Conférences

Les débuts de l’Aéronautique navale dans la guerre de 1914-1918 : Français, Britanniques et Américains au combat dans le ciel des Flandres

Patrick Oddone

Le 14-05-2014

Pour préparer le prochain voyage de l’Académie sur les sites des combats de la Première Guerre mondiale à Dixmude, Ypres et Dunkerque, M. Patrick Oddone, docteur en histoire, ancien conseiller municipal de Dunkerque, président de la Société dunkerquoise d’histoire et d’archéologie et auteur de plusieurs contributions dans des ouvrages collectifs consacrés à l’histoire de Dunkerque et de ses environs aux XIXe et XXe siècles, a bien voulu nous présenter quelques aspects internationaux de l’histoire de l’Aéronautique navale dans la région dunkerquoise durant la guerre de 1914-1918, avec l’appui de quelques photographies anciennes.
Il parlera peu de l’Aviation maritime française puisque l’histoire de celle-ci, et en particulier celle du centre d’aviation maritime de Dunkerque, est étudiée dans l’ouvrage publié par l’Association pour la recherche de documentation sur l’histoire de l’Aéronautique navale (ARDHAN), L’aviation maritime française pendant la Grande Guerre : hydravions et avions, Paris, 1999.
Il rappelle quelques traits spécifiques de ce conflit : 1. C’est une guerre « totale » qui mobilise l’économie, et donc l’arrière. 2. Une guerre qui n’est plus faite par des armées en mouvement, ce qui était la règle au XIXe siècle. 3. Une guerre avec de nombreuses innovations techniques, ainsi l’apparition de la tranchée, la puissance croissante de l’artillerie, les mitrailleuses, les gaz de combat, les lance-flammes, les chars, les avions…
Ces innovations, en particulier les avions, ont donné du mouvement aux armées établies dans les tranchées et permis la fin du conflit.
Depuis l’atterrissage de Blériot en Angleterre en juillet 1909 tous les états-majors des armées européennes réfléchissent sur l’importance militaire de l’aviation ; cependant le nombre des appareils est réduit. En août 1914, l’Allemagne peut engager 174 avions, la France 150, le Royaume-Uni 66 et la Belgique 24. Ils sont considérés comme des instruments d’observation tactique, non comme une arme de combat, à tel point que lorsque des pilotes français signalent l’inflexion de la marche des armées allemandes vers le nord de Paris avant la première bataille de la Marne, Joffre et Gallieni envoient des unités de cavalerie sur le terrain pour vérifier l’exactitude de l’information.
En novembre 1918 la situation est toute différente : l’aviation est devenue une arme de combat chargée de missions spécialisées ; les phases de l’évolution apparaissent nettement dans l’évocation des nombreuses (jusqu’à trois quarts des effectifs) forces aériennes britanniques puis américaines en Flandre maritime de 1914 à 1918.
Dunkerque est un port essentiel pour le ravitaillement des troupes anglo-saxonnes et il convient de le défendre : il est aussi demandé à l’aviation de protéger le détroit en liaison avec les forces navales et d’attaquer les deux puissantes bases navales allemandes d’Ostende et de Zeebrugge.
A la fin d’août 1914, Winston Churchill, alors Premier Lord de l’Amirauté, organise un corps de fusiliers marins constitué avec les réservistes en surnombre, couvert en opération par un escadron aérien du tout récent Royal Naval Air Service, et ceux-ci sont engagés en Belgique. Ils ne peuvent enrayer l’avance ennemie et l’unité aérienne de dix appareils, avec dix-sept officiers et quatre-vingt hommes de troupes, vient s’établir sur le terrain de Saint-Pol-sur-Mer. A la fin du mois de septembre, la guerre se développe sur mer et les sous-marins allemands coulent quatre croiseurs britanniques. Pour assurer autant que possible la protection de ses bâtiments la Royal Navy installe à Dunkerque une base pour trois hydravions chargés de reconnaissances aériennes, de missions photographiques et de guider les tirs des vaisseaux sur les positions côtières allemandes en Belgique. Ces moyens sont renforcés en janvier 1915 par des appareils français établis sur les mêmes terrains avec des hydravions de reconnaissance, des hydravions de chasse, une escadrille terrestre de bombardement et une escadrille terrestre de chasse.
Les six premiers mois de 1915 voient de nouveaux développements de la guerre aérienne : les raids stratégiques ne peuvent plus s’opérer à basse altitude (moins de 3 700 m) en raison de l’implantation de l’artillerie antiaérienne et le développement de la chasse oblige à faire escorter les bombardiers. Durant l’été de la même année les appareils allemands sont progressivement équipés de mitrailleuses synchronisées permettant de tirer à travers l’hélice ce qui leur donne la suprématie de l’air.
