Conférences

Les évolutions du climat : changement climatique et météorologie

Philippe Dandin
Ingénieur des ponts, des eaux et des forêts

Le 10-06-2015

Exceptionnellement, cette séance se tient dans l’amphithéâtre de l’Institut océanographique de la Maison des Océans, Fondation Albert 1er prince de Monaco, rue Saint-Jacques à Paris, en présence de S. E. M. Jean Pastorelli, ambassadeur de Monaco en France. Le conférencier, notre confrère Philippe Dandin, ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, ancien directeur de la climatologie à Météo-France et actuellement directeur adjoint scientifique du Centre national de recherches météorologiques, est présenté par Patrick Geistdoerfer, président de la section Navigation et océanologie. Il souligne dans le parcours de M. Dandin sa contribution à la réalisation du système d’océanographie opérationnelle aujourd’hui mis en œuvre par Mercator-océan et son apport en météorologie marine.

Le climat change et cette modification préoccupe l’opinion française comme il paraît dans plusieurs publications récentes. M. Dandin cite Henri Bergson écrivant en 1932 dans Les deux sources de la morale et de la religion, à propos de la Première Guerre mondiale : « … tout à la fois comme probable et comme impossible : idée complexe qui persista jusqu’à la date fatale … » pour souligner à quel point le climat est un « objet insensible » qui rend l’action d’adaptation face au changement climatique difficile à concevoir.
Les travaux et les publications du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), créé en 1988 par l’ONU avec le concours de l’Organisation météorologique mondiale et du Programme des Nations Unies pour l’environnement, fournissent des bases scientifiques, des observations et des projections sur le changement climatique, ainsi que sur les mesures à prendre, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’adaptation à une nouvelle donne climatique inéluctable.
Ces rapports établissent clairement l’influence humaine sur le climat et la nécessité d’agir. Le réchauffement du système climatique est sans équivoque et, depuis le milieu du XXe siècle beaucoup des changements observés sont sans précédent depuis des décennies et même jusqu’à des millénaires. L’atmosphère et l’océan se sont réchauffés, la quantité des neiges et glaces a diminué, le niveau des mers s’est élevé, et les concentrations des gaz à effet de serre ont augmenté. Chacune des trois dernières décennies a été successivement plus chaude que toutes les décennies précédentes depuis 1950 sur le globe comme en France. Le changement est global dans toutes les acceptations du terme.
C’est une évolution sans précédent depuis au moins 1 400 ans et par de nombreux aspect bien au-delà. Ses effets sont déjà visibles dans de nombreux domaines et s’enchaînent en cascade avec d’autres : ainsi, la fonte des glaciers, du permafrost et des champs de neige entraînant une montée des océans et des modifications des littoraux, ou bien les modifications des écosystèmes terrestres et marins avec une augmentation des feux de forêt, une modification de la production agricole, donc de l’alimentation, de l’économie, de la santé et du bien-être. Il y a beaucoup d’inconvénients, mais aussi sans doute des bénéfices à explorer. La difficulté étant cependant que tout le « système », qu’il s’agisse de l’environnement terrestre ou marin, ou des sociétés et activités humaines est « acclimaté ».
Les émissions globales de gaz à effet de serre (gaz carbonique CO2, méthane CH4, …) ne diminuent pas : de rapports du GIEC en rapports du GIEC, les mesures contemporaines sont alignées sur les hypothèses pessimistes des scénarios d’évolution envisagés précédemment. Si l’on poursuit ces projections climatiques, l’augmentation de la température moyenne annuelle à la surface du globe pourrait atteindre + 4° C par rapport à 1850-1900, ou bien être légèrement inférieure si nous parvenons à limiter les émissions de gaz à effet de serre. Et il conviendrait de tenir cette dernière hypothèse car + 2° C est déjà trop et risque de provoquer une désarticulation forte des systèmes terrestres et anthropiques actuels avec des ruptures difficiles à maîtriser.
L’opinion publique, et sans doute une partie des décideurs, prend difficilement conscience de ces difficultés, car le climat est un « objet insensible », une « expérience sans sensation » avec une mémoire très fugace. Il faut essayer d’aborder l’évolution du climat à travers des éléments parlant à chacun, ainsi l’évolution du couvert forestier en France, ou, comme l’a fait la Banque mondiale dans un récent travail, les difficultés agricoles au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, en considérant les réponses à différentes valeurs d’augmentation des températures moyennes de 1 à 5° C ; ou encore en utilisant des représentations frappantes, comme le fait la Direction de la Climatologie de Météo-France avec des bulles de tailles variables selon la durée en nombre de jours et l’intensité des vagues de chaleur depuis 1945 ; ou encore en faisant appel à la mémoire, avec des clichés photographiques, ainsi l’appel à l’Armée pour le transport du fourrage vers les régions déficitaires à la suite d’un printemps chaud, sec, très ensoleillé, en juillet 1976 puis en juillet 2011 ; de telles « images » renforcent les relevés et informations scientifiques délivrées par ailleurs. M. Dandin suggère d’intégrer la communication et les résultats sur l’évolution climatique dans les informations livrées chaque jour aux utilisateurs de la météorologie : ceux-ci qualifient ces prévisions au quotidien et ont confiance en leurs interlocuteurs, aussi sont-ils plus aisément récepteurs et apte à réfléchir aux conséquences du changement climatique, donc aux mesures possibles pour en limiter les effets négatifs ou profiter des aubaines qu’ils pourraient offrir.
Les scientifiques doivent aussi apporter une information « décodée », présentée de manière efficace, aux responsables politiques et administratifs ainsi qu’à leurs concitoyens, pour leur permettre de prendre conscience puis décider. Une part de l’enjeu actuel consiste sans doute à inventer l’équivalent d’une « vigilance climatique », à l’instar de la procédure en vigueur pour les risques météorologiques.

