pour le domaine « océan ». Il conviendra de veiller à gérer les ressources disponibles pour la communauté au mieux des intérêts communs. Ce sont les relations de confiance établies avec les directeurs des fédérations de recherche, observatoires des sciences de l’univers et unités mixtes de recherche ou de service qui permettront d’accompagner les avancées scientifiques du domaine et trouver les solutions les plus pertinentes aux difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre des activités de recherche de leur personnel.

L’exercice de prospective

Un tel exercice est réalisé en moyenne tous les cinq ans. Il implique tous les scientifiques qui étudient en France la physique océanique et la bio-géochimie, mais aussi l’atmosphère, la glace et le climat, quel que soit leur organisme de financement. Dans la liste des partenaires étroitement associés à l’exercice figurent l’Ifremer, l’IRD, Météo-France, le SHOM et de nombreuses universités, tous partenaires incontournables de l’INSU dans le domaine des études océanographiques. Il faut bien noter qu’il s’agit d’un travail collectif, seulement coordonné par le CNRS-INSU.

Cet exercice a deux objectifs principaux. Premièrement la définition d’axes de recherche forts et structurants, qui doivent être renforcés ou qui devraient émerger au cours des dix prochaines années. Ensuite, l’identification des forces et des faiblesses de la communauté, des points de blocage possibles, afin de fournir des recommandations aux organismes de recherche pour que des progrès valables puissent être réalisés le long des axes de recherche attendus.

Les groupes de travail ont été mis sur pied dès le début de 2016 pour faire le point sur l’existant et une large consultation a été lancée, notamment par le biais d’un forum électronique. Une fois les résultats analysés, les propositions scientifiques ont été rédigées et l’ensemble a été discuté à l’occasion d’un rassemblement national, lors d’un symposium de trois jours qui s’est tenu en novembre 2016 à Toulouse. Depuis lors, le document écrit final a été rédigé et a été rendu disponible fin octobre 2017. La science était au cœur des débats, mais la formation, les stratégies de financement, les interactions avec les citoyens, les médias et les décideurs ont également été abordées.

Sur les aspects scientifiques, le programme de recherche proposé pour les prochaines années est particulièrement riche pour l’océan. La communauté nationale doit d’abord consolider ses connaissances sur des questions fondamentales pour les sciences océaniques. Cela se traduit par la compréhension des processus à l’œuvre, avec une approche spécifique de la variabilité spatiale et temporelle des phénomènes. Ensuite, la recherche océanographique appartient par nature aux sciences de l’environnement. Ainsi les nouveaux développements scientifiques doivent contribuer à une vision intégrée du système terrestre. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre l’accent sur les cycles (eau, carbone, énergie) et les interfaces. L’atmosphère, la cryosphère, la zone critique côtière définissent les frontières essentielles de l’océan, mais il ne faut pas oublier la terre solide (avec l’hydrothermalisme) ni les frontières avec les organismes vivants. Enfin la science doit être d’un grand intérêt pour la société. C’est pourquoi les défis sociétaux doivent être abordés avec soin.

Une description exhaustive des axes de recherche proposés par l’exercice de prospective serait ennuyeuse et fastidieuse, aussi M. Blanke a-t-il voulu simplement passer en revue devant l’Académie une sélection de thèmes forts.

Les processus à l’œuvre dans l’océan

Tout d’abord, celui des chemins de l’énergie dans l’océan, de la grande échelle à la petite échelle. En effet, la connaissance des processus physiques à l’œuvre, qui sont généralement actifs dans des couches complexes (couche mélangée de surface, couche limitée latérale) n’est pas encore parfaite. La turbulence à méso-échelle et à sous-méso-échelle n’est pas encore observée de façon systématique et il est encore difficile de la représenter pleinement dans les modèles. Pourtant, ces tourbillons, fronts et filaments sont omniprésents dans l’océan. Il faut comprendre les mécanismes et les instabilités qui les créent et comment ils affectent les grandes échelles en retour par des échanges d’énergie, tant sur l’horizontale que sur la verticale (avec des flux de fine échelle).

Une autre question cruciale, qui découle en partie de la précédente, est celle des interactions et du couplage des échelles. Par exemple, la rétroaction des systèmes d’upwelling des bords sur la variabilité climatique est méconnue. Les effets sont encore mal documentés car les modèles climatiques ne prennent pas en compte avec précision ces processus régionaux. Il en va de même pour le couplage de la dynamique côtière avec l’océan hauturier. Un autre problème est le forçage des marées dans les études océanographiques régionales ou globales. Ce forçage doit être appliqué explicitement ou paramétré. Ce travail soulève de nombreuses questions scientifiques, en particulier la dissipation des ondes internes et l’introduction de leurs paramètres dans les modèles.

