Conférences

La situation des ressources halieutiques : connaissances et incertitudes

Alain Laurec
Membre de la section Navigation et océanologie

Le 25-01-2017

La communication de ce jour est présentée par notre confrère Alain Laurec, membre de la section Navigation et océanologie, directeur de recherche à l’Ifremer.

Il n’est pas possible, assure M. Laurec, de comprendre l’impact de la pêche sur les ressources halieutiques et les écosystèmes marins sans apprécier les différences entre milieux marins et terrestres. Le cycle biologique de la très grande majorité des espèces marines d’intérêt commercial comporte des œufs et des larves planctoniques, les œufs étant pondus en très grand nombre. Les larves traversent de multiples métamorphoses, chaque stade ayant ses propres exigences, notamment alimentaires. Après une première étape où les plus petites larves peuvent se nourrir d’algues unicellulaires (phytoplancton), les stades ultérieurs requièrent des proies de taille croissante, provenant d’espèces ou de stades différents du zooplancton. Ce n’est qu’après une métamorphose finale, associée le cas échéant à un passage de la vie planctonique à la vie sur ou à proximité du fond, que les juvéniles sont de morphologie similaire à celle des adultes. Les cycles couvrent en outre des milieux différents, les nourriceries qui hébergent les plus petits juvéniles étant distinctes des frayères où se sont concentrés les géniteurs, le transport des œufs et larves par les courants de surface et de sub surface faisant le lien.

Les stocks sont en général associés à une saison de reproduction, d’où sont issues des cohortes d’individus nés la même année. Dans les années 50 une approche s’est développée qui place dans le cycle vital un seuil, dit de recrutement, au-delà duquel les animaux ont une taille suffisante pour être accessibles à la pêche commerciale, l’effectif d’une cohorte à ce stade étant aussi nommé recrutement. En amont du recrutement l’étude est particulièrement délicate. Au-delà il est moins difficile de suivre la croissance, la survie et la reproduction des individus. L’influence de l’abondance des géniteurs au moment de la ponte sur les niveaux de recrutement ultérieurs s’est en outre révélée paradoxalement faible, du moins lorsque la réduction d’abondance par rapport à un stock vierge est modérée. Les fluctuations du milieu (température, salinité, abondance des proies et prédateurs) où baignent les œufs, larves et les plus petits juvéniles prédominent alors largement. La pertinence du découplage entre devenir des recrues et variations des recrutements a été confirmée dans les décennies qui ont suivi.

Les tentatives pour analyser le détail des relations prédateur-proie, et/ou l’impact de l’environnement sur l’abondance du recrutement n’ont eu que peu de retombées opérationnelles à ce jour. Il faut se défier des affirmations de ceux qui, au travers d’une approche dite écosystémique, prétendent expliquer par exemple les variations d’abondance des méduses. Cette approche dite écosystémique et multispécifique, souhaitable dans l’absolu, mais le plus souvent irréaliste, occulte la masse des connaissances dont il faudrait disposer pour que les conclusions des modèles soient autre chose que le reflet de l’intime conviction des modélisateurs. Au plan pratique c’est toujours l’approche simple qui domine la gestion des pêches. Elle requiert un suivi démographique des captures, facilité par le fait qu’il est possible de déterminer l’âge d’un poisson ou d’un coquillage en lissant une pièce dure (écaille, vertèbre mais surtout otolithe). L’approche est imparfaite. Elle reste handicapée par la difficulté des mesures dans le milieu de l’abondance des individus (y compris des larves), du fait de leur mobilité, de leur invisibilité, et de leur capacité à éviter les engins de prélèvement ou à leur échapper. Cela explique les imprécisions inévitables des diagnostics en temps réel sur les stocks, pourtant nécessaires à la gestion. Celle-ci est et restera une gestion sous incertitude, massivement préférable au laisser-faire.

En termes de gestion des pêches la démarche évoquée ci-dessus conduit à considérer le volume du recrutement comme imprévisible, tout en veillant à ce que la pression de pêche, notamment sur les juvéniles, soit modérée. Les captures en poids sont inférieures à ce qu’elles peuvent être, sinon la biomasse féconde peut descendre à un niveau où l’abondance des géniteurs devient un facteur critique, avec possible effondrement du stock. Les avis des organes habilités estiment le niveau de pression de pêche qui produirait sur le long terme la production durable maximale (Maximum Sustainable Yield) et les seuils au-delà desquels il existe des risques modérés ou forts d’effondrement des stocks du fait d’une abondance insuffisante des géniteurs. Les avis en question sont publics, accessibles par internet, et compréhensibles pour des non-spécialistes.

La mise en pratique des conclusions issues du suivi des stocks par l’approche évoquée s’est d’abord heurtée aux conséquences négatives à court terme pour le secteur des pêches des restrictions nécessaires. Les bénéfices sont nécessairement différés, le temps que les poissons épargnés grandissent et se reproduisent. Des progrès importants ont cependant été observés, notamment dans les quinze dernières années. Au titre de la Politique commune de la pêche de l’Union Européenne la pression de pêche a décru pour des stocks critiques comme ceux de morue, de plie, de hareng, de maquereau et de merlu, et leur abondance s’est accrue, notamment en ce qui concerne les géniteurs. Il existe toujours de fortes hétérogénéités. Certaines ressources sont plus vulnérables que d’autres, du fait notamment de leur plus grande longévité. La gestion des pêches pour une même espèce est plus difficile dans certains secteurs géographiques et la situation est globalement meilleure au nord qu’au sud, et plus défavorable en Méditerranée qu’en Atlantique. Hors de l’Union Européenne, des succès plus précoces et plus importants ont été observés, par exemple en Islande ou en Norvège. Le Canada a quant à lui beaucoup réduit la pression de pêche sur ses stocks majeurs, mais la reconstitution reste très lente pour le cabillaud. Les analyses sur les thons et espèces proches sont particulièrement difficiles, mais là encore un suivi est en place, et les conclusions des experts sont accessibles. La situation dans les PVD souffre beaucoup des carences du suivi de base des captures et des flottilles.

La situation a beaucoup évolué depuis que les opinions publiques sont devenues sensibles aux questions environnementales, et donc à l’impact de la pêche sur le milieu marin. Cela a contribué à faire accepter les restrictions que les représentants de la pêche ont longtemps réussi à différer ou diluer. Dans le même temps il faut prendre garde au fait que nombre de médias se font désormais l’écho d’un excès inverse, en propageant un diagnostic universel d’effondrement imminent des ressources halieutiques, en rendant la surpêche responsable de toutes les évolutions défavorables des écosystèmes marins. La pêche dite industrielle, qui n’est jamais définie par ces médias, n’est ainsi pas étudiée pour les particularités réelles de son impact, mais dénoncée comme coupable systématique, les avis des organes experts sont ignorés. Dans le même temps la recherche nécessaire pour conduire les analyses récurrentes est délaissée par nombre d’organismes scientifiques chargés des pêches. L’expertise et la culture requises pour que la recherche soit un appui utile à la gestion des pêches se réduit dans beaucoup de pays et de régions du monde, l’accent étant mis sur les recherches moins répétitives et plus novatrices. Certains types de recherche peuvent contribuer à la gestion des pêches tout en étant à la pointe de l’innovation, à l’exemple des programmes de marquage. Mais le débat souhaitable sur la répartition des moyens de recherche ne devrait pas esquiver le balancement entre l’excellence scientifique et la pertinence pour la gestion réelle.

C&M 2 2016-2017

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