Débat

Xavier La Roche. – Comment les météorologues élaborent-ils leurs représentations figurées ? R. – M. Dandin cite un de ses projets actuels. Il travaille avec un « designer de services » s’appuyant sur les résultats des spécialistes des sciences humaines et sociales. Le dialogue entre ceux-ci et les météorologues est très intéressant et très riche pour les deux parties.

Jacky Messiaen. – La montée du niveau des océans suscite beaucoup d’interrogations en Flandre maritime.
R. – La montée du niveau des océans est déjà évidente mais il est difficile d’établir les projections au niveau local car la réponse de l’océan n’est pas uniforme, la mer n’est pas « plate » non plus dans ce domaine du climat. La grande inondation de février 1953, très présente dans les mémoires, lorsque qu’une surcote en mer du Nord a provoqué l’ennoiement des estuaires des Pays-Bas et des Flandres ainsi que celui de la Tamise peut servir pour rappeler à chacun l’enjeu. Pour calculer l’effet sur les terres de l’évolution du niveau de la mer il faut aussi prendre en compte les mouvements de l’écorce terrestre et l’évolution de la nappe phréatique (réglée par des pompes en Flandre maritime).

Arnaud Réglat-Boireau. – La fonte des glaces risque-t-elle de modifier le mouvement du Gulf stream ? R. – Ce courant fait partie de la circulation globale océanique : une eau froide et salée, donc lourde, plonge en certains points du globe puis circule dans le fond des océans pour revenir à la surface dans le golfe du Mexique. Si l’apport d’eau douce est important aux points où l’eau plonge, la pompe perd en efficacité et le mouvement du courant pourrait se ralentir. – Le climat de l’Europe pourrait-il en être modifié ? R. Non, car la chaleur en Europe est apportée pour moitié par l’océan et une moitié seulement du Gulf Stream atteint le littoral de l’Europe occidentale ; le reste passe par la circulation atmosphérique générale.

Michèle Fieux. – Sur la carte des anomalies de température entre 1901 et 2012 établie par le GIEC et présentée par le conférencier il y a beaucoup de couleur rouge signifiant une augmentation élevée de température, sauf au Groenland où le bleu, indice de stabilité, domine. Pourquoi ? R. – M. Dandin apporte à l’issue de la séance les éléments suivants : la température s’est en effet refroidie dans l’Atlantique nord et cette singularité apparaît aussi dans les simulations qui prennent en compte à la fois les causes naturelles de variations du climat et les causes anthropiques, notamment liées aux aérosols. Il faut noter qu’on retrouve un moindre réchauffement (voire un refroidissement) de l’océan Atlantique nord dans le climat futur simulé par les modèles et que, dans ce cas, comme évoqué en séance, la modification de la circulation océanique liée au changement anthropique joue un rôle important.
Alain Grill. – La société civile de droit privé Mercator Océan, dont le siège est à Toulouse, vient d’être désignée par la Commission européenne pour mettre en place le service européen de surveillance des océans. C’est un beau succès. R. – C’est une partie du programme européen Copernicus d’observation de la Terre, ouvert à tous et gratuit. C’est un très grand succès de l’océanographie française !

C&M 3 2014-2015

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