Conférences

Les outre-mer européens dans la perspective de la maritimisation du monde

Jérôme Bignon
Maître

Le 15-01-2014

Maître Jérôme Bignon, avocat, conseiller général de la Somme, ancien député de ce département et vice-président du Conseil régional de Picardie, a rempli en outre les fonctions de président de l’Agence des aires marines protégées de 2007 à 2012, de président du Conservatoire du littoral de 2008 à 2012 et de président du Club des plus belles baies du monde de 2003 à 2011. Il a aimablement accepté de présenter devant l’Académie ses réflexions sur ces expériences.

La mer, rappelle-t-il est au cœur du mouvement de la mondialisation, mouvement en plein essor avec le développement des connaissances. La reconnaissance de la place majeure de la mer a donné naissance au mot « maritimisation » dont la signification est précisée dans le rapport présenté par les sénateurs Lorgeoux et Trillard (et exposé par M. Trillard devant l’Académie lors de la séance du 6 novembre 2013) sous le titre La Maritimisation Projet de société du XXIe siècle.

Il ne faut pas craindre la mondialisation insiste M. Bignon ; il faut en saisir l’occasion et ne pas considérer les outre-mer des Européens comme des « boulets » mais bien plus comme des « frontières avancées » de l’Europe dans le monde. Or ces territoires ne sont pas organisés pour avoir une existence propre, en dépit de quelques expériences, en particulier à La Réunion. Le risque est de ne rien faire et de subir en s’alignant passivement sur la métropole ; ou bien de vivre d’une rente sous un prétexte facile de solidarité nationale.

En Europe, six pays : le Danemark, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et le Portugal disposent de terres d’outre-mer ; celles-ci sont réparties entre huit régions (dont la dernière entrée est Mayotte) et vingt pays ou territoires anciennement colonisés. Dans l’Union européenne il n’y a pas de gestion intégrée.

Ces territoires disposent de véritables trésors : ils ont de nombreux jeunes, mais ceux-ci sont médiocrement formés ; ils ont des richesses en matière d’environnement avec une biodiversité remarquable (y compris une grande biodiversité marine) et un endémisme exceptionnel ; ils ont des ressources importantes en énergie (obtenue à partir du mouvement des marées, de la houle, des vagues, de la force du vent avec des éoliennes). Tout ceci n’est pas exploité alors que les pays européens ont tous les moyens et les services pour y parvenir.

Il faudrait une coopération bilatérale sur le modèle de ce qui a été réalisé à Kourou pour les installations spatiales, avec un accord entre la France et les autres pays dans le cadre de l’Agence spatiale européenne. L’idéal serait d’aboutir à une intégration européenne à l’instar de ce qui été réalisé avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier, suivie d’Euratom, puis de l’Union européenne, mais une telle évolution demande du temps.

Dans l’immédiat deux secteurs paraissent offrir des possibilités. Le premier est l’exploitation des ressources génétiques, domaine dans lequel l’Europe doit rapidement occuper des positions. Le mouvement est en cours, malgré la place dominante du Japon et des Etats-Unis en matière de recherche génétique. Pour le second, à savoir l’exploitation des énergies marines, rien n’est fait et il faudrait une collaboration poussée entre les chercheurs avec des accords entre les puissances. Ce qui manque est une grande politique européenne de l’énergie. Le département de La Réunion offre un bon modèle de développement des ressources énergétiques qui pourrait lui permettre, à terme, d’être autosuffisante ; mais c’est une volonté locale, non une volonté européenne. Cette observation permet de signaler une autre lacune de l’Union en matière maritime : pour empêcher la pêche clandestine et le pillage des fonds l’Europe a besoin d’une marine commune.

Conclusion. – Chaque pays reste concerné avec ses propres outre-mer et rencontre des difficultés de financement pour la mise en valeur. Beaucoup pensent qu’il faut « larguer » ces territoires. C’est une erreur comme le montre l’évolution des relations entre le Danemark et le Groenland : après avoir été sortie du Marché commun en 1982, l’île y est revenue en 2009 avec le statut de Territoire d’outre-mer associé à l’Union européenne. Il faudrait l’envie et la volonté de développer les outre-mer avec une politique commune de l’Europe.

Questions : A. Ravier. – Lorsque des richesses naturelles sont découvertes dans des territoires d’outre-mer ceux-ci veulent se séparer de la métropole, ainsi le Groenland et le Danemark, la Nouvelle-Calédonie et la France. J. Bignon. – Nous ne sommes plus à l’époque de la décolonisation. Il y a une demande de la part des territoires d’outre-mer et il y a une opportunité à saisir pour les métropoles.

M. Fieux. – Le projet d’accord avec Maurice sur Tromelin prévoyait le maintien de la souveraineté française sur l’île et la discussion d’une éventuelle convention sur la pêche. J. Bignon. – Le texte a été retiré, mais il peut revenir. Il faudra alors en discuter.

J. Chapon. – Les pouvoirs publics ne sont pas assez attentifs à la zone économique exclusive. Celle-ci a une grande importance comme le montre la reconnaissance de la Communauté européenne par l’URSS : dans le traité de Rome il est stipulé que la zone des 200 milles autour de l’Union européenne appartient à l’Union et non aux Etats nationaux. En conséquence les chalutiers russes, pour pouvoir y pêcher, sont contraints de solliciter l’autorisation de l’UE et donc de reconnaître celle-ci. En revanche, dans les territoires d’outre-mer, la zone des 200 milles appartient à l’Etat national ; ainsi la ZEE du Groenland appartient-elle au Danemark et non à l’UE. J. Bignon. – Il faudrait éviter d’avoir un jeu personnel pour les dossiers intéressants tout en ayant un jeu européen pour les dossiers médiocres.

Alain Kremer, invité permanent de l’Académie, délégué de l’Ordre de Malte auprès de la Marine. – Dans les traités européens, ainsi la CECA et l’Euratom, il n’y a rien sur les outre-mer. Lors de la négociation du traité de Rome la plupart des délégués n’avaient aucun tropisme en ce domaine et se sont contentés d’octroyer un statut particulier aux territoires d’outre-mer. Il en est résulté une confusion : lorsque les Britanniques sont entrés dans l’UE ils ont défendu victorieusement le commerce des bananes de leurs territoires d’outre-mer, alors que les Français ont échoué. J. Bignon. – Sur ce point l’Europe est dans une situation de blocage.

C&M 2013-2014 n° 2

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