Conférences

La construction des paquebots géants (à Saint-Nazaire)

Stéphane Cordier
Vice-président Développement navires et performances de STX France

Le 19-04-2017

J. Pépin-Lehalleur, président de la section Sciences et techniques, présente M. Stéphane Cordier, vice-président Développement navires et performances de STX France. M. Cordier a effectué un long séjour aux Etats-Unis au cours duquel il a obtenu un diplôme du Webb Institute of Naval Architecture et un doctorat en science de la mécanique des fluides à l’Université George Washington ; il a travaillé dans un bureau d’étude de New York à la conception de navires militaires, puis il est rentré en France ou il a participé aux recherches poursuivies dans le nouveau bassin d’essais des carènes de Val-de-Reuil sur la propulsion, la manœuvrabilité et la tenue à la mer des navires. Il a rejoint les Chantiers de Saint-Nazaire en 2005 pour prendre en charge le secteur performances navires et il est maintenant responsable de l’ensemble des projets militaires et civils ainsi que de la Recherche et Développement Navire.


Les Chantiers de Saint-Nazaire ont une longue tradition d’innovation dans la réalisation de paquebots prestigieux. Après l’Impératrice Eugénie lancé en 1864, on peut citer le Normandie en 1932, le France en 1962, le RLC Millenium premier paquebot intégrant une turbine à gaz avec cogénération et des Pods en 2000, le MSC Fantasia, premier navire à passagers au monde à obtenir la notation Six golden pearls pour le respect de l’environnement en 2008, et récemment l’Harmony of the Seas, plus grand navire de croisière jamais construit.

Le marché de la croisière. L’industrie de la croisière repose sur une offre de forte rentabilité. Malgré des économies stagnantes le marché des Etats-Unis et ceux de l’Europe continuent à croître et le « produit » croisière semble correspondre à la demande chinoise sans adaptation majeure par comparaison avec celle des Occidentaux pour la restauration, les attractions et les jeux. La baisse du prix du carburant, celles du taux de change euro/dollar et des taux d’intérêt, poussent les armateurs à investir dans les navires (et dans les ports). Les nouveaux investissements de quelques acteurs poussent les autres à investir pour maintenir leur part de marché dans un contexte de capacité limitée. Et aussi, contrairement à l’immobilier, les navires sont redéployables et peuvent s’adapter à des conditions géopolitiques adverses dans certaines régions. Mais cette situation peut se retourner à la suite d’un accident tel un naufrage ou une attaque terroriste, ou encore une crise économique mondiale, une crise diplomatique aiguë (par exemple entre Chine-Japon-Corée), une crise sanitaire d’ampleur (Zika), une campagne de presse négative…

Il y a actuellement plus de capacité en commande de navires que jamais auparavant avec 66 livraisons attendues entre 2016 et 2020, et 19 pré-réservations pour 2021 à 2026. Fincantieri est le premier constructeur avec 32 % du marché, STX France 16 %, Meyer Werft 14 %, Meyer Turku 11 %. Pour STX les commandes viennent de la Royal Caribbean International (17 navires et 8 en commande) et de MSC Crociere (16 navires et 8 en commande). Le succès repose largement sur la possibilité d’évolution en taille avec un volume augmentant d’un facteur deux tous les dix ans et sur la capacité d’innovation, comme l’adoption du diesel électrique, des balcons, des turbines à gaz, des pods

M. Cordier poursuit avec quelques données sur la conception des navires de croisière. Ceux-ci comptent 6 ponts-cabines de 250 mètres de longueur moyenne avec 3 m pour un module cabine (1 060 cabines) ; 25 % des cabines ne disposent pas de balcons et 10 % comportent des suites ; 50 % du volume construit est dédié aux passagers ; on compte 1,5 pont pour la machine, 2,5 ponts pour l’équipage et les fonctions hôtelières, 2 ponts de locaux publics, 1,5 pont public supérieur et extérieur. La tendance est à l’augmentation du nombre de cabines (2 234 soit + 110 %), avec un module ramené à 2,66 m au lieu de 3 m, des ponts passagers plus longs (300 m au lieu de 250) et plus nombreux (8 au lieu de 6).

Puis il donne deux exemples. Le Freedom of the Seas, lancé en 2006 pour la Royal Caribean, a 339 m de long, 38,6 m de large, 154 400 tonnes, 18 ponts et peut embarquer 3 780 personnes ; la « rue » intérieure a 9 m de large, 11 m de hauteur, 130 m de longueur. Le MSC Meraviglia, lancé en mai 2017, a 315 m de long, 43 m de large, 155 000 tonnes, 19 ponts et peut embarquer 4 580 personnes ; il a une « rue » de 75 m sur 8 m et 8 m de hauteur.

Les limites de la construction de ces paquebots géants sont imposées par les cales de construction, au plus 400 m, et par les dimensions du nouveau canal de Panama, soit 366 m de longueur, 49 m de largeur et 15,2 m de tirant d’eau. Il faut pouvoir passer sous le pont des Amériques à Panama, à 61 m, et sous le pont Verrazano, à New-York, à 69 m.

Un autre défi est de parvenir à maintenir l’attractivité du bord. On construit des théâtres, des bowlings, des music-halls, des espaces de détente sur les ponts extérieurs avec non seulement des piscines mais aussi des jeux aquatiques, des bars (sur le RCCL Harmony of the seas, le bar disposé au centre de la « rue » peut parcourir plusieurs étages), des éléments d’originalité (comme le signal mobile de l’étoile polaire sur le RCCL Quantum of the seas).

