Conférences

Ombres et lumières de l’Ienisseï

François Bellec
Contre-amiral, membre de la section Histoire, lettres et arts, ancien président de l’Académie, secrétaire général des Ecrivains de marine et président de la Société Nationale des Beaux-Arts

Le 06-02-2013

La conférence de ce jour est donnée par notre confrère le contre-amiral François Bellec, membre de la section Histoire, lettres et arts, ancien président de l’Académie, secrétaire général des Ecrivains de marine et président de la Société Nationale des Beaux-Arts. En commentant de nombreuses photographies, il donne ses impressions d’un voyage qu’il a effectué durant l’été dernier, en compagnie d’autres écrivains, gens du livre et de la presse, sur l’Ienisseï, fleuve menant vers la mer de Kara, au-delà du cercle polaire arctique.

Il a découvert un pays bien différent de l’image conventionnelle d’une Sibérie ponctuée de camps de déportation et de travaux forcés, de secret et d’oubli, dans une immensité terrifiante. Bien sûr il a rencontré les conditions inhumaines de l’hiver sibérien, la misère profonde de populations abandonnées par le reflux du système stalinien économique et social, mais encore écrasée par le poids de ce passé. Staline a disparu mais les effigies de Lénine sont partout, en pied, en buste, en portrait ou en médaillon. L’Aleksandr Matrossov, le bateau sur lequel il était embarqué avec le groupe des écrivains, était lui-même un témoin de l’époque soviétique, construit il y a près de soixante ans en RDA. Son éponyme est un héros de la Seconde Guerre mondiale, le soldat Matrossov, qui a obstrué de son corps l’embrasure d’une mitrailleuse allemande, permettant à sa section de monter à l’assaut et de planter à nouveau le drapeau rouge sur le village de Chernushki aux cris de : « Pour notre mère Patrie et pour le camarade Staline ! » Le voyage a été jalonné par les vestiges des camps du goulag, comme celui d’Igarka consacré à la construction utopique d’une voie ferrée reliant l’Ob à l’Ienisseï, un projet sans justification économique, abandonné en 1953 après avoir fait des dizaines de milliers de victimes. Il a rencontré aussi des sites industriels d’une autre époque, mais toujours exploités comme le combinat de Norilsk, où des cheminées immenses crachent des millions de tonnes de dioxyde de soufre rejeté par l’exploitation intensive d’un des premiers gisements mondiaux de nickel et de palladium.

Il a trouvé aussi une Sibérie estivale, ouverte, décomplexée, multiethnique et multiconfessionnelle, accueillante, souriante malgré la dureté de l’environnement et les ravages d’une mise en exploitation industrielle inhumaine. Une Sibérie désireuse de montrer ses valeurs fondamentales, son caractère et son art de vivre alliant modernité et tradition. Un pays attaché aux traditions de ceux qui l’ont mis en valeur, depuis les nomades Scythes, Kirghiz et Tatares, puis les premiers sédentaires, les marchands échangeant la soie, la laine et les fourrures, les armes, le musc, les parures et les ornements d’attelages, les colons en quête de liberté et de grands espaces, les gardes cosaques et les personnalités pionnières qui ont donné une âme à des villes encore jeunes, comme le pharmacien Nikolaï Martianov qui a fondé il y a 135 ans à Minoussinsk le plus vieux musée sibérien autour de ses collections archéologiques et entomologiques.

Et encore une Sibérie reconnaissante, voire émue, que l’on s’intéresse à elle. Lui-même et ses confrères se sont trouvés devant des auditoires nombreux de lecteurs chaleureux, attentifs et curieux, comme pour démontrer que, où que ce soit sur la Terre, la volonté, la culture et l’intelligence sont générateurs d’espoir.

C&M 2012-2013 n° 2

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