En 1916 la force aérienne navale britannique de Flandre est fortement augmentée. Deux escadres viennent renforcer celle de Saint-Pol : l’une, établie à Coudekerque, est chargée des opérations de bombardement offensif ; l’autre, à Petite-Synthe, fournit des escortes aux escadrilles de bombardement et conduit des patrouilles de chasse. Au mois de mai, l’état-major français ayant retiré son escadrille et demandé aux Anglais d’assurer seuls l’entière responsabilité de la couverture aérienne de Dunkerque, douze appareils du RNAS sont installés à Furnes. Ce potentiel accru a pour effet d’accroître le nombre des combats aériens, d’autant plus acharnés que l’Entente dispose maintenant de la mitrailleuse synchronisée et d’appareils rapides et performants.
L’année 1917 est particulièrement troublée et active pour la guerre aérienne comme pour les autres opérations. L’apparition d’appareils allemands avec des types nouveaux, modifié ou amélioré, laisse penser que l’adversaire prépare une offensive aérienne. Les unités aériennes britanniques du secteur de Dunkerque sont renforcées pour atteindre 260 officiers et 2 130 hommes. Elles reçoivent des appareils nouveaux en particulier le Handley Page pour les missions nocturnes (en raison d’une vitesse de croisière de 100 à 120 km/h) de bombardement ; c’est alors le plus grand avion jamais construit en Angleterre avec une charge utile de 14 bombes de 50 kg (alors que son prédécesseur portait 8 bombes de 30 kg) et une autonomie de vol de neuf heures et demie. Il y a aussi le De Havilland 4 pour la reconnaissance et le bombardement diurne, considéré comme le meilleur appareil de la guerre. A partir de mai 1917 les bombardiers Gotha entament des raids diurnes sur Londres et les ports britanniques du sud-est. La brigade aérienne de Dunkerque est alors fortement sollicitée pour bombarder les bases aériennes allemandes en Belgique et intercepter les appareils ennemis revenant de leurs opérations en Angleterre. En même temps elle doit appuyer les offensives terrestres durant la troisième bataille d’Ypres. A la fin de 1917 et au début de 1918 la brigade navale britannique de Dunkerque atteint le point culminant du nombre des appareils et des effectifs avec environ 200 avions et 5 000 hommes.
Cette force est intégrée en avril 1918 dans la Royal Air Force pour donner naissance à la première armée de l’Air de l’histoire. Au printemps 1918 elle participe à la bataille de la Somme avec des bombardements et des mitraillages des tranchées ennemies. A partir du mois d’octobre les escadrilles font mouvement vers la Belgique et s’établissent sur les aérodromes désertés par l’aviation allemande.
Par ailleurs, au début de 1918, l’armée américaine, engagée dans le conflit depuis plus de six mois, remplace avec 24 appareils la force britannique de la base d’hydravions de Dunkerque et elle est opérationnelle à partir du mois de mars. Un peu plus tard, au mois de juin, un escadron de chasse de l’U.S. Air Service rejoint l’aérodrome de Petite-Synthe et participe à des raids aériens menés par les Anglais contre des installations allemandes en Belgique. En deux mois d’opérations cette unité perd cinq pilotes et abat treize appareils ennemis, dix victoires ayant été homologuées. Dans l’ensemble le Groupe de bombardement du Nord constitué par les Américains et comprenant au 11 novembre 284 officiers dont 168 pilotes et 2 154 hommes n’a fonctionné qu’à une capacité très réduite en raison du manque d’appareils et de moyens techniques. Cependant l’impact psychologique de l’engagement des aviateurs et des marins de l’U.S. Navy et du Marine Corps dans le conflit est considérable.
Le poids de Dunkerque et de la Flandre maritime dans l’issue de cette guerre est considérable, surtout pour les Britanniques, comme en témoigne la remise à la ville, en mars 1919, par le roi George V, de la plus prestigieuse décoration navale de l’Empire, la Distinguished Service Cross. Et cette émouvante cérémonie se tient sur la place Jean-Bart, au pied de la statue du marin, le sabre pointé vers l’Angleterre.
Questions. A. Ravier – Disposons-nous d’un décompte des victoires aériennes pour tous les belligérants ? R. Oui, un procès-verbal est dressé dans toutes les armées au retour de chaque expédition.
B. Gallimard-Flavigny – Un spécialiste des projecteurs de théâtre propose d’installer des projecteurs pour l’éclairage des opérations aériennes ? R. Ce n’est pas suivi et c’est une difficulté pendant toute la durée du conflit.
J.-M. Schindler – La progression de l’importance de l’arme aérienne est-elle semblable chez tous les belligérants ? R. Oui, et partout les besoins dépassent la production.

C&M 2013-2014 n° 3

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