Enfin, l’abondance des processus non linéaires, intermittents, multi-échelles et turbulents exige de nouveaux développements théoriques ainsi que de nouvelles approches de modélisation et d’analyse, telles que les simulations d’ensemble.

La dynamique des océans à grande échelle montre une grande variabilité interannuelle à décennale. Cette variabilité à basse fréquence peut correspondre à des modes internes de variabilité ou à une variabilité forcée. Elle est encore mal comprise pour diverses raisons, liées tant au manque d’observations qu’aux difficultés des modèles à la représenter.

Par conséquent, il faut continuer d’étudier comment l’océan peut redistribuer les effets du changement climatique. C’est particulièrement vrai pour le captage du CO² pour l’océan et pour les rééquilibrages énergétiques à grande échelle.

Les études paléoclimatiques, et en particulier leurs tentatives de reconstructions, définissent ici des pistes utiles pour améliorer la compréhension de ces processus.

La pompe biologique du carbone est un autre thème important. Il convient d’étudier tous les processus biogéochimiques qui contribuent au transfert du dioxyde de carbone atmosphérique de l’océan de surface vers les grands fonds et les sédiments.

Les questions scientifiques sur la pompe biologique du carbone fédèrent la communauté internationale autour de projets intégrés. La France devra être présente dans cet effort en pilotant des projets d’envergure qui combinent de nouveaux moyens de recherche et de modélisation.

Défis sociétaux

Parmi les principaux défis sociétaux identifiés au cours de l’exercice de prospective, le premier est évidemment lié à la variabilité du climat et au changement climatique, en étroite relation avec les études du Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat. La science qui se développera au cours des prochaines années doit tenir compte de l’amélioration des projections climatiques ; l’océan est ici un élément clé du système. La science sera également jugée sur la compréhension et la prédiction des signatures régionales. Les événements extrêmes et les variations rapides sont donc à étudier.

Un autre défi est lié à l’océanographie opérationnelle. En Europe, la France est en première position dans ce domaine, principalement avec Mercator océan. Les ressources marines, la sécurité maritime, l’environnement en haute mer et dans le milieu côtier sont des secteurs qui bénéficieront d’une meilleure connaissance et d’une meilleure modélisation de la couche mélangée de surface. A cet égard, l’amélioration des flux air-mer et le couplage océan-vagues-atmosphère à l’échelle régionale sont des pistes d’investigation à privilégier.

Le troisième défi concerne les écosystèmes marins. Les échelles fines des tourbillons et des filaments constituent un défi particulier pour la préservation des écosystèmes, notamment pour la création d’aires marines protégées. Quelle est la couverture optimale d’une zone protégée, si elle doit tenir compte de la variabilité temporelle et spatiale d’un front océanique ? Les aires marines protégées doivent inclure la variabilité connue dans les conditions climatiques actuelles, mais aussi les modifications attendues dans les années à venir.

Conclusion

Cet aperçu de la contribution des océans à l’exercice de prospective océan-atmosphère coordonné par le CNRS-INSU illustre largement la possibilité de riches interactions entre les scientifiques de diverses disciplines. L’accent est mis ici sur la physique des océans et la bio-géochimie, ainsi que sur les études climatiques pour lesquelles l’océan est un élément clé. Il convient de rappeler que ce ne sont que quelques aspects des sciences océaniques, parmi d’autres qui ne sont pas abordés par la communauté INSU.

Débat

Q. B. Voituriez : Avez-vous des partenaires en Europe ? R. Ils ne sont pas associés.
Q. A. Coldefy : La place de la recherche française dans la science océanographique mondiale est-elle reconnue ? R. Oui. Se produit-il une « fuite des cerveaux » ? Manque-t-on de postes statutaires ? R. Oui.
Q. J.-M. Schindler : Un chercheur à l’étranger peut-il revenir ?
Q. G. Bessero : Quelle est l’articulation de la recherche française avec les programmes mondiaux ? R. Des chercheurs français y sont impliqués.
Q. Y. Desnoës. La circulation dans les fonds marins n’est pas assez étudiée.

C&M 1 2017-2018

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