La sécurité est une préoccupation constante. Elle doit répondre aux prescriptions de la convention SOLAS de l’Organisation maritime internationale.

Ces prescriptions concernent principalement le maintien de la stabilité et l’extension de l’incendie, et elles définissent deux situations : soit le navire peut rentrer au port, soit il doit être abandonné. Dans la première situation, provoquée par l’inondation d’un compartiment ou par un incendie dans une seule zone classée A, une zone de sécurité reste disponible (les armateurs prévoient de plus en plus souvent un couchage et une restauration d’urgence) et les systèmes essentiels fonctionnent ; dans la seconde situation, définie par l’inondation de plusieurs compartiments et l’incendie de plusieurs zones classées A, le navire est abandonné. En général le navire reste la solution la plus sûre en cas d’incendie et tout doit être fait pour maintenir les personnes à bord.

Pour l’approche de la mesure de la stabilité après avarie, un très grand nombre d’avaries sont simulées et pour au moins trois cas de chargement l’équilibre du navire est calculé et comparé aux critères de stabilité réglementaires. La somme des notes obtenues donne le niveau de risque du navire et celui-ci est comparé au risque acceptable réglementairement. Pour les grands navires cet indice est supérieur à 90 % et, après le naufrage du Concordia, l’indice augmentera pour les navires construits après 2021.

Les développements technologiques sont nombreux sur ces navires de croisière. Ils portent d’abord sur les économies d’énergie obtenues par une amélioration du profil hydraulique et aérien des carènes ; par l’utilisation de nouvelles machines thermiques avec les turbines à gaz succédant au diesel, en attendant la pile à combustible ; par l’utilisation de nouvelles sources d’énergie comme le GNL et bientôt le méthanol, l’hydrogène, le nucléaire, le solaire et l’éolien ; par l’adoption de systèmes avancés de récupération d’énergie. Ils concernent aussi la sécurité, avec l’adoption de drome de sauvetage alternative, l’extension de la géolocalisation, la précision accrue des calculs de flux et d’évacuation. Les techniques digitales sont généralisées pour les réseaux de téléphone, d’internet, de télévision, ainsi que pour la télémaintenance et la conduite des diagnostics. Il faut encore signaler les nouvelles techniques de construction avec l’adoption de la robotisation, des matériaux non ferreux, l’intégration de grandes verrières et autres structures transparentes.

La construction de ces grands navires de croisière nécessite une forte expertise de chantier. STX dispose de l’un parmi les plus grands centres d’études en France ; celui-ci a un millier de personnes capables de fournir 1 500 000 heures de travail par an. La seule élaboration des cabines demande 50 000 heures d’études (soit 2 cabines par heure) et l’intervention de 130 fournisseurs. La construction, qui se poursuit durant approximativement une année, demande tout autant d’expertise ; il faut assembler 300 000 pièces avec 700 panneaux et 50 blocs. Il faut encore intégrer et coordonner 500 fournisseurs et sous-traitants poursuivant 100 000 tâches ; il y a parfois jusqu’à 1 800 personnes à bord.

Conclusions. – La croissance du marché de la croisière porte une forte vague d’investissements ; quelle sera la durée de ce mouvement ? L’innovation et la qualité de la prestation (coût, délais, attractivité) resteront la clef du succès. L’accroissement de la taille maximale des navires restera limité par les dimensions des moyens de production et les infrastructures portuaires. L’accroissement de la taille moyenne des paquebots continuera à cause des économies d’échelle considérables qu’elle offre en rentabilité. La sécurité des navires continuera à se renforcer car c’est le cœur de l’activité. La réduction de l’impact sur l’environnement est une nécessité pour éviter le rejet de l’activité de croisière. L’augmentation du nombre de ports de destination et de leurs infrastructures est une clef de la croissance du marché de la croisière et une opportunité pour les acteurs économiques régionaux.

Discussion

J.-M. Schindler. Quels sont les investissements des armateurs pour la sécurité après le naufrage du Concordia ? Voit-on des différences selon les pays ? R./ Le naufrage du Concordia est dû à une erreur de navigation. Le principal danger demeure l’incendie. Aucun pays n’est capable de faire une évacuation en pleine mer.

J.-P. Nerrière. Des bâtiments de cette taille peuvent-ils être remorqués ? R./ Non.

F. Baudu. La propulsion par le GNL demande moins d’énergie mais un volume beaucoup plus important que le fuel. R./ Oui. Mais il est stocké dans les fonds, ce qui augmente peu le prix de la construction. Toutefois il diminue l’emplacement utilisé par l’équipage, donc la disponibilité pour les cabines des passagers.

B. Galimard-Flavigny. Quel est le coût d’un paquebot ? et Venise ? R./ L’investissement pour l’Harmony of the seas est d’un milliard de dollars. La rentabilité est de l’ordre de 5 et un paquebot dure 30 ans. Pour Venise, il convient de mettre en place avec l’autorité municipale une organisation permettant d’éviter l’entrée des paquebots dans le Grand Canal.

J. Pépin-Lehalleur. Quelle est l’importance de la concurrence chinoise pour la construction et pour le transport des passagers ? R./ La concurrence chinoise existe bien pour la construction. Pour les passagers l’offre est de bas de gamme et porte quasi uniquement sur la mer de Chine. Les sociétés de tourisme sont des entreprises d’état.

C&M 3 2016-2017

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