Conférences

La Marine nationale en Adriatique durant la guerre de 1914-1918

François Schwerer
Docteur en Droit et économie des entreprises

Le 10-02-2016

M. François Schwerer, docteur en Droit et économie des entreprises, arrière-petit-fils de l’amiral Antoine Schwerer, chef de cabinet de l’amiral Lacaze lorsque celui-ci était ministre de la Marine de 1915 à 1917, s’est intéressé à la guerre en Adriatique lors du classement des papiers de son arrière-grand-père. Il a bien voulu présenter ses observations devant l’Académie en préparation du voyage de celle-ci en Croatie et au Monténégro au mois de juin prochain.

En introduction, M. Schwerer présente une carte de l’Adriatique. Sur la côte orientale, les principaux ports de guerre des Autrichiens sont Pola (aujourd’hui Pula), à l’extrémité sud de l’Istrie, et Cattaro (Kotor) ; Sebenico au nord de Spalato (Split) est un port secondaire. En Albanie, au voisinage du canal d’Otrante, Durazzo et Valena ont une grande importance pour les flottes de guerre. Cette côte rocheuse est découpée avec des îles et des chenaux et une eau très claire dévoilant les sous-marins en plongée aux observateurs aériens. Sur la rive occidentale (l’Italie quitte la neutralité en mai 1915 et rejoint les Alliés) les ports principaux sont Venise, Brindisi, Otrante, auxquels on peut ajouter celui de Tarente, tout proche. Cette côte est plate, sableuse et les alluvions en suspension dissimulent l’approchent des sous-marins allemands à la surveillance aérienne des Alliés. Du nord au sud l’Adriatique mesure 450 milles alors que les sous-marins en plongée ne peuvent parcourir plus de 60 milles. En hiver la Bora soulève une mer courte, creuse et glacée ; en été brume et sirocco se réunissent pour déjouer les reconnaissances.

Le 6 août 1914, Français et Anglais se concertent pour organiser les opérations en Adriatique. Le commandement est confié à un amiral français, les Britanniques demeurent présents dans la région où leur principale base est située à Malte, à 300 milles de l’entrée de l’Adriatique et ils contrôlent la Méditerranée orientale sur la route vers l’Egypte. Les Français établissent un poste d’observation avec une installation de radio sur le mont Lovcen situé au Monténégro (qui entre en guerre à côté des Alliés) mais permettant d’observer les mouvements dans la rade de Cattaro ; ils sont contraints de quitter cette installation quelques semaines plus tard car elle est trop difficile à tenir en raison des bombardements par les Autrichiens et les Bulgares. Cependant, les Français bombardent les installations de Cattaro à partir de la baie de Traste.

Les combats sur mer commencent le 16 août, lorsque l’armée navale française rencontre le petit croiseur autrichien Zenta devant Antivari. Le 17 octobre le Waldeck-Rousseau rencontre deux sous-marins ennemis devant Cattaro et coule l’un d’eux ; l’année suivante, le 27 avril, le sous-marin U-5 commandé par le lieutenant de vaisseau von Trapp coule le Léon Gambetta devant Otrante (132 survivants sur 840 hommes). Après neuf raids de l’armée navale française sans succès dans l’Adriatique les combats sont désormais conduits par les sous-marins car les cuirassés ne sortent pas de leur base.

Les sous-marins français appartiennent pour l’essentiel à deux séries : les Pluviôse avec moteur à vapeur et les Brumaire avec moteur diesel. Il leur faut plus d’une minute pour plonger. Ils ont des appareils lance-torpilles extérieurs ne permettant de lancer la torpille que latéralement lorsqu’ils sont en plongée. A partir de la décision de « guerre sous-marine à outrance » lancée en 1915 par le gouvernement allemand pour rompre le blocus imposé par les Alliés, des sous-marins allemands sont acheminés, après avoir été partiellement démontés, jusqu’à Pola où ils sont remontés. Les bâtiments des séries UB puis UC sont engagés à partir du 7 mai 1915.

Les sous-marins alliés remportent quelques victoires sur la côte autrichienne depuis Antivari, Cattaro jusqu’à Sebenico : le 8 septembre 1915, le Papin attaque et disperse la flottille de Sebenico ; au mois de novembre de la même année le Faraday engage le combat contre l’U-35 au large de Durazzo ; le 4 mai 1916, le Bernouilli endommage le torpilleur Czepel ; le 9 mai, l’Archimède torpille et coule le petit transport Dubrovnik devant l’île Lesina ; le 25 mai 1917, la Circé coule l’UC-24. Ils connaissent aussi des défaites : le 24 décembre 1914, le Curie est pris dans des filets alors qu’il tentait de pénétrer dans la rade de Pola, il est réparé et modernisé par les Autrichiens et confié au lieutenant de vaisseau von Trapp ; le 5 décembre 1915, le Fresnel s’échoue puis coule dans les chenaux près de Split ; le 28 décembre, le Monge est abordé par le croiseur Helgoland devant Cattaro et le lieutenant de vaisseau Morillot, après avoir fait évacuer le personnel, se sacrifie pour saborder le bâtiment en évitant qu’il soit pris par l’ennemi ; le 17 septembre 1916, le Foucault est coulé par les bombes d’un hydravion en Adriatique ; le 15 février 1918, le Bernouilli saute sur une mine devant Pola.

