Conférences

Le grand porte-conteneurs moderne, un concentré d’innovations

Ludovic Gérard
Vice-président exécutif de CMA Ships

Le 11-03-2015

Madame Françoise Odier, présidente de la section Marine marchande, pêche et plaisance, s’exprimant au nom de notre confrère Bernard Parizot empêché, présente ensuite le conférencier de ce jour, M. Ludovic Gérard, vice-président exécutif de CMA Ships. Ancien élève de l’Ecole nationale supérieure de techniques avancées, option Génie maritime, M. Gérard, après un service militaire à la Direction des constructions navales de Lorient où il s’initie au métier d’architecte naval concepteur de navires militaires rapides pour l’exportation, puis un passage très court dans la voile, pour laquelle il conserve un grand attachement avec un brevet de moniteur fédéral de voile et des participations à de nombreuses courses en double, rejoint la Compagnie maritime d’affrètement au moment du rachat de la Compagnie générale maritime afin de créer un département « Constructions neuves ». Depuis mai 2010, il a pris les fonctions de Directeur général adjoint, puis de Directeur général délégué de CMA Ships, filiale à 100 % du groupe, en charge de la gestion de la flotte qui compte 111 navires.
Début 2015, le carnet de commande s’élève à 30 navires dans les chantiers chinois et coréens. Parmi eux figurent les très grands navires qui sont l’aboutissement des études et de l’expérience des équipes menées par Ludovic Gérard. Dans les colloques ou les conférences consacrées au développement des navires porte-conteneurs la partie technique est évoquée en quelques phrases assurant que les architectes navals maîtrisent la conception et l’exploitation de ces navires. La section Marine marchande, pêche et plaisance a souhaité que soient mieux expliquées les mesures définies dans les études, les programmes de recherche et développement, ainsi que les programmes d’essai, pour garantir la fiabilité de ces navires.



