Conférences

Dirigeant d’une PME de construction navale : un métier plein d’imprévus

Louis Le Pivain
IGA (2s)

Le 04-02-2015

Notre confrère Jacques Dhellemmes, président de la section Sciences et techniques, présente l’Ingénieur général de l’Armement (2s) Louis Le Pivain, devenu, après une carrière professionnelle dense, en particulier auprès de DCN, président du conseil de surveillance de la société Raidco marine international. M. Le Pivain est en outre adjoint au maire de Viroflay, conseiller pour le commerce extérieur et invité permanent de notre Compagnie, qui lui a décerné en 2012 le prix Maurice Lebrun.


Je vais essayer de vous présenter la vie d’un dirigeant de PME dans la construction navale, avec ses spécificités et ses surprises. Vous voudrez bien m’excuser de ne parler que de ma société, Raidco Marine International, mais c’est la société que je connais le mieux et c’est bien de mon rôle très concret de dirigeant de Raidco que votre président m’a demandé de vous parler cet après-midi.
J’orienterai mon propos autour de quatre axes : le positionnement original de Raidco ; l’écoute du client ; une approche commerciale complète ; des relations ambiguës avec l’Etat.
La société Raidco Marine est une PME de Lorient est positionnée dans un rôle de maître d’œuvre pour la construction de vedettes et patrouilleurs. Elle conçoit et commercialise des bateaux de surveillance maritime, de 5 à 70 mètres avec trois segments dans sa gamme : des RIB de 5 à 15 mètres ; des vedettes rapides de 20 à 33 mètres ; des patrouilleurs « offshore patrolvisuals » (OPV) de 33 à 70 mètres. Pour l’ensemble de ces bateaux Raidco assure la maîtrise d’œuvre, ce qui la différencie d’un simple bureau d’études, rôle où certains veulent la cantonner.
Raidcoest le concepteur des bateaux et le signataire des contrats avec le client. Il confie ensuite la réalisation des bateaux à des sous-traitants. C’est Raidco qui assume la totalité du risque industriel, commercial et financier, mais bien sûr, comme dans toute sous-traitance, Raidco transfère un maximum de ces risques à des sous-traitants. Cependant le client ne connaît que Raidco.
[Le conférencier présentealors quelques clichés des réalisations de Raidco]
Un patrouilleur OPV 70 pour la Marine marocaine ayant une forme particulièrement étudiée pour apporter une bonne tenue à la mer et du confort pour l’équipage. Cela fait partie de l’écoute du client qui achète ces bateaux pour faire de la surveillance maritime hauturière avec des hommes dont certains n’ont pas la pratique de la mer et auxquels il faut apporter une aide. Ce patrouilleur de 70 mètres pour 800 tonnes est nettement plus petit que le patrouilleur L’Adroit que DCNS prête pour quelques mois encore à la Marine nationale, puisque celui-ci a une longueur de 87 mètres pour 1 500 tonnes, pourtant le nombre des hommes embarqué sur chacune embarcation est peu différent, soit une centaine pour L’Adroit et 70 pour l’OPV 70. C’est que la marine royale marocaine, au contraire de la marine française, souhaite les équipages les plus nombreux possible avec une hiérarchie des locaux très renforcée. Ainsi, est-il important d’éviter tout présupposé et d’être attentif à la spécificité de la demande de chaque client.
Le patrouilleur RPB 33, livré à plusieurs marines africaines, est équipé d’un radar de bateau de pêche avec deux positions On et Off. C’est un équipement simple et robuste correspondant aux besoins opérationnels des clients, alors que le radar perfectionné d’un grand équipementier français serait beaucoup plus performant, mais il serait mal réglé, mal entretenu et les clients seraient mécontents. Il faut innover avec prudence et préférer les moyens éprouvés. Ce patrouilleur livré à la marine sénégalaise a permis à celle-ci d’arraisonner un chalutier russe qui pêchait sans autorisation dans les eaux territoriales. Le chalutier a été dérouté vers le port de Dakar et l’armateur – très mécontent – a été contraint de payer 600 000 $ pour obtenir la libération de son bateau.
Raidcojouit d’une bonne réputation en Afrique. Lors d’une réunion de chefs d’Etats africains l’un d’eux adressa cette question au président du Sénégal : « Cher ami, je sais que tu as une belle marine. Je souhaite moi aussi m’en constituer une, quels conseils pourrais-tu me donner ? » Réponse : « Je n’ai qu’un conseil à te donner : adresse-toi à Raidco et tout ira bien. » Le conseil a été suivi. C’est que Raidco fournit depuis plus de dix années des bâtiments simples, robustes, faciles à utiliser et à entretenir pour plusieurs administrations du Sénégal, ainsi les douanes, la surveillance des pêches, le port de Dakar, la Marine.