Une opération importante est le sauvetage de l’armée serbe attaquée par l’armée autrichienne, très supérieure en nombre et en équipement, à partir d’octobre 1915. Les 160 000 Serbes, sous le commandement du roi Pierre Ier, gagnent les ports du Monténégro et de l’Albanie où ils arrivent en février 1916 dans un grand état de fatigue et de dénuement après la traversée du massif des Balkans en plein hiver. Ils sont pris en charge par la marine française, transportés à Corfou, occupé par les Français, puis à Bizerte, où ils sont soignés et équipés, puis enfin à Salonique où ils rejoignent l’armée d’Orient et participent à l’offensive sur le Vardar, décisive pour la victoire des Alliés.

Pour lutter contre les sous-marins des puissances centrales en évitant qu’ils ne gagnent la Méditerranée les Alliés organisent le blocus du canal d’Otrante. C’est une opération difficile car ce passage est un goulet de 40 milles de large, d’est en ouest, sur 35 de long, du nord au sud. Sa profondeur dépasse souvent 900 mètres. Au début de la guerre, les Alliés organisent des croisières mais ils manquent de bâtiments de surface et ceux-ci sont insuffisamment protégés. Les croisières sont abandonnées durant l’hiver 1914-1915 mais, les sous-marins allemands commençant à causer des pertes importantes aux Alliés durant l’été 1915, l’organisation d’un blocus devient nécessaire. En septembre 1915, une centaine de harenguiers, groupés par six, remorquent des filets d’acier d’une vingtaine de mètres de hauteur. Chaque groupe est espacé du voisin de quatre à cinq milles. A partir d’octobre 1916, le barrage est protégé par des patrouilleurs situés 50 milles plus au nord, afin d’obliger les sous-marins à plonger. En mai 1917, les Alliés, constatant la médiocre efficacité de cette organisation car les ennemis plongent sous les filets ou passent dans les intervalles, décident la mise en place d’un blocus fixe dont l’organisation est inspirée de celui du Pas de Calais. Il s’agit d’un barrage fixe sur 66 km avec des filets hauts de 50 mètres tenus par des bouées et portant des mines, précédé de part et d’autre de lignes de surveillance avec des chalutiers munis de microphones. Il est aussi prévu des patrouilles aériennes. Le 3 août 1918, le sous-marin UB-53 est pris dans un filet et détruit par une mine.

Au total, la France a engagé vingt-quatre sous-marins (18 à vapeur et 6 à diesel) ; ils ont accompli 600 sorties, conduit 34 attaques et coulé un sous-marin et trois transports pour 1 800 tonnes contre cinq sous-marins perdus.

M. Schwerer achève son exposé en donnant lecture d’une citation collective à l’ordre de l’Armée navale : « La division des flottilles de l’Adriatique, pendant plus de trois ans dans le voisinage de l’ennemi, toujours en alerte, toujours prête, a conservé jusqu’au dernier jour son ardeur et son esprit d’offensive malgré les pertes s’élevant au quart de son effectif de torpilleurs et la moitié de son effectif de sous-marins. S’est particulièrement distinguée pendant les opérations qui ont abouti au sauvetage de l’armée serbe en 1916 ».


Discussion

J. Dhellemmes : C’est une guerre de sous-marins ; les cuirassés ne sont pas utilisés.

F. S. Les cuirassés sont une arme de dissuasion ; la perte de l’un de ces bâtiments serait coûteuse et dangereuse, car les chefs de la Marine ne veulent pas jouer le sort de la guerre sur une seule bataille ; de plus Guillaume II veut pouvoir défendre les côtes.

Ph. Henrat : Les combats des sous-mariniers en Adriatique ont demandé beaucoup de courage car leurs machines sont peu efficaces.

Ivo Paparella : Il faut souligner le rôle important de la marine de commerce qui assure des liaisons entre Marseille et Salonique. Il faut aussi remarquer le manque d’efficacité des services de renseignement des Alliés dans la région.

Note complémentaire

Après cette conférence notre confrère C. Huan a bien voulu communiquer à l’Académie quelques précisions tirées de ses propres recherches sur la guerre sous-marine. Au moment de la déclaration de guerre les Autrichiens disposent de six petits sous-marins construits en Allemagne et aux Etats-Unis ; les Italiens ont 12 unités installées à Venise ; les Français expédient une escadrille de 12 sous-marins (en principe) dans les bases de Malte et Antivari. A partir de 1915, ces nombres augmentent et les Anglais expédient six sous-marins, les Allemands faisant également accroître leur présence.

D’après les archives allemandes, 776 sous-marins sortirent ou entrèrent en Adriatique ; six furent coulés par des sous-marins alliés, dont un seul par la France.

Au total, dans la guerre sous-marine sur tous les fronts, la France engage 70 sous-marins qui conduisent 4 100 patrouilles de guerre, contre 3 250 par les U-Boote. La France connaît 15 pertes contre 178 U-Boote.

C&M 2 2015-2016

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