M. Gérard commence par rappeler la place éminente de CMA CGM, troisième opérateur mondial de transport maritime en conteneurs avec 8,9 % de parts du marché (le premier est Maersk avec 15,6 %). Dirigé par son fondateur, M. Jacques Saadé, le groupe est présent sur toutes les routes maritimes et offre à ses clients l’ensemble des services de logistique et de transport port à port. Il connaît une forte croissance avec une capacité d’emport doublée en dix ans, de 2 800 équivalents 20 pieds à 12 100 actuellement. En 2013 son chiffre d’affaires était de 15,9 milliards $ et le profit net de 408 millions $ Il contrôle 10 000 collaborateurs dans le monde et 650 bureaux, dont 64 en Chine. La nouveauté du moment dans le transport des conteneurs est la formation de quatre grandes alliances parmi lesquelles OceanThree à laquelle adhère le groupe CMA CGM ce qui lui permet de disposer de 91 ports d’escale.
CMA Ships assure la gestion de tout ce qui a trait au domaine nautique pour 24 % des navires opérés par CMA CGM, soit 111 bâtiments dont 93 en propriété et 18 en tiers (inclus le Marion Dufresne), avec 5 000 marins, toutes nationalités confondues (2 500 en mer) et 350 employés. La société adhère aux valeurs du groupe CMA CGM, que sont l’audace, l’initiative, l’imagination et l’intégrité.
Le conteneur, autrement dit la « boîte » en acier, mise au point aux Etats-Unis dans les années 1950 par Malcom Mac Lean, est une innovation majeure du transport maritime. L’unité de base est l’équivalent 20 pieds (EVP), soit 20 x 8 x 8,6 pieds, puis de multiples variantes tant dans la capacité avec des 40 pieds, des 45 pieds …, que dans la forme ainsi sans couvercle, sans parois longues, ou simple plate-forme. CMA CGM a choisi de développer les variantes réfrigérées (avec un contrôle non seulement de la température, mais aussi de l’atmosphère et de l’humidité) en équipant 20 % de la capacité de ses navires en prises frigos et en organisant son département « frigorifique » en entités autonomes ayant la capacité d’agir sur tous les types de commerce et de s’appuyer sur des équipes spécialisées, ainsi dans l’aménagement d’aquariums permettant de transporter des homards vivants. Pour le transport des automobiles les transporteurs doivent choisir entre une utilisation exclusive avec des aménagements spécialisés (c’est le choix de CMA CGM) ou une installation provisoire avec une désinstallation des aménagements pour permettre une nouvelle utilisation des conteneurs. Dans cette seconde solution la gestion de la flotte est facilitée mais une partie de l’économie à l’achat des conteneurs est absorbée par le montage et le démontage de l’installation.
La forte demande de transport de conteneurs entraîne une augmentation de la taille des navires : le President Truman, lancé en 1988 avec une capacité de 4 538 EVP et 16 rangées de conteneurs, avait 275 mètres de long et 39 de large ; le Marco Polo, lancé en 2012 avec une capacité de 16 020 EVP (dont 8 600 sur le pont) et 21 rangées de conteneurs, mesure 395 mètres de long et 53 de large. Pour éviter les accidents structurels les porte-conteneurs sont munis d’une double coque avec des renforts métalliques, les rangs de boîtes disposés dans les cales sont séparés par des cloisons étanches, les cales sont complètement ouvertes et les panneaux simplement posés pour qu’ils ne participent pas à la structure. Il y a eu cependant deux accidents majeurs recensés sur les grands porte-conteneurs durant ces dernières années : en avril 2008, dans la Manche, le MSC Napoli s’est fracturé en deux au décroisement de structure situé devant le château, dans le compartiment des machines, et il a été constaté une fragilité de la construction en ce point, donc la nécessiter de la renforcer ; en juin 2013, dans le golfe d’Oman, le Mol Comfort s’est brisé en deux et la même faiblesse est apparue (sans avoir des conséquences aussi graves) sur une série de navires construits au Japon. Il faut donc étudier les déformations éventuelles de la structure afin de prévenir l’apparition de manifestations de fatigue. En collaboration avec le Bureau Veritas de nouveaux moyens de calcul ont été mis en œuvre avec une modélisation 2 D en approche initiale, puis 3 D par éléments finis avec un maillage plus fin pour les zones sensibles ; à la suite de cette étude il est apparu nécessaire de créer sur les grands navires (400 mètres au maximum) deux zones neutres, l’une à l’arrière à la hauteur du château, l’autre à l’avant. Jusqu’à présent une seule était prévue. Ce nouveau concept devrait permettre d’éviter la plupart des déformations.
L’amélioration de la performance énergétique est aussi recherchée avec assiduité afin de pouvoir répondre à l’énorme pression réglementaire visant à réduire les émissions de particules fines, de souffre et de dioxyde d’azote. Il a d’abord été constaté qu’en réduisant la vitesse d’un quart on diminue de plus de moitié la consommation ; en conséquence la vitesse moyenne est fixée entre 16 et 18 nœuds avec des pointes à 22 nœuds au lieu de 26 à 28 auparavant. L’hydrodynamique des bâtiments est soigneusement étudiée, la forme des hélices est optimisée de manière à réduire la demande d’énergie, la disposition du safran est analysée afin d’éviter la formation de remous contrariant le travail de l’hélice. Un travail sur les moteurs est en cours, avec un choix à faire entre un ou deux moteurs. Avec deux moteurs moins puissants qu’un seul la sécurité est renforcée mais c’est un investissement coûteux. Ces moteurs demandent moins de carburant et c’est important car une diminution de 1 % à 1,5 % de la consommation permet de gagner jusqu’à 4 tonnes par jour selon la plus ou moins grande vitesse. On élabore aussi des conteneurs plus légers et des conteneurs réfrigérés moins gourmands en énergie. Grâce à toutes ces dispositions la consommation énergétique moyenne a chuté de moitié en dix-huit ans et les rejets de gaz carbonique de 50 % en dix ans.
L’amélioration de la sécurité est une préoccupation constante des armateurs de porte-conteneurs. Sur les navires sortis des chantiers depuis trois ansun dispositif a été mis en place pour faciliter le remorquage d’urgence. Pour l’arrimage, le système d’accrochage interne et vertical, qui exerce une pesée considérable sur les boîtes inférieures, est remplacé par un système externe qui diminue la pression de l’empilement. Des outils informatiques perfectionnés permettent de surveiller l’évolution du poids et les mouvements de torsion de la cargaison.
Pour l’avenir, il faut prévoir le remplacement du fuel par du gaz liquéfié et peut-être une augmentation de la taille des navires si la demande de fret continue à augmenter. Mais cette augmentation est impossible sans une amélioration des équipements portuaires et elle devrait être accompagnée d’une formation et d’un entraînement plus poussés pour les équipages.


Questions

- Le groupe CMA CGM dispose-t-il de filiales routières et fluviales ? Oui.
- Des porte-conteneurs avec pilotage depuis la terre peuvent-ils être envisagés ? Des recherches sont poursuivies dans ce domaine ; elles ne sont pas achevées et le nombre des hommes à bord est relativement peu élevé, soit de 25 à 30.
- Quel est le coût de l’équipage ? Il est peu élevé ; les principaux postes de la dépense sont le remboursement des frais de construction et de leurs intérêts, puis les droits de passage dans les canaux.
- Ne serait-il pas possible de prendre une initiative internationale pour réfléchir sur le statut des conteneurs ? Pour les tribunaux français la perte d’un conteneur est un accident de pollution, mais il n’y a pas de convention internationale sur ce point alors qu’il en existe une sur les épaves.
- Le groupe CMA CGM travaille-t-il avec le bureau Veritas et d’autres sociétés de vérification ? Un groupe d’architectes navals installé au siège collabore étroitement avec les chantiers de construction et avec le bureau de vérification.
- Quelle est la formation des pilotes ? Un simulateur est installé à Marseille et il travaille avec les pilotes des ports pour être informé des contraintes locales.
- Quelle est la sécurité offerte par la propulsion au gaz ? Elle est analogue à celle des méthaniers.

C&M 2 2014-2015

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