La satisfaction du client passe aussi par la fourniture de prestations de formation et d’assistance technique, ainsi que la livraison du bateau à son port d’attache. En 2013, nous avons formé à Lorient quatre équipages de la marine libyenne à laquelle nous avons livré des patrouilleurs Raidco RPB 20. A leur arrivée nous avons découvert qu’ils ne parlaient ni le français, ni l’anglais, et nous avons donc cherché rapidement des interprètes. Nous avons fait appel, contre un salaire, à des jeunes adultes, enfants des officiers marocains qui suivent les commandes pour leur Marine et que nous hébergeons à Lorient. Les transits avec des équipages Raidco jusqu’aux ports d’attache des bateaux sont aussi l’occasion d’escales chez de futurs acquéreurs.
Le dernier point de mon propos est intitulé « Des relations ambiguës avec l’Etat » et je souhaite pouvoir aborder cinq aspects : la force du label « France », l’utilisation des réseaux de soutien à l’exportation, les subventions aux PME, l’information de la DGA, les soutiens politiques.
Raidco évite de solliciter des subventions d’autant qu’il fait 90 % de son chiffre d’affaires à l’exportation. En revanche le label « France » est bien utile et la société se présente comme un fournisseur de la gendarmerie maritime, à laquelle vingt-quatre vedettes de 20 mètres ont été livrées, dont quatre sont utilisées outre-mer, en particulier deux en Guyane dans des conditions climatiques et de turbidité de l’eau parmi les pires du monde. Cette référence est bien utile vis-à-vis des clients africains. Nous avons vendu deux patrouilleurs de 20 mètres à la police maritime sud-africaine grâce à l’initiative d’un lieutenant-colonel de gendarmerie, attaché de sécurité intérieure à Pretoria. Ses interlocuteurs dans la police du pays lui ayant fait part de leur souhait de créer une police maritime nationale, il leur a proposé le concept de la gendarmerie maritime française et les a invités à embarquer à bord d’une vedette de la gendarmerie lors de leur passage en France. Ils ont été conquis !
A l’inverse, il y a des exemples douloureux. Quand la Direction générale de l’Armement est animée par un souci de stricte équité entre les industriels français, il lui arrive de transmettre, souvent sans s’en rendre compte, des informations à des concurrents. Aussi désormais, parfois, nous sommes conduits à ne pas informer la DGA (cas de bateaux non armés) ou à l’informer le plus tard possible, pour éviter de voir arriver des concurrents français mis en éveil par une allusion involontaire d’un interlocuteur étatique. Voici encore une anecdote qui m’a fait découvrir à mes dépens la nécessité d’avoir des soutiens politiques au plus haut niveau. Un patrouilleur RaidcoOPV 70 de la Marine royale marocaine a failli ne jamais exister à cause d’un président de la République française. Raidco s’étant mis d’accord avec la direction de la Marine royale marocaine pour la fourniture de quatre patrouilleurs OPV 70, la date du 25 octobre 2007 avait été prévue pour la signature du contrat. Or, quatre jours plus tôt, le président de la République s’étant rendu au Maroc, le roi du Maroc lui proposa d’acheter une frégate multimissions FREMM, afin de balancer la déception du choix marocain des avions F 16 au lieu des Rafale français. Dès le 22 octobre mes interlocuteurs marocains, déstabilisés par ce choix monarchique dont ils n’avaient pas été informés, demandèrent à retarder sine die la signature d’un modeste contrat pour un achat d’une valeur bien inférieure à celui d’une frégate. Il fut nécessaire d’utiliser toutes les bonnes relations conservées au Maroc pour que la Marine royale, malgré ses inquiétudes en termes de budget et de personnel pour armer cette frégate, trouve quelques fonds pour passer un contrat d’achat d’un OPV 70 en février 2008. Après cet incident Raidco a décidé de développer son action de lobbying auprès du Premier ministre et du Président de la République.
Questions :
- Etes-vous en concurrence avec les Constructions Mécaniques de Normandie ? Uniquement pour le secteur 70 mètres et CMN installe des technologies plus perfectionnées que celles montées par Raidco.
- Etes-vous en concurrence avec DCNS ? Les normes militaires sont plus contraignantes que celles suivies par Raidco. Il s’agit de navires de surveillance pour lesquels la tenue au combat n’est pas recherchée.
- Quel est le chiffre d’affaires ? Raidcofait travailler une centaine de personnes dont dix salariés dans son bureau d’études.
- Avez-vous des concurrents ? Il y a quatre entreprises réalisant des modèles voisins de ceux de Raidco en France et il existe des sociétés analogues en Chine, Turquie, Espagne, Italie, Pays-Bas, Australie, Royaume-Uni (peu).
- Montez-vous des plates-formes pour hélicoptères ? Non, car c’est dangereux pour des bâtiments de moins de 80 mètres.

C&M 2 2014-2015

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