Conférences

La mer dans le siècle de la mondialisation

Nicolas Baverez
Avocat

Le 18-12-2013

Après l’éloge du Commissaire général de la Marine Bertrand Voisard prononcé par l’amiral Pierre-François Forissier, le président Ravier donne la parole à Maître Nicolas Baverez, avocat et essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur les mutations contemporaines de l’économie mondiale, en particulier Les trente piteuses en 1998, La France qui tombe en 2004 et Après le déluge en 2009.
Me Baverez commence par un historique de la notion de « mondialisation ». Celle-ci est apparue à la fin des années 1970 comme une norme de régularisation de l’économie dans une période d’expansion du marché et d’extension universelle du capitalisme ; l’ouverture des frontières marquée par la chute du mur de Berlin et l’évolution rapide des techniques de l’information lui ont donné une formidable accélération. Depuis 2001, la mondialisation est entrée dans une phase de turbulences : l’éclatement de la bulle spéculative sur les nouvelles technologies a montré l’insuffisance de la régulation ; l’attentat du 11 septembre contre le World Trade Center a témoigné de la montée des passions identitaires et religieuses ; le point culminant a été atteint lors de la crise boursière du 15 septembre 2008.
Il s’interroge ensuite sur la place de la mer dans la mondialisation. Celle-ci est considérable et depuis longtemps. Ici la date de 1492 est essentielle, avec l’ouverture de la route maritime entre l’Europe et l’Amérique, suivie de celle de la route vers les Indes orientales. Elle est accompagnée d’une formidable révolution des transports maritimes dominés par l’Occident et de l’activité de grandes compagnies de commerce ; ici l’influence des ports est essentielle, ce fut d’abord Gênes, puis Séville, Amsterdam, Londres… Au XIXe siècle la circulation maritime est dominée par la Grande-Bretagne qui fait régner la Pax Britannica. La contestation de la puissance maritime anglaise par l’Allemagne est l’une des causes des tensions qui ont conduit à la guerre de 1914. Actuellement les risques demeurent : ainsi assiste-t-on à une montée de la puissance navale de la Chine qui cherche à prendre des positions dans le Pacifique contre les Etats-Unis
Malgré ces tensions la mer devrait devenir un levier pour le développement des échanges mondiaux. L’évolution de l’indice du fret maritime, en pleine reprise depuis 2010, le montre clairement.
On assiste à une concentration de la population sur les littoraux avec le développement des mouvements migratoires et la croissance de ports ayant des structures originales. L’aquaculture est en forte croissance et fournit actuellement la moitié des produits de consommation ; l’exploitation des ressources en énergie, en particulier par les hydroliennes, est commencée ; la mer fournit aussi de l’eau grâce aux usines de dessalement. En 2050, elle devrait fournir la nourriture de deux milliards et demi d’hommes.
Les routes maritimes sont améliorées ; on procède à des grands travaux sur les canaux de Panama et Suez pour en faciliter l’accès et diminuer la durée des transits ; des nouveaux câbles sont posés. La lutte contre la piraterie mobilise les puissances. La place de l’Europe demeure importante dans l’organisation des transports.
L’écologie marine préoccupe l’opinion publique ; celle-ci est sensible à des risques jugés irréversibles, ainsi la pollution entraînée par le naufrage de l’Erika et l’explosion de la plate-forme Deep Water ou encore la montée du niveau de la mer à la suite du changement climatique ou bien la création de lignes régulières de navigation dans l’Arctique. Il est envisagé de créer des réserves sur 10 % des surfaces avec l’interdiction des prélèvements et de réglementer les techniques de pêche (par exemple l’utilisation des chaluts pélagiques) ; dans tous les cas une organisation aquacole est nécessaire.
Tout cela montre que la maîtrise de la mer demeure une préoccupation importante pour les Etats et leurs citoyens.
Les grandes puissances tentent de se protéger d’éventuels conflits par des accords internationaux (ainsi entre les Etats-Unis et l’Union Européenne) et par des grands organismes coopératifs (ainsi l’OTAN). Sur le plan stratégique, le Pacifique est au cœur des débats avec la tension entre la Chine et les Etats-Unis, alors que le Président Obama envisage la création d’un « pivot stratégique ».
La Méditerranée demeure une zone stratégique importante ; on assiste au retour de la Russie, désormais présente en Syrie. En Baltique, où l’Allemagne conserve des liens anciens avec les principaux ports, l’Europe doit faire un effort pour intégrer cette mer et en assurer la sécurité.
La France aurait intérêt à se préoccuper davantage de son potentiel maritime car celui-ci n’est pas mis en valeur ; ainsi les villes portuaires ne sont-elles pas assez développées en raison de tension économiques et sociales. Il faudrait peut-être suivre le conseil de Napoléon : « Une seule ville : Paris – Rouen – Le Havre ; une grand-rue. » Le potentiel de la marine marchande est important ; la France dispose de la troisième entreprise mondiale de transport maritime. Pour la marine de guerre, outre la « sanctuarisation » de la dissuasion, il faudrait améliorer les moyens nécessaires pour les interventions extérieures ainsi que les technologies de l’information.
En conclusion Me Baverez développe deux idées : 1° La « mondialisation », le mouvement vers une histoire universelle se poursuit. 2° Le « déclin de l’Occident » et de la France en particulier n’est pas une évolution fatale. Il faut suivre Ulysse : « Ce sont les hommes qui font l’histoire avec leur courage, leur détermination, leur volonté ».
A. Ravier. – Quelle est la situation de la « mondialisation » ? ‒ La guerre de 1914 puis la grande crise économique de 1929 ont eu pour conséquence de restreindre le concept de mondialisation. L’idée d’une fermeture des frontières est répandue, mais elle n’a pas de fondement économique. En ce moment, malgré la crise des liquidités, il n’y a pas de montée du protectionnisme (sauf quelques rares Etats, ainsi le Brésil et l’Inde) et il y a plutôt une ouverture (ainsi parmi les Etats africains). Pour la France le protectionnisme ne réglerait rien et ajouterait des difficultés. Dans l’ensemble les barrières opposées aux échanges mondiaux s’abaissent comme le montre le succès de la négociation de l’accord préparé par l’Organisation mondiale du commerce.
E. Berlet. – Quelle est l’attitude du groupe des BRICS (conférence annuelle des Etats émergents, Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) face à la mondialisation ? ‒ Ils n’ont pas d’attitude commune tant en politique qu’en économie. Ils ont en commun de disposer d’organisations militaires efficaces, mais leur attitude face aux crises est ambiguë, ainsi en Lettonie, puis récemment en Ukraine. Ils refusent un leadership des grandes puissances, mais ils sont prêts à l’occasion à coopérer avec elles comme il apparaît avec la participation de la Chine à la lutte contre la piraterie.
Lars Weding. – Quelle est la place de l’océan Indien, traversé par un trafic maritime important, soit 85 % du pétrole brut transporté dans le monde, dans l’organisation de la mondialisation ? ‒ La Chine est de plus en plus présente dans cette partie du monde, tandis que l’Inde développe sa Marine. Il s’y produit peu d’incidents, alors qu’il y en a beaucoup dans le Pacifique.
J. Dufourcq. – Le succès de l’exploitation du gaz de schiste et autres hydrocarbures non conventionnels ne risque-t-il pas de créer une « bulle » spéculative ? ‒ Non, car les Etats qui exploitent ces sources d’énergie exigent qu’elles soient utilisées sur place avec la création d’installations pérennes, et l’extraction doit continuer car elle est nécessaire au maintien de la prospérité des Etats-Unis.

C&M 2013-2014 